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Cessez-le-feu en Ukraine : « Vladimir Poutine veut faire comprendre que son feu vert aura un coût »

Cessez-le-feu en Ukraine : « Vladimir Poutine veut faire comprendre que son feu vert aura un coût »

Rarement la diplomatie n’aura connu une telle surchauffe depuis le début de la guerre en Ukraine. Deux jours après l’accord entre Washington et Kiev autour de la proposition américaine de cessez-le-feu, Vladimir Poutine a esquissé jeudi un début de feu vert. « Nous sommes pour, mais il y a des nuances », a déclaré le président russe lors d’une conférence de presse, appelant à « s’attaquer aux causes profondes de cette crise ». Un « oui mais » du chef du Kremlin qui interroge sur ses intentions réelles, à l’heure où Donald Trump impose une pression croissante en vue d’un arrêt des combats. « L’objectif de la négociation ne sera pas pour les Russes de parvenir à un compromis, mais d’obtenir la totalité de ce qu’ils demandent », estime Marie Dumoulin, ancienne diplomate et aujourd’hui directrice du programme Europe élargie à l’European Council for Foreign Relations. Interview.

L’Express : Vladimir Poutine s’est dit jeudi « en accord » avec la proposition américaine de cessez-le-feu, tout en réclamant d’y apporter des « nuances ». Etait-ce pour le président russe une manière d’exprimer un refus sans en avoir l’air ?

Marie Dumoulin : Il s’agissait à mon sens d’une manière de renvoyer la balle à la partie ukrainienne. Depuis la prise de fonctions de Donald Trump, nous assistons à une sorte de jeu de ping-pong, où l’Ukraine comme la Russie tentent de se renvoyer la responsabilité d’un éventuel échec des discussions. Au départ, Donald Trump a donné l’impression de considérer que l’Ukraine était la partie difficile – allant jusqu’à dire qu’il était plus facile de traiter avec la Russie.

La rencontre en Arabie saoudite cette semaine entre Washington et Kiev, et l’acceptation par l’Ukraine de la proposition de cessez-le-feu, a toutefois permis de rectifier cette perception. Il était dès lors attendu de la Russie qu’elle se prononce à son tour. En expliquant qu’il est d’accord avec l’idée d’un cessez-le-feu, Vladimir Poutine a cherché à montrer qu’il n’était pas un obstacle au dialogue. Cependant, le fait de fixer des conditions est un moyen pour lui de faire comprendre que son feu vert aura un coût.

Est-ce également un moyen pour lui de gagner du temps face à un Donald Trump pressé de conclure ?

Je ne suis pas certaine que son objectif premier soit de gagner du temps. Vladimir Poutine voit avant tout ces négociations comme un moyen d’atteindre par une voie politique ce qu’il n’a pour l’instant pas réussi à obtenir par la voie militaire – à savoir prendre le contrôle de l’Ukraine. Et il pense que Donald Trump peut lui permettre de remplir cet objectif. Si d’aventure les Etats-Unis n’étaient pas prêts à céder aux exigences russes, alors Moscou se tournera à nouveau vers les armes.

Fondamentalement, Vladimir Poutine n’est pas intéressé par un cessez-le-feu. Son objectif est un « règlement définitif » qui prenne en compte ce qu’il désigne comme les « causes fondamentales » de ce conflit. Cela comprend, entre autres, un statut de neutralité de l’Ukraine, un changement de régime à Kiev et une modification de l’architecture de sécurité en Europe. Il compte sur les Etats-Unis pour forcer l’Ukraine et les Européens à accepter ces conditions.

Comment pourrait réagir Donald Trump ?

On peut noter que jusqu’à présent le président américain n’a pas traité l’Ukraine et la Russie de la même façon. A l’exception de quelques déclarations ou posts sur les réseaux sociaux, Donald Trump n’a jamais réellement augmenté la pression sur Moscou. Il a certes évoqué des sanctions économiques, mais n’a pris aucune décision forte en ce sens. Pas plus qu’il n’a évoqué la possibilité d’accroître l’assistance à l’Ukraine.

A l’inverse, il n’a pas hésité à utiliser des moyens de pression très puissants contre l’Ukraine, y compris la suspension de l’assistance militaire et l’interruption du partage de renseignements. Il y a donc une différence d’approche notable entre les deux pays. L’imprévisibilité de Donald Trump fait qu’on ne peut pas exclure que cela change, mais pour l’heure, nous n’en avons pas vu les signes.

Comment les Russes vont-ils tenter de négocier ?

La manière de négocier des Russes est habituellement d’avoir des objectifs extrêmement maximalistes, et de ne jamais s’en éloigner, voire d’ouvrir de nouveaux fronts, pour conduire la partie adverse à accepter leurs conditions. L’instrument militaire est une partie intégrante de cette stratégie de négociation, puisqu’il permet de maintenir une pression constante.

L’objectif de la négociation ne sera pas pour les Russes de parvenir à un compromis, mais d’obtenir la totalité de ce qu’ils demandent. C’est là qu’il y a une vraie asymétrie dans la manière dont nous envisageons des négociations. Pour nous, il s’agit d’un processus dans lequel les deux parties sont prêtes à des compromis pour parvenir à un accord. Pour la Russie, la négociation est simplement un autre moyen de parvenir à ses objectifs.

Si un accord venait à être conclu, la Russie se sentirait-elle vraiment tenue de le respecter ?

On ne peut pas exclure qu’elle tente de le violer. Tout dépendra des garanties qui accompagneront l’accord. S’il y a un cessez-le-feu, il sera crucial de pouvoir en surveiller la mise en œuvre – ce qui pourrait s’avérer complexe. La Russie acceptera-t-elle que ses troupes soient soumises à une forme de surveillance ? Par ailleurs, le respect de l’accord sera largement déterminé par les garanties de sécurité qui seront apportées à l’Ukraine. Ce point conditionnera en grande partie son acceptation par Kiev, en lui assurant que ce dernier ne sera pas violé dès le lendemain par la Russie. De fait, c’est un élément que les Russes seront le moins enclins à accepter.

Les Européens peuvent-ils déployer des troupes comme garantie de sécurité, sans l’accord de la Russie ?

Absolument. En tant qu’Etats souverains répondant à la demande d’un autre Etat souverain qu’est l’Ukraine, nous ne sommes pas obligés de demander son avis à la Russie. L’un des enjeux sera toutefois pour les Européens de déterminer la marche à suivre si les Russes venaient à frapper ces troupes. Il faut qu’il soit clair que ces forces ne sont pas là pour faire de la figuration et pourront réagir dans l’hypothèse où elles seraient prises pour cible. C’est précisément cet élément qui dissuadera la Russie de tenter une action : le fait de se retrouver potentiellement engagée dans une confrontation non seulement avec l’Ukraine, mais aussi avec des armées européennes mieux équipées.



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Author : Paul Véronique

Publish date : 2025-03-15 06:45:00

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