Il fut l’un des premiers – dès 1988 – à alerter le monde sur le changement climatique. Près de quarante ans plus tard, l’ancien chef climatologue de la Nasa, James Hansen, continue de jouer les Cassandre, se mettant même à dos une partie de la communauté scientifique. Selon les travaux récents de ce professeur à Columbia, l’objectif de l’accord de Paris – limiter à 2 °C le réchauffement planétaire au cours du siècle présent – est définitivement enterré. A moins d’un changement radical dans nos politiques, la montée des températures risque de dérégler les courants océaniques, entraînant des effets délétères. Les options ? Instaurer une taxe carbone sur toutes les énergies fossiles, développer le nucléaire et étudier de près la géo-ingénierie. Au cas où.
L’Express : Vous affirmez dans vos dernières études que l’objectif de limiter le réchauffement à 2 °C ne sera pas atteint. Que faire ?
James Hansen : Une précision s’impose : nous disons que l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à 2 °C par rapport aux débuts de l’ère industrielle ne sera pas atteint, à moins d’un miracle. Cette nuance est importante. Nous ne croyons pas qu’un tel miracle va se produire. Nos travaux montrent d’ailleurs que ce fameux seuil sera probablement atteint d’ici à 2045. Cependant, il pourrait théoriquement ne pas être franchi si nous utilisions la géo-ingénierie, en saupoudrant, par exemple, des particules dans l’atmosphère afin de la refroidir. Pour l’heure, nous n’avons pas les connaissances nécessaires afin de lancer ce genre d’initiative. Par ailleurs, le public ne soutiendrait sans doute pas une telle action. A l’heure actuelle, la chose la plus proche d’un miracle, qui soit concevable, serait l’adoption à grande échelle d’une taxe carbone croissante que paierait l’industrie des énergies fossiles. En plus d’être efficace, cette politique ne coûterait rien. Mais nous n’en prenons pas le chemin.
Les Etats-Unis ont plutôt choisi de subventionner les technologies vertes avec l’Inflation Reduction Act. Que pensez-vous de cette politique ?
Le résultat est catastrophique ! Le gouvernement Biden a financé abondamment des technologies déjà matures – solaire et éolienne –, ce qui a stimulé l’inflation sans réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pis, cette politique a créé une réaction épidermique de la part des républicains, et l’adoption d’une politique énergétique favorable aux énergies fossiles ! Jusqu’ici, les gouvernements n’ont pas pris la question du changement climatique au sérieux. Au cours des prochaines décennies, ils finiront par comprendre qu’il s’agit d’une priorité. La situation à la fin du siècle dépendra alors de décisions collectives, si une gouvernance mondiale est encore possible.
Ces douze derniers mois, de nombreux records de chaleur ont été battus, provoquant la sidération. Les scientifiques doivent-ils revoir leurs modèles ?
Le bond de 0,4 degré des températures mondiales en 2023-2024 s’explique aisément. Ce réchauffement a été provoqué à parts égales par El Niño [NDLR : un réchauffement cyclique des eaux superficielles du Pacifique équatorial] et par une diminution des aérosols, c’est-à-dire des particules minuscules qui sont notamment émises par les navires. Depuis 2020, l’Organisation maritime internationale impose une limite stricte aux émissions de sulfure d’hydrogène et de dioxyde de carbone. Or, ces aérosols servent de noyaux à la formation de nuages et ces derniers ont la particularité de réfléchir la lumière du soleil vers l’espace. S’ils sont moins présents dans l’atmosphère, le réchauffement climatique s’accentue. Nous sommes donc confrontés à un dilemme : soit nous acceptons la pollution atmosphérique, qui tue des millions de personnes chaque année. Soit nous la réduisons, ce qui augmente la température mondiale.
Ce rôle ambivalent des aérosols a-t-il été sous-estimé par les scientifiques jusqu’ici ?
Absolument. C’est l’une des conclusions majeures de nos derniers travaux. Et une source de divergence avec les analyses du Giec. Les premiers modèles utilisés par les climatologues comportaient des traitements simples des nuages. Pour que ces modèles correspondent au réchauffement planétaire observé au cours des décennies passées, il fallait que les perturbations liées aux aérosols restent pratiquement inchangées. Or, nous avons aujourd’hui des preuves que ce « forçage » [NDLR : l’effet des particules sur le réchauffement] a en fait augmenté au cours de cette période. Il est difficile pour une organisation aussi importante que le Giec de modifier sa position sur ce sujet. Mais en fin de compte, j’en suis sûr, la physique l’emportera.
Selon vous, la sensibilité du climat aux émissions de CO2 a aussi augmenté par rapport aux chiffrages précédents. Qu’est-ce que cela signifie pour notre avenir ?
Ce n’est pas une bonne nouvelle. L’accélération du réchauffement de la planète va entraîner une augmentation de la fonte des glaces dans l’Arctique. En conséquence, un arrêt de l’Amoc – une circulation complexe de courants marins dans l’Atlantique – pourrait intervenir dans les vingt à trente prochaines années, à moins que des mesures à fort impact sur nos émissions de CO2 ne soient prises très rapidement. Si nous laissons ce phénomène se produire, l’humanité devra faire face, en cascade, à des problèmes majeurs, à commencer par une élévation de plusieurs mètres du niveau de la mer. Pour nous, il s’agirait d’un point de non-retour.
Comment vos travaux ont-ils été accueillis ?
Les scientifiques d’antan, comme le météorologue Jule Charney ou le mathématicien Francis Bretherton, auraient sans doute dit que notre étude est sérieuse. Ils réfléchiraient aux observations nécessaires pour confirmer et éclairer les questions soulevées par nos travaux. Aujourd’hui, c’est malheureusement différent. Nos recherches suscitent de nombreuses réponses surprenantes et non scientifiques. Certains climatologues refusent par exemple de parler de nos travaux à la presse. L’une de nos études sur la fonte des glaces, parue en 2016, n’apparaît pas non plus dans le sixième rapport de synthèse du Giec qui compile les connaissances scientifiques acquises entre 2015 et 2021 : pas une seule mention dans ce document qui fait plusieurs milliers de pages. La science progresse pourtant lorsque de nouvelles données deviennent disponibles. Leur prise en compte finit par entraîner des corrections au sein de l’opinion dominante – certaines mineures, d’autres majeures.
Le rôle de l’énergie nucléaire est-il également un facteur de discorde ?
Effectivement. Le nucléaire doit jouer un rôle important dans la décarbonation des systèmes énergétiques mondiaux. Mais le simple fait de l’affirmer limite notre capacité à obtenir un soutien public et philanthropique pour notre organisme de recherche, le Climate Science, Awareness and Solutions. En pénalisant l’énergie nucléaire, qui a le potentiel d’être la source d’énergie la moins coûteuse, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tout en ayant l’empreinte environnementale la plus faible, nous nous attachons un bras dans le dos.
Et c’est se lier l’autre bras que d’interdire, par principe, toute recherche sur la géo-ingénierie du climat. Il y a besoin aujourd’hui de clarifier les politiques actuelles. Peuvent-elles vraiment conduire à une stabilisation du climat d’ici le milieu du siècle ? On voit bien que le système des COP ne fonctionne pas, ce qui place les jeunes générations dans une impasse. Il est temps d’ouvrir les yeux.
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Author : Sébastien Julian
Publish date : 2025-03-04 07:00:00
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