Hasard des programmations ou sorties dûment orchestrées ? Toujours est-il que deux poulains de Gallimard, Eric Fottorino et Tonino Benacquista, nous entraînent simultanément dans les coulisses de l’édition, un milieu toujours croustillant (car fort en grandes gueules, en ego et en flamboyances) et nous livrent, le premier vu du côté de l’écrivain, le second de l’éditeur, deux ouvrages des plus savoureux.
Des gens sensibles, de l’auteur de Korsakov, est le plus personnel, ses personnages étant tirés de grandes figures du monde littéraire : ainsi reconnaît-on Claude Durand, un temps PDG de Stock, sous les traits de Charles Follet, le patron des Editions du Losange, Chantal Lapicque, égérie de cette même maison d’édition sous ceux de Clara, l’étincelante et énergique attachée de presse, et le grand auteur algérien Rachid Mimouni en Saïd, l’écrivain traqué par les islamistes. Quant à son narrateur, Jean Foscolani, sur le point de publier un premier roman sur sa quête des origines, il ressemble furieusement, en moins armé, à son créateur. Mais peu importe, nul besoin d’être initié pour apprécier la puissance de ce tableau qui prend place à la fin des années 1990 – par ailleurs tragiques pour les artistes algériens, de Lounès Matoub à Tahar Djaout (bien sûr, on pense aujourd’hui à Boualem Sansal). Avec des accents modianesques, Eric Fottorino relate le drôle de trio formé par ses protagonistes avec, d’un côté, Clara, l’attachée de presse au grand cœur et à la descente facile, de l’autre, Saïd, le grand amour de Clara, mais qui vit essentiellement à Tanger où il s’est réfugié avec sa famille, et au milieu, le narrateur de 20 ans auquel Clara a lancé, non pas « Toi, chéri, t’as une gueule d’écrivain », à l’instar d’une Françoise Verny, mais, avec la même voix rauque, « Tu seras la coqueluche de cette rentrée ».
« Ecrire, c’est se venger », notait Tonino Benacquista dans Porca Miseria (2022). Le narrateur de Tiré de faits irréels, l’éditeur Bertrand Dumas, n’a pas monté sa maison en 1986 pour se venger, mais pour éclairer l’homme sur la beauté et la complexité du monde. On le retrouve, la veille d’un rendez-vous au tribunal de commerce. C’est que sa maison va mal, entre les auteurs qui traînent ou qui trahissent, ses « feel-bad books » qui n’ont pas tous trouvé preneur et les refus des financiers. L’éditeur de la vieille école, incapable de céder à l’air du temps, plonge dans les souvenirs de quarante ans de métier, les milliers de manuscrits refusés, relégués dans ce qu’il appelle les « Limbes », et autant d’heures de lectures, les 641 titres de son catalogue, ses deux cents auteurs, vivants et disparus. Il raconte aussi, sur un ton jubilatoire, la comédie littéraire, entre les émissions de TV, les séances de signatures lors des salons du livre, les jalousies entre auteurs, les jurés littéraires si courtisés et la surproduction inquiétante (plus de 10 000 romans sont publiés en France par an). Des ruminations tout aussi piquantes que profondes. Arrive l’heure de la demande de liquidation auprès du tribunal. A moins qu’un « coup du sort » vienne enrayer la fin annoncée de « Bertrand Dumas Éditeur »….
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Author : Marianne Payot
Publish date : 2025-03-10 10:14:00
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