Si le jean est passé des fermes américaines aux podiums de la Fashion Week, c’est grâce à lui. A presque 70 ans, Renzo Rosso n’est pas peu fier d’avoir fait entrer ce vêtement de travail du XIXe siècle « dans les collections de mode et les garde-robes d’aujourd’hui ». En 1978, l’ancien élève du Marconi Technical Institute de Padoue, où il a étudié les propriétés du textile, travaille pour le fabricant de pantalons Moltex, qui collabore avec différentes marques italiennes de prêt-à-porter. « Mon patron, Adriano Goldschmied, est devenu une sorte de mentor, raconte Rosso, cheveux en pétard et initiales gothiques tatouées sur les phalanges. Lorsque j’ai voulu me mettre à mon compte, il a accepté de lancer avec moi une nouvelle entreprise. Le début de Diesel. » Un nom, prononçable dans toutes les langues, qui sonne comme un pied de nez à la crise pétrolière du moment. Des prix insolents, bien plus élevés que ceux de la concurrence. Et des pubs foutraques, ponctuées d’un slogan qui claque : « Be stupid. » La marque trouve vite sa place dans les dressings de la jeunesse branchée. Sept ans plus tard, Rosso prend 100 % du capital et creuse son sillon, avant de donner libre cours à sa boulimie d’acquisitions.
Avec le rachat de Staff International, il met la main en 2000 sur la production et la distribution de Vivienne Westwood, Dsquared2, Just Cavalli ou la ligne homme de Marc Jacobs. Maison Margiela, Viktor & Rolf, puis Marni tombent ensuite dans son escarcelle. Des griffes réunies dans une holding, OTB (Only the Brave), qui emploie aujourd’hui 7 000 personnes environ, pour un chiffre d’affaires proche de 2 milliards d’euros. En 2009, il est l’un des premiers à miser sur le potentiel du marché en ligne en devenant le plus gros actionnaire minoritaire de Yoox/Net-A-Porter. Cinq ans plus tard, il ne s’effraie pas de la disgrâce qui frappe John Galliano pour ses propos antisémites et le nomme directeur artistique de la Maison Margiela. La même année, il charge Nicola Formichetti, un Italo-Japonais de 37 ans, de relancer Diesel, en perte de vitesse. Des paris qui se sont à chaque fois révélés gagnants.
Le contexte est un peu moins rose aujourd’hui. Après les années fastes qui ont suivi la pandémie de Covid, le secteur du luxe a perdu 50 millions de clients en deux ans, dans un marché en recul de 2 % en 2024 selon la dernière étude du cabinet Bain & Company, réalisée en partenariat avec Altagamma, l’association italienne des fabricants. OTB n’a pas échappé à ce coup de froid, lié notamment à l’atonie de la consommation en Chine. L’an dernier, ses ventes ont dérapé de 5,2 % à taux de change courants. « Le phénomène n’est pas uniquement italien mais mondial, pointe Renzo Rosso. Les nombreux conflits, la politique de la nouvelle administration Trump sont autant d’éléments qui distillent de l’appréhension. »
Fidèle à son mantra – « oser, toujours » -, l’homme reste pourtant à l’affût. Lors de la dernière Fashion Week milanaise qui s’est achevée le 3 mars, les coulisses bruissaient de rumeurs sur la vente prochaine de Versace. La société américaine Capri, qui avait acquis cette marque italienne emblématique en 2018, souhaite la céder. Les manifestations d’intérêt pour la faire revenir dans le giron national sont nombreuses. Et si le groupe Prada semble favori, Rosso rode. « Je participe à la course, confirme-t-il à L’Express. Ces négociations sont très compliquées. Prada semble en meilleure position que nous mais rien n’est fait. OTB a un ADN qui épouserait parfaitement celui de Versace. Notre groupe est solide, les marques qui veulent le rejoindre ne manquent pas mais je cherche avant tout des labels avec une personnalité et une identité unique. »
La mode… mais aussi l’hôtellerie
