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Henna Virkkunen, commissaire européenne : « Il n’y a aucune pause dans nos enquêtes contre le réseau X »

Henna Virkkunen, commissaire européenne : « Il n’y a aucune pause dans nos enquêtes contre le réseau X »

Mettre au pas les géants de la tech, lutter contre les ingérences étrangères et les cyberattaques, contrer la manipulation de l’information, accompagner le développement d’un écosystème européen d’intelligence artificielle face aux rouleaux compresseurs américains et chinois… Les dossiers dont la nouvelle vice-présidente de la Commission européenne, Henna Virkkunen, a hérité sont brûlants. Cette Finlandaise qui a repris une partie du portefeuille de l’ancien commissaire français Thierry Breton n’est pas une novice à Bruxelles. Ex-députée européenne du PPE – la droite européenne -, elle navigue depuis dix ans dans les travées du Parlement européen, a pris part à la commission d’enquête sur les logiciels espions comme Pegasus et contribué aux nombreux débats sur la place de l’intelligence artificielle gravée dans l’IA Act. Elle accorde à L’Express sa première interview en France.

Votre portefeuille englobe la « souveraineté technologique, la sécurité et la démocratie ». Diriez-vous que la démocratie est menacée par les réseaux sociaux ?

Henna Virkkunen Les réseaux sociaux offrent le potentiel d’améliorer le débat et la participation dans nos démocraties. Cependant, comme nous l’avons vu récemment en Roumanie ou en Allemagne, il y a aussi des risques. N’oublions pas que ce que vous voyez sur votre écran est le résultat d’un algorithme. De fait, celui qui est responsable de l’algorithme a beaucoup d’influence sur l’opinion publique. Son fonctionnement doit donc être transparent. Des élections libres et équitables sont l’essence même des systèmes démocratiques. La Commission reste fermement engagée à promouvoir et protéger la démocratie dans toute l’UE, y compris pour aider à garantir l’intégrité des processus électoraux. Bien que les élections restent toujours une compétence nationale, en vertu du Digital Services Act [DSA], les très grandes plateformes en ligne – celles comptant 45 millions d’utilisateurs ou plus dans l’UE – doivent évaluer et atténuer un certain nombre de risques posés par leurs services. Nous avons déjà ouvert une enquête formelle sur la manière dont X, TikTok et Meta gèrent les risques pour le discours civique et les élections, et nous continuerons à examiner les preuves qui émergent dans le cadre de ces enquêtes.

Une procédure formelle a été ouverte contre X en décembre 2023. N’avez-vous pas, déjà, suffisamment d’éléments pour prendre une décision ?

Nous construisons des dossiers solides, fondés sur des preuves solides. Il n’y a eu aucune pause ni aucun retard dans les actions d’exécution de la Commission, y compris en ce qui concerne X. La Commission a toujours appliqué et continuera d’appliquer nos lois de manière équitable, en respectant tous les droits procéduraux et sans discrimination à l’égard de toutes les entreprises opérant dans l’UE, en pleine conformité avec les règles mondiales.

Les enquêtes prennent du temps. Au risque de faire passer l’Union européenne pour faible et démunie ?

L’UE est respectée internationalement pour avoir fixé des normes élevées en matière de liberté et de sécurité en ligne. Ce n’est pas une faiblesse. En fait, je dirais que c’est l’une de nos plus grandes forces. Nous ne devons pas nous précipiter mais nous assurer que nous disposons de preuves solides pour étayer nos conclusions. Si nous prenions des décisions que nous ne pourrions pas justifier devant les tribunaux, nous saperions notre crédibilité internationale et, surtout, affaiblirions la confiance des citoyens dans notre travail.

Vous soutenez que l’Europe ne doit pas imposer une méthode pour réguler les réseaux sociaux. N’est-ce pas un peu naïf ?

Je le répète : les plateformes qui opèrent dans l’UE doivent respecter nos règles. A elles de déterminer comment elles s’y conforment afin de garantir une expérience en ligne sûre pour tous les utilisateurs européens. Par exemple, elles doivent évaluer les risques que leurs services peuvent présenter pour les mineurs dans l’UE ou pour la sécurité publique et la santé publique, et prendre des mesures appropriées pour les atténuer. Le DSA ne prescrit pas ce que doivent être ces mesures, tant qu’elles sont efficaces. Notre rôle, en tant que Commission, est de les examiner et de nous assurer que c’est bien le cas.

En quoi votre vision de la liberté d’expression diffère-t-elle de celle d’Elon Musk ?

