Le schéma est dorénavant rodé : d’abord, Donald Trump annonce bruyamment une énormité, une menace, une aberration, plus elle est impossible, plus elle est relayée, analysée, dénoncée ; ensuite, cette déclaration provoque une suite d’indignations au vocabulaire catastrophiste ; enfin, nous assistons à une déferlante d’images « drôles » qui vont de la parodie bas de gamme à un humour premier degré bêtement partisan, qui déclenchent des rires de connivence toujours gênants. Ces rires-là me confortent dans l’idée tragique que rares sont, dorénavant, mes contemporains capables de lire vraiment une caricature : cette dernière ne reproduit pas seulement un décalage comique du réel mais offre un point de vue plus profond, en débusquant les non-dits pour placer le lecteur face à ce qu’il refoule pour ne pas être viré de la salle au rire gras.
A l’inverse, les « pastilles de rires sans rires » qui se répandent comme une traînée de poudre sur Internet semblent former une sorte de protection collective, un pansement qui colle à peine, qui nécessite d’être renouvelé régulièrement pour être efficace, mais qui n’a pas l’effet que pourrait avoir une bonne caricature, plus ambiguë : consoler par le rire, ouvrir à d’autres voies que celles inutiles du contentement immédiat et de la désignation de l’ennemi commun par le goudron et les plumes. Les Goncourt avaient raison de considérer que le « rire est le son de l’esprit : certains rires sonnent bêtes comme une pièce sonne faux ».
Les cérémonies des Césars et des Oscars se sont surpassées dans l’ennui, dans l’absence d’humour et dans un conformisme gluant. Le pire, dans le consensus qui se veut fédérateur, ce sont les horreurs qu’il fait passer pour de la bonne conscience collective. La cérémonie des Césars n’aura brillé que par la royale élégance de Catherine Deneuve, le reste n’aura été qu’une suite d’interventions millimétrées pour que personne ne soit vexé, même pas Jacques Audiard qui, après avoir jeté son actrice principale sous le bus, a quand même pris conscience de l’énormité hypocrite de son geste et l’a récupérée, muette et honteuse. Tous ceux qui auraient dû gagner ont gagné, les plus grands succès commerciaux comme Le Comte de Monte-Cristo et L’Amour ouf, devront se contenter de l’honneur d’être en compétition avec le cinéma-indépendant-d’auteur-au cœur-gros-comme-ça et certainement pas s’attendre à en plus être récompensé pour avoir eu l’outrecuidance de servir une soupe de qualité à des millions de téléspectateurs.
Anesthésiés par la peur de déplaire
La réconciliation nationale, ce sera pour jamais. Il aura fallu attendre le discours de Jonathan Glazer pour constater à quel point mettre quelques centaines d’anesthésiés par la peur de déplaire dans une salle surchauffée de bijoux et de haute couture, peut dériver vers des horizons glaçants. Le réalisateur de La Zone d’intérêt, césarisé au titre du meilleur film étranger, était absent. C’est donc le producteur David Grumbach qui a lu pour lui qu’ »aujourd’hui, la Shoah et la sécurité juive sont utilisées pour justifier les massacres et le nettoyage ethnique à Gaza ». Il n’y a aucun problème à ce que ces paroles soient prononcées, je demeure attachée à la liberté d’expression de toutes les saloperies. Ce qui m’a révulsée, ce sont les applaudissements enthousiastes de la salle, l’unanimité dans l’acceptation du narratif des islamistes, comme un soulagement d’enfin exprimer son antisémitisme sous couvert d’humanisme.
La même séquence s’est reproduite aux Oscars – ennui et absence flagrante d’humour en majesté – où Basel Adra et Yuval Abraham, réalisateurs palestinien et israélien de No Other Land, ont parlé d’apartheid, de suprématisme et de nettoyage ethnique et n’ont soulevé que les applaudissements convenus, comme si ces paroles ne justifiaient aucune contradiction. Nous sommes loin de 1978, et de Vanessa Redgrave prononçant un virulent discours où elle dénonçait un « petit groupe de truands sionistes » : la moitié de la salle l’a huée, l’autre moitié applaudie, tandis qu’à l’extérieur, les manifestations pour et contre se déchaînaient. Cette séquence était saine : elle disait le débat, la contradiction, la possibilité de s’opposer sans craindre de rater le prochain casting ou la fête où il faut être. Les médias américains se sont réjouis du calme de la cérémonie, de l’absence de dérapages, de ce long fleuve tranquille où un unique coupable a permis de faire l’unanimité pour préserver l’harmonie propre aux tyrannies.
Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste
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Author : Abnousse Shalmani
Publish date : 2025-03-07 11:00:00
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