Dans cet univers où le succès repose souvent sur l’instinct artistique de quelques individus, le fondateur de Diesel, qui a repoussé son entrée en Bourse à 2026, plaide pour un modèle d’entreprise en réseau, plus à même selon lui de libérer les énergies. « Les méga-conglomérats qui font tout en interne sont des mastodontes qui appartiennent au passé. Nous en avons encore quelques exemples en Italie. La clé, pour être rapide et intelligent, c’est de disposer de structures connectées, même si elles ne vous appartiennent pas directement, mais qui respectent les mêmes valeurs de qualité. Chez OTB, nous sommes tous des petits entrepreneurs de nous-mêmes. »
Pour ce passionné de business, qui a cousu son premier jean taille basse sur la machine de sa mère avant d’exercer différents petits boulots – mécanicien, charpentier…-, la mode n’est qu’un terrain de jeu parmi d’autres. Fils d’agriculteur, c’est tout naturellement qu’il a acquis au début des années 1990 une ferme bio, la Diesel Farm, à Molvena, où il produit de l’huile d’olive, et un domaine viticole de 100 hectares à Marostica, dans sa Vénétie natale. Les raisins y sont cultivés selon les principes de l’agriculture biologique et récoltés à la main. Depuis 2023, la holding Brave Wine chapeaute ces emplettes dans l’alimentaire, dont plusieurs cantines dans le Piémont ou en Sicile, et une participation dans la chaîne de commerces bio Naturasi.
En matière d’hôtellerie, Renzo Rosso fait aussi figure de pionnier. Une diversification qu’il a amorcée bien avant Versace, Missoni ou Armani. « C’était en 1990, se souvient-il. Lors d’une escale pendant un voyage en Amérique du Sud, j’ai découvert Miami et je suis tombé amoureux de ses contrastes, de ses couleurs, de sa lumière. Je me suis promené le long de l’océan et j’ai vu le Pelican, un hôtel Art déco laissé à l’abandon. Je l’ai acheté, au feeling. » Dans la foulée, l’équipe créative de Diesel est mobilisée pour le restaurer et le meubler avec des œuvres d’art. L’établissement rouvre ses portes quatre ans plus tard. « C’est un havre de paix qui vibre aujourd’hui au rythme de la mode, de la culture. Un symbole du design à Miami Beach. Et l’un des rares endroits au monde où je peux me détendre complètement et profiter de l’atmosphère de la ville, entouré de gens qui aiment la vie », confesse l’heureux propriétaire de deux autres hôtels, à Londres et Cortina, et de l’équipe de foot de sa ville d’origine, Bassano del Grappa. L’an dernier, nouvelle tocade : par le biais de son véhicule personnel d’investissement, Red Circle, dirigé par sa femme, il a jeté son dévolu sur le groupe Villa Brasini, un ensemble de cliniques de chirurgie esthétique présentes à Rome, Milan ou Naples, qui comptent de nombreuses stars parmi leurs clientes, comme l’actrice américaine Drew Barrymore.
En bon milliardaire soucieux de « faire le bien de la société », ce père de sept enfants n’en oublie pas la philanthropie. OTB a contribué à hauteur de 5 millions d’euros à la restauration du pont du Rialto, à Venise. La Only the Brave Foundation ouvre des écoles en Afrique, soutient les femmes en Inde et accompagne l’accueil en Italie de centaines de réfugiés ukrainiens, en facilitant leur insertion dans les entités du groupe.
La presse transalpine le compare volontiers à Bernard Arnault ou François Pinault, et le verrait bien à l’origine d’un « LVMH ou d’un Kering italien ». Une analogie un peu trop flatteuse, estimait-il dans le Financial Times après la pandémie : « Les groupes français sont des géants et on ne peut pas imaginer atteindre ce niveau. J’apprends d’eux et les observe avec admiration. » Avant d’ajouter, l’air de rien : « Les marques italiennes peuvent s’unir et chacune peut contribuer à renforcer l’autre. Nous n’avons peut-être pas le niveau de capitalisation boursière de nos voisins mais nous avons quelque chose de spécial : la créativité. » Bravache, jusqu’au bout.
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Publish date : 2025-03-09 11:00:00
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