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« Je ne les ai jamais vus aussi sereins » : comment l’armée ukrainienne se prépare à la suspension de l’aide américaine

« Je ne les ai jamais vus aussi sereins » : comment l’armée ukrainienne se prépare à la suspension de l’aide américaine

La séquence fut aussi glaçante qu’historique. Dans le bureau Ovale, Donald Trump lançait vendredi 28 février à Volodymyr Zelensky un avertissement direct : « Soit vous signez un accord, soit nous nous retirons. Si nous nous retirons, cela se jouera sur le champ de bataille, et ça ne sera pas joli à voir ». Trois jours plus tard, un responsable de la Maison-Blanche confirmait la suspension de l’aide américaine à l’Ukraine, plongeant l’Europe dans l’inquiétude.

A l’heure où les réactions diplomatiques pleuvent, où les chancelleries occidentales multiplient les sommets, et où l’Union européenne annonce un plan de réarmement massif, la question de la capacité de résistance des Ukrainiens reste entière. Expert en aéronautique et défense, Xavier Tytelman raconte à L’Express la réalité du front ukrainien, où il se rend régulièrement.

L’Express : Le revirement stratégique des Etats-Unis depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche est-il de nature à provoquer un effondrement militaire en Ukraine ?

Xavier Tytelman : L’aide américaine ne représente aujourd’hui plus que 20 % des équipements utilisés en Ukraine. 25 % vient d’Europe, et 50 %… d’Ukraine. Le reste provient de pays comme l’Egypte, la Serbie, l’Azerbaïdjan, l’Australie, la Corée du Sud ou la Jordanie. D’après les dernières annonces, l’arrêt décidé de l’aide américaine ne surviendrait qu’à partir du mois d’août. Donc, s’il y a 20 % de l’équipement ukrainien qui disparaît à un horizon de six mois, cela laisse quand même le temps de s’y préparer. Je rappelle que nous sommes sur une temporalité très longue. Si la progression russe suit la même vitesse que celle constatée en 2024, il leur faudra encore trois ans simplement pour achever la conquête du Donbass.

Quel état d’esprit avez-vous relevé chez les soldats ukrainiens lors de vos derniers déplacements sur le front ?

L’ambiance générale n’est clairement pas au défaitisme. Dans les échanges que j’ai avec les militaires, par exemple sur le front de Pokrovsk, où je me suis rendu quatre fois depuis août dernier, je peux dire que cela fait longtemps que je ne les ai pas vus aussi sereins sur leur situation militaire. La dernière fois remonte à l’été 2023, soit juste avant leur contre-offensive, quand ils estimaient, certes à tort, être en mesure de reconquérir leur territoire.

Aujourd’hui, on ne leur demande qu’une chose : tenir face à des Russes qui ont conquis 4000km² en 2024, soit à peine le tiers d’un département français. Ils s’épuisent pour des gains territoriaux très faibles.

Le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, Mike Waltz, a déclaré ce mercredi 5 mars que les Etats-Unis suspendait le partage de renseignements avec Kiev. Voilà un domaine où la supériorité américaine peinera à être remplacée…

Dans le renseignement, les Américains ont un poids gigantesque, mais leur aide a surtout été précieuse au début de la guerre. Ce sont eux qui ont prévenu les Ukrainiens des endroits où les Russes allaient attaquer, et de quelle manière ils allaient le faire. C’est encore eux qui ont permis un ciblage efficace contre les généraux. Mais les Européens sont présents également, notamment les Allemands et les Français. N’oublions pas aussi que les Ukrainiens ont des réseaux efficaces de renseignement, notamment dans les zones occupées, ou même en Biélorussie, où une partie de l’armée est opposée au régime et s’est déjà livrée à des actes de sabotage au profit de Kiev. Bien sûr, cette annonce américaine occasionnera un manque de renseignements pour l’Ukraine, mais ce manque est moins difficile à combler qu’il y a un an. Le vrai risque est ailleurs.

C’est-à-dire ?

La question déterminante sera celle de la levée des sanctions américaines à l’encontre de la Russie. Avec derrière la possibilité pour Moscou d’écouler son pétrole et son gaz, et de retrouver un accès à tous les composants qu’il leur manque dans la fabrication de leur matériel militaire. Si les Russes multiplient par deux leur production de missiles de croisière, et peuvent en tirer 5000 par mois au lieu de 2500, il y a matière à s’inquiéter pour les Ukrainiens.



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Author : Renaud Toffier

Publish date : 2025-03-05 17:41:00

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