La liberté d’expression est une valeur fondamentale de l’UE. Je veux être claire : rien dans le DSA n’oblige les plateformes en ligne à supprimer du contenu légal. Ce texte introduit des mécanismes permettant aux utilisateurs de le contester lorsque cela se produit. Il exempte également les plateformes de toute responsabilité pour le contenu illégal publié par des tiers si elles ne sont pas au courant de ce contenu. C’est précisément pour les empêcher de supprimer trop de contenu ! Cependant, nous voulons que les plateformes en ligne suivent des règles en ce qui concerne le contenu illégal, tout comme nous avons des règles pour ce type de contenu hors ligne. Et nous voulons qu’elles donnent accès aux données pour que les chercheurs puissent comprendre comment leurs algorithmes donnent la priorité à certains contenus.

Donald Trump a relancé sa guerre commerciale contre l’Europe en visant d’abord l’acier et l’aluminium. En guise de rétorsion, l’Europe pourrait-elle cibler les grandes entreprises technologiques américaines ? Par exemple, en renforçant le Digital Services Act ?

Permettez-moi de vous rappeler que les Etats-Unis et l’Union européenne sont les plus grands partenaires commerciaux l’un de l’autre. Le commerce de biens et services entre l’UE et les Etats-Unis a atteint 1 600 milliards d’euros en 2023. Cela signifie que chaque jour, des biens et services d’une valeur de 4,4 milliards d’euros traversent l’Atlantique entre l’UE et les Etats-Unis. Et il est important de reconnaître que, contrairement à ce qui est parfois affirmé, le commerce de biens et services entre l’UE et les Etats-Unis est très équilibré. Le Digital Services Act et le Digital Market Act [DMA] sont des lois de l’UE adoptées par des processus démocratiques pour protéger nos citoyens et favoriser la concurrence au sein de l’UE. Ce ne sont pas des instruments de commerce. Ils sont et seront appliqués de manière impartiale pour le bénéfice des citoyens européens, indépendamment du lieu où une entreprise a son siège, tant qu’elle exerce ses activités dans l’UE.

L’Europe a investi 200 milliards d’euros dans des centres de données, la France plus de 100 milliards, mais ils seront remplis de puces américaines, fabriquées en Asie. Les puces d’IA sont-elles le point faible de la stratégie européenne en matière d’intelligence artificielle ?

Il est vrai que les puces d’IA posent un défi pour la stratégie européenne, mais elles ne sont pas nécessairement un point faible. Bien que la plupart du matériel avancé fonctionnant dans les centres de données européens soit conçu en dehors du continent et fabriqué en Asie, l’Europe reste un acteur clef de la chaîne de valeur mondiale des semi-conducteurs. Je crois que l’Europe a tout ce qu’il faut pour réussir. Mais pour y parvenir, nous avons besoin de rapidité et d’unité. Nous pouvons compter sur une expertise de premier plan dans les technologies de fabrication de semi-conducteurs, la recherche et les matériaux, tous essentiels à la production de puces d’IA.

En outre, l’UE joue un rôle pivot dans la lithographie avancée, fournissant des outils critiques qui permettent la fabrication de processeurs de pointe. Les institutions de recherche européennes sont en tête de l’innovation en matière de semi-conducteurs, travaillant sur les architectures de puces de nouvelle génération et collaborant avec les leaders mondiaux de l’industrie. De plus, l’Europe possède une base solide de start-up innovantes dans le domaine des hautes technologies, favorisant un écosystème qui soutiendra également le développement de matériel spécialisé pour l’IA. Enfin, plutôt que de se concentrer uniquement sur l’emplacement de la production de puces, il est important de reconnaître le rôle plus large que joue l’Europe dans la définition de l’avenir du matériel d’IA. Bien que des défis subsistent, la position stratégique de l’Europe dans des parties clés de la chaîne de valeur des semi-conducteurs lui confère à la fois influence et opportunités à mesure que l’industrie évolue.

Beaucoup de voix en Europe demandent à adoucir l’IA Act qui encadre le développement de l’intelligence artificielle sur le continent. Que leur répondez-vous ?

Que nous avons dans l’Union européenne trop de bureaucratie et de lourdeurs administratives ! Nous allons voir comment les réduire. En ce qui concerne l’IA Act, je le mettrai en œuvre de manière favorable à l’innovation.



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Author : Béatrice Mathieu, Maxime Recoquillé

Publish date : 2025-03-12 15:54:00

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