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Guerre en Ukraine : ce que peut changer la suspension du partage de renseignement américain

Guerre en Ukraine : ce que peut changer la suspension du partage de renseignement américain

Une suspension de l’aide militaire à l’Ukraine… mais aussi du partage d’informations. Les Etats-Unis ont « mis en pause » le partage de renseignement avec Kiev, a déclaré mercredi 5 mars le chef de la CIA, John Ratcliffe. Cette annonce intervient après la décision prise lundi 3 mars par l’administration de Donald Trump de suspendre les livraisons d’aide militaire à l’Ukraine et intervient après une altercation entre le président américain et le dirigeant ukrainien Volodymyr Zelensky, vendredi 28 février dans le Bureau ovale.

L’exécutif américain a décidé de suspendre l’aide à l’Ukraine « sur le front militaire et sur le front du renseignement », a indiqué John Ratcliffe sur la chaîne Fox Business. « Nous avons reculé, et nous suspendons et passons en revue tous les aspects » de la relation avec l’Ukraine, a déclaré de son côté à la presse le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, Mike Waltz. Cette pause pourrait cependant être de courte durée si le président ukrainien Volodymyr Zelensky se plie aux exigences de Donald Trump. On ignore par ailleurs à ce stade quelles sont les exceptions à cette décision.

Le partage de renseignement est très utile aux soldats ukrainiens sur le champ de bataille. La décision américaine, au-delà d’enhardir Moscou et de redonner le moral aux soldats russes, pourrait donc entraver la capacité de l’armée ukrainienne à cibler les forces ennemies et faciliter la tâche de Moscou pour attaquer les lignes de défense ukrainiennes, selon les analystes interrogés par le New York Times.

La rupture dans le partage de renseignements comprendrait l’arrêt des données de ciblage que les agences américaines fournissent à l’Ukraine afin qu’elle puisse lancer des armes fournies par les Etats-Unis et des drones à longue portée sur des cibles russes, ont indiqué des responsables ukrainiens au Washington Post.

Or le rôle le plus crucial des services de renseignement américains a peut-être été de permettre des frappes de précision sur les territoires contrôlés par la Russie. Frapper « des cibles statiques comme des usines ou des centrales pétrolières » était « quelque chose que nous pouvions faire nous-mêmes », a indiqué au Financial Times (FT) Pavlo Narozhny, un analyste militaire ukrainien. « Mais c’est probablement grâce à l’aide des services de renseignement américains que nous avons pu frapper des centres de commandement, tuer des généraux », a-t-il dit.

Des renseignements en temps réel sur les mouvements de l’ennemi

La volonté de l’administration Trump constitue un revirement majeur par rapport à l’approche de l’administration Biden. Celle-ci a mis en place des systèmes spéciaux visant à partager avec l’Ukraine de grandes quantités de renseignements sur les forces militaires russes. Si l’étendue du soutien américain aux services de renseignement ukrainiens est classifiée, ce partage de renseignements irait des informations stratégiques sur les intentions générales de la Russie aux informations tactiques sur les ensembles de ciblage et les contre-mesures russes telles que les dispositifs de brouillage et les leurres, a confié au Washington Post un ancien responsable américain.

Selon ce dernier, au courant des accords de partage de renseignements entre les Etats-Unis et l’Ukraine, l’objectif de Washington était d’aider Kiev à améliorer la précision de ses frappes mais aussi à compenser le fait que son armée soit plus petite et son arsenal plus limité. « Tout cela avait pour objectif primordial de protéger ce que les Ukrainiens avaient parce qu’ils en avaient moins que les Russes », a résumé cet ex-responsable au quotidien américain.

Les analystes estiment que l’aide américaine a permis à Kiev de recevoir des renseignements en temps réel sur les mouvements de l’ennemi. « Au niveau opérationnel, pour observer les mouvements des forces par exemple, les satellites sont d’une grande aide et les capacités américaines sont vraiment importantes », a déclaré au Financial Times Mykhailo Samus, un expert militaire ukrainien. Comme le précise le quotidien britannique, les services de renseignement américains jouent également un rôle dans le système d’alerte précoce contre les missiles russes et les raids de drones sur les villes et les infrastructures énergétiques ukrainiennes.

En outre, selon le Washington Post, sans les renseignements fournis par Washington, l’Ukraine pourrait théoriquement toujours être en mesure d’utiliser le système sophistiqué de défense aérienne Patriot et d’autres systèmes, mais avec probablement moins d’efficacité.

Paris « fait bénéficier » Kiev de ses renseignements

Selon le Daily Mail et le Financial Times, les Etats-Unis ont également formellement interdit à leurs alliés de partager des renseignements américains avec l’Ukraine. « Si les Etats-Unis ne reviennent pas bientôt sur cette décision, cela deviendra vraiment difficile pour les Ukrainiens car cela leur enlèvera leur avantage sur le champ de bataille », a déclaré un haut responsable occidental auprès du FT.

Interrogé par le quotidien britannique, un porte-parole des services de renseignement militaires ukrainiens a refusé de commenter l’impact d’une interruption des services de renseignement américains sur leur travail. « Nous avons un plan B », ont-ils déclaré plus tôt cette semaine. Voire plusieurs ? Les Européens sont en effet présents dans le domaine du partage de renseignement, notamment les Français, comme l’a indiqué ce jeudi 6 mars Sébastien Lecornu. « Notre renseignement est souverain […] avec des capacités qui nous sont propres », a affirmé sur France Inter le ministre français des Armées. « Nous en faisons bénéficier les Ukrainiens. », a-t-il ajouté, sans préciser depuis combien de temps c’était le cas.

« Dans le renseignement, les Américains ont un poids gigantesque, mais leur aide a surtout été précieuse au début de la guerre », a de son côté nuancé mercredi auprès de L’Express Xavier Tytelman, expert en aéronautique et défense. « Bien sûr, cette annonce américaine occasionnera un manque de renseignements pour l’Ukraine, mais ce manque est moins difficile à combler qu’il y a un an », a-t-il estimé. Par ailleurs, comme il le rappelle, les Ukrainiens ont également « des réseaux efficaces de renseignement, notamment dans les zones occupées ». Sans aide américaine supplémentaire mais avec l’aide de l’Europe, à la fois en termes d’armes et de renseignements, l’Ukraine pourrait poursuivre le combat tout au long de l’été, précise le New York Times. Que décideront d’ici là les Etats-Unis ? L’imprévisible Donald Trump ne le sait peut-être pas lui-même.



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Author : Julien Chabrout

Publish date : 2025-03-06 14:00:00

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