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Grand Prix des personnalités Sciences et santé : Venki Ramakrishnan, le pionnier des ribosomes

Grand Prix des personnalités Sciences et santé : Venki Ramakrishnan, le pionnier des ribosomes

L’Express a placé la défense de la rationalité au cœur de son ADN. C’est pourquoi, chaque semaine, nous mettons en lumière les bénéfices qu’apporte la recherche à la société, sans jamais hésiter, non plus, à apporter notre contribution à la lutte contre la désinformation scientifique. Nous avons choisi, cette année encore, de prolonger cet engagement en soutenant des chercheurs qui partagent ces combats grâce à un événement dédié : la remise des Prix des personnalités Sciences et santé. Le Grand Prix est attribué à Venki Ramakrishnan.

Plus vieux que l’ADN, ils sont pourtant méconnus du grand public, et même d’une majeure partie des scientifiques. Les ribosomes décodent l’information génétique transcrite en ARN messager afin de synthétiser les protéines, l’une des actions biologiques les plus anciennes et fondamentales. Preuve de l’importance de ces particules universelles, chaque molécule dans n’importe quelle cellule de toute forme de vie est fabriquée soit par des ribosomes, soit par des enzymes qui eux-mêmes ont été produits par les ribosomes. Longtemps passés de mode chez les biologistes, ces complexes ribonucléoprotéiques ont, à partir des années 1990, fait l’objet d’une véritable compétition entre équipes scientifiques afin de déterminer leur structure atomique.

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Venki Ramakrishnan est l’un de ces pionniers, ce qui lui a valu de recevoir le prix Nobel de chimie en 2009 avec Thomas Steitz et Ada Yonath. Dans le passionnant Gene machine paru en anglais en 2018, il dévoile les coulisses de cette « course pour déchiffrer les secrets du ribosome », tout en revenant sur son étonnant parcours qui a toujours fait de lui un « outsider ».

Né en 1952 en Inde, Venki Ramakrishnan a grandi dans une famille de scientifiques, entre un père biochimiste, une mère psychologue et une sœur, Lalita, devenue professeure d’immunologie. Grand fan de Richard Feynman, légendaire théoricien et vulgarisateur, il se rend aux Etats-Unis pour suivre des études de physique. Mais en dépit d’un doctorat obtenu à l’université de l’Ohio, le jeune homme, guère enthousiasmé par sa discipline, décide de repartir à zéro en s’initiant à la biologie à l’université de Californie à San Diego. C’est en postdoctorat à Yale que Venki Ramakrishnan découvre les ribosomes, sous la houlette de Peter Moore. Chercheur au laboratoire national de Brookhaven, puis à l’université de l’Utah, il rejoint en 1999 le laboratoire de biologie moléculaire de Cambridge, acceptant une large perte de salaire afin d’intégrer la Mecque de la discipline. Cambridge est aussi le lieu de naissance de la cristallographie, technique la plus puissante pour étudier des structures à l’échelle atomique. Sa femme Vera, illustratrice pour enfants, qui l’a suivi tout au long de sa carrière, l’avertit que ce sera là leur dernier déménagement. « La menace tient toujours aujourd’hui », s’amuse le scientifique.

« Maladie du Nobel »

En 2000, c’est le tournant : son laboratoire, à l’aide de la cristallographie, détermine la structure atomique complète d’une sous-unité 30S, soit la plus petite des deux sous-unités formant un ribosome. En 2007, l’équipe met au jour la structure d’un ribosome entier. Si ces travaux permettent de comprendre comment le ribosome « lit » le code génétique, ils ont aussi des applications pratiques. Certains antibiotiques ont la capacité de bloquer l’action des ribosomes bactériens. La compréhension de ces structures donne ainsi des espoirs pour la recherche de nouveaux antibiotiques pouvant inhiber spécifiquement le ribosome bactérien, et donc traiter des infections dues à des bactéries qui développent une résistance aux antibiotiques classiques.

