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Nucléaire : le thorium est-il l’avenir de l’énergie atomique ?

Nucléaire : le thorium est-il l’avenir de l’énergie atomique ?

« En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées », martelait l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing. En Chine, on manque d’uranium, mais on regorge de thorium, pourrait-on lui rétorquer. Les réserves de ce métal légèrement radioactif, qui peut servir à fabriquer du combustible nucléaire, seraient même considérables : selon les médias chinois, elles permettraient de subvenir aux besoins énergétiques de tout le pays pendant soixante mille ans !

Dans un contexte international où chaque nation rêve aujourd’hui d’indépendance énergétique, l’annonce d’un tel trésor national ne passe pas inaperçue. Aux Etats-Unis, certains patrons réclament déjà un inventaire précis du thorium à l’administration Trump. Pas question de laisser à la Chine le moindre avantage technologique. Il y a pourtant un hic : le thorium a tout d’une fausse bonne idée. Certes, il est trois à quatre fois plus présent sur la planète que l’uranium, estime l’Agence internationale de l’énergie. Mais s’en servir pour alimenter des réacteurs nucléaires pose de nombreuses difficultés.

« C’est un peu comme extraire de l’uranium dans l’eau de mer ou envoyer nos déchets nucléaires sur la Lune : c’est possible, mais avec un coût et une complexité qui n’ont pas vraiment de sens », détaille Dominique Greneche, docteur en physique nucléaire et membre de l’ONG PNC-France (Patrimoine nucléaire et climat). Jusqu’ici, l’Inde est le seul pays à avoir poussé l’expérimentation, pour des raisons géopolitiques. A la suite d’essais nucléaires menés en 1998, le pays, mis au ban de la communauté internationale, ne pouvait plus acheter d’uranium. Or, il possédait des gisements importants de thorium.

Mais après quasiment trente ans de développement, l’Inde est encore loin de maîtriser cette technologie. « Actuellement, elle a mis en place un système complexe en trois étapes. Elle produit d’abord du plutonium à l’aide de réacteurs à eau lourde, une technologie différente de celle que nous utilisons, à eau pressurisée. Elle mêle ensuite ce plutonium à du thorium dans un autre type de réacteur afin de produire de l’uranium 233 qui est finalement recyclé dans les réacteurs à eau lourde », détaille Dominique Greneche.

Les prémices d’un nouveau nucléaire

Faire fonctionner une centrale avec seulement du thorium est faisable. Mais il faudrait peut-être un siècle de développement avant d’y arriver, assure le spécialiste. Pour la France, cette voie semble exclue. En plus de se doter de nouveaux réacteurs, le pays devrait revoir toute la chaîne du combustible. En amont, d’abord. « La fabrication serait délicate à cause des rayonnements assez intenses émis par l’uranium 232, un isotope associé à la formation de l’U 233. Elle aurait lieu « à distance », derrière des écrans protecteurs épais, dans des cellules blindées », explique Dominique Greneche. En aval de la chaîne, ensuite, le retraitement des combustibles usés, nettement plus difficiles à dissoudre, poserait lui aussi des défis techniques.

Ces barrières décourageront-elles la Chine ? Le moment choisi par Pékin pour communiquer sur ses réserves de thorium n’a rien d’anodin. Un choc sur l’approvisionnement en uranium se profile d’ici à la fin du siècle. « Si les promesses de tripler la capacité nucléaire mondiale voient le jour – c’était l’un des engagements pris lors de la COP28 -, alors nous toucherons le ‘plafond’ des ressources identifiées récupérables dès 2040-2050 », prévient Claire Kerboul, docteur spécialisée en physique nucléaire et auteur de L’Urgence du nucléaire durable (De Boeck supérieur). Or, la Chine construit des centrales nucléaires à tout va. A la tête d’un parc nucléaire équivalent à celui de la France, elle a dans ses cartons 36 nouveaux réacteurs. Pékin a donc intérêt à se pencher sur des technologies lui permettant, à terme, de se passer du combustible habituel. Ou alors de l’économiser.

« La meilleure option pour la Chine reste quand même la construction de réacteurs à neutrons rapides (RnR) », assure Dominique Greneche. Capables de fonctionner en brûlant une partie des déchets nucléaires actuels, ils peuvent offrir, eux aussi, des milliers d’années de souveraineté énergétique. En outre, il s’agit d’une technologie mieux maîtrisée. Ironie du sort, la France était l’un des pays les plus avancés au monde dans ce domaine avant de stopper brutalement, en 2018, le projet de réacteur Astrid. La Chine ne fera sans doute pas la même erreur. Elle possède déjà un RnR et devrait en mettre un second en service en 2026. Peut-être les prémices d’un nouveau nucléaire.



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Author : Sébastien Julian

Publish date : 2025-03-07 12:00:00

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