En 2009, le prix Nobel n’est pour Venki Ramakrishnan que le début d’une série d’honneurs et de récompenses. Mais, toujours modeste, l’homme rappelle à Stockholm que ses co-lauréats et lui sont avant tout des « capitaines ou des entraîneurs d’équipes ». Le soir de l’annonce, son épouse Vera l’a de toute façon immunisé contre la « maladie du Nobel », ce syndrome qui pousse certains lauréats à dépasser leur domaine de compétence et à s’exprimer sur tout et rien. Son commentaire ? « Je croyais qu’il fallait être vraiment intelligent pour gagner un de ces prix. »

De 2015 à 2020, Venki Ramakrishnan est président de la prestigieuse Royal Society, plus ancienne société savante encore en activité. A ce titre, l’immigré indien n’hésite pas à prendre position contre le Brexit, estimant que le départ de l’Union européenne fait du tort à l’image du Royaume-Uni comme havre pour y mener des recherches scientifiques. S’opposant aux politiques identitaires, il rappelle que si, jeune, il a eu pour héros le mathématicien indien Srinivasa Ramanujan, il a aussi idolâtré Richard Feynman, juif du Queens, et Marie Curie, Polonaise émigrée en France. Plus récemment, il a dénoncé les politiques d’immigration augmentant les frais de visa et d’assurance santé pour les étrangers.

Une société de centenaires est-elle vraiment enviable ?

En 2024, Venki Ramakrishnan publie le remarquable Why We Die (Hodder Press), un essai salué par la critique anglophone, et qui sera bientôt traduit en français par les éditions Odile Jacob. Le biologiste de Cambridge y retrace l’histoire des avancées scientifiques sur la compréhension du vieillissement et fait le point sur les principales pistes qui pourraient permettre de retarder les effets de l’âge : restriction calorique, sénolytiques [les cellules senescentes du corps], reprogrammation cellulaire, transfusions de sang plus jeune… S’il estime que nous sommes à la veille d’avancées majeures en matière de longévité, il remet aussi à leur place les scientifiques bien trop arrogants, à l’image d’Aubrey de Grey qui a déclaré que les premiers humains qui atteindront 1000 ans sont déjà nés. Contrairement à nombre de spécialistes dans ce secteur en pleine effervescence (plus de 700 start-up y ont investi des dizaines de milliards de dollars), lui n’a aucun intérêt financier ou académique sur le sujet. Venki Ramakrishnan peut ainsi librement apporter son point de vue sur l’état d’avancement des travaux sur le vieillissement.

« Avec tout l’argent déversé dans ce domaine, et avec tous les très bons scientifiques qui y travaillent, quelque chose finira par se produire. La question est de savoir combien de temps cela prendra. Ce que je dénonce, ce sont ces entreprises qui commencent à commercialiser des produits pour les humains à partir de résultats obtenus en laboratoire sur des souris, sans aucune autre forme d’essai », souligne-t-il. Le chercheur rappelle qu’à l’heure actuelle, pour vivre le plus longtemps possible en bonne santé, manger sainement, bien dormir et faire de l’exercice restent les moyens les plus efficaces. « Ces préconisations sont connues de longue date, mais, pendant longtemps, nous ignorions le rationnel biologique qui les sous-tendait. Maintenant, nous savons qu’une alimentation modérée va agir sur les voies liées à la restriction calorique. L’exercice a un pouvoir régénératif, entre autres sur les mitochondries [NDLR : les usines énergétiques des cellules] ». Mais une société de centenaires est-elle vraiment enviable ? Prenant son propre exemple, Venki Ramakrishnan rappelle que la plupart des avancées en sciences sont le fait de personnes encore jeunes. « Ce n’est pas seulement une question d’âge biologique : quand on est jeune, on voit le monde d’un œil neuf, on n’a pas de préjugés. En vieillissant, on devient plus conservateur. »

Un article de notre dossier spécial « Personnalités de L’Expresss Les Prix 2025 des sciences et de la santé », publié le 13 mars.



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Author : Thomas Mahler

Publish date : 2025-03-11 08:00:00

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