Aymeric* est « secouriste en santé mentale », mais n’est ni médecin ni psychologue. Comme plus de 100 000 personnes en France, cet enseignant en mathématiques a « simplement » suivi une formation de deux jours aux premiers secours en santé mentale (PSSM), déployée auprès du grand public depuis 2018 sous l’impulsion du ministère de la Santé. Le programme, originaire d’Australie, a été adapté par l’association PSSM France, et a pour objectif de « former des secouristes capables de mieux repérer les troubles en santé mentale […] et d’encourager à aller vers les professionnels adéquats », précise le site, qui revendique une méthode « scientifiquement validée ». « On ne forme pas des soignants, et on n’est pas là pour diagnostiquer. Notre philosophie, c’est de contribuer au changement de regard sur tout ce qui concerne le psychique pour savoir comment bien réagir face à une personne qui présenterait un trouble ou qui se trouverait en crise », appuie Caroline Jeanpierre, directrice de PSSM France.
Lors de sa formation en 2023, Aymeric, qui souhaitait avoir des clés pour éventuellement accompagner des élèves en souffrance, se remémore les définitions des maladies psychiatriques ou cet exercice « hyper utile », dans lequel un participant faisait face à son voisin suicidaire – incarné par le formateur – pour l’interroger sur son moral. Mais l’enseignant a très vite été dérangé par un autre aspect. « La moitié des personnes présentes ce jour-là travaillaient dans le domaine des médecines alternatives : il y avait des hypnothérapeutes, des sophrologues, des naturopathes… Je me suis demandé si ce n’était pas dangereux que ces gens aient ensuite l’étiquette de secouriste en santé mentale, car ils pourraient la mobiliser pour attirer des clients », relate-t-il, alors que l’attestation était automatiquement attribuée à l’issue de la formation, sans évaluation.
Aymeric n’a pas eu tort : sur Internet ou LinkedIn, L’Express a repéré plusieurs dizaines de pseudothérapeutes qui affichent cette casquette de secouriste. « La formation aux PSSM est instrumentalisée par des gens qui n’ont aucune compétence en psychologie et sont partisans de pratiques alternatives. L’expression secouriste en santé mentale leur permet de les légitimer, et apporte de la confusion dans l’esprit du grand public, qui maîtrise encore mal les distinctions entre professionnels du champ psy », déplore Mickael Worms-Ehrminger, docteur en santé publique et producteur d’un podcast sur la santé mentale, « Les Maux bleus ». Ennuyeux, alors que le ministère de la Santé, qui a financé le dispositif à son lancement, a fait de son déploiement l’une des mesures phares des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, en septembre 2021. D’autant plus que le dispositif séduit un large public : le nombre de secouristes en santé mentale formés par PSSM France ne cesse d’augmenter, avec une hausse de 92,5 % entre 2022 et 2023.
Des formateurs ésotériques
Si les personnes formées aux PSSM étaient initialement plutôt issues du champ médico-social, « de plus en plus de citoyens viennent d’autres secteurs professionnels », confirme Muriel Vidalenc, présidente de PSSM France. « Mais c’est le cœur de notre projet de s’adresser à tout le monde, et l’on ne peut pas interdire aux gens de participer à notre formation sur la base de leur profession. » L’association, en revanche, se dit très vigilante quant au profil de ses formateurs, qui doivent répondre à plusieurs pré-requis : suivre la formation aux PSSM, détenir une expérience personnelle et/ou professionnelle avec des personnes ayant des troubles psychiques, ou encore avoir déjà animé des formations en groupe. « Une fois toutes ces cases cochées, ils doivent développer leur parcours à l’écrit, et on peut y ajouter un appel téléphonique pour demander des informations complémentaires », détaille Muriel Vidalenc. Les sélectionnés suivent alors une formation de cinq jours, à l’issue de laquelle 85 % sont directement accrédités formateurs PSSM ; les 15 % restants devant réaliser des sessions supervisées ou repasser la formation dans son intégralité.
Cette sélection, a priori exigeante, ne semble pourtant pas infaillible : parmi les 1300 formateurs inscrits dans l’annuaire de PSSM France, L’Express a identifié au moins 70 profils promouvant, là encore, des pratiques pseudoscientifiques et concepts ésotériques. Aux côtés des nombreux sophrologues, une discipline dont l’efficacité n’a jamais été démontrée, figurent une « praticienne Reiki et accompagnante énergétique », une « accélératrice d’introspection » réalisant des « bilans psychoénergétiques », ou une « allumeuse de réverbère et magicière ». Toutes indiquent qu’elles sont également formatrices en PSSM sur leur site et réseaux personnels. Certains mobilisent des titres non réglementés par la loi – « psychopraticien intégratif », « coach professionnel » -, quand d’autres, parfois les mêmes, s’inscrivent dans des champs plusieurs fois dénoncés par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) – comme la douzaine de praticiens en « programmation neurolinguistique » (PNL), qui vise à « reprogrammer le cerveau afin d’y ajouter de nouveaux potentiels ». « La formation PSSM peut être qualitative, mais si les formateurs ont ce genre de profil déviant, ils peuvent tout à fait tenir des discours dangereux et éloignés des bonnes pratiques aux participants ! », alerte Hugues Gascan, fondateur du Groupe d’étude du phénomène sectaire (GéPS).
La promotion du jeûne et de la psychanalyse
Arnaud Carré peut en témoigner. Enseignant-chercheur en psychopathologie et membre du Conseil scientifique et pédagogique de PSSM France – chargé de l’actualisation des données sur lesquelles s’appuie la formation -, il a ainsi eu vent d’un formateur expliquant longuement les bienfaits du jeûne aux participants. Problème : cette pratique, loin d’être sans danger, n’apparaît nullement dans le contenu fixé par l’association, qui ne peut être « modifié, réduit ou complété », indique la convention d’engagement signé par les formateurs. « Sur la partie consacrée à la dépression, on va effectivement parler de l’hygiène de vie et de l’impact éventuel de l’alimentation, avec la prise de compléments alimentaires. Mais on doit tout de suite en préciser les limites, et rappeler que rien ne doit se faire en dehors d’un avis médical, développe Arnaud Carré, lui-même formateur aux PSSM. Supposons maintenant qu’un formateur soit très intéressé par la naturopathie. Le raccourci dépression égale alimentation peut vite venir, et conduire à cette promotion du jeûne. »
Autre exemple : alors qu’une diapositive de la formation affiche la psychanalyse parmi les « interventions efficaces dans la dépression » – une affirmation contestée pour les enfants et adolescents touchés par cette maladie -, les formateurs doivent normalement la contextualiser, en expliquant que « l’approche est présentée à titre d’illustration parce qu’elle fait partie en France de l’offre de soins, mais qu’elle ne bénéficie pas d’un consensus sur son efficacité comme les autres thérapies », clarifie Arnaud Carré. Pourtant, Deborah*, qui a été formée aux PSSM en début d’année, raconte une tout autre réalité. « La formatrice, qui était psychanalyste, a longuement insisté pour nous dire que c’était très efficace, et que cela pouvait même être mieux que des thérapies cognitivo-comportementales dans certains cas. Comme les gens qui étaient avec moi n’avaient pas de connaissances en santé mentale, personne n’a réagi. »
Muriel Vidalenc et Caroline Jeanpierre, les dirigeantes de PSSM France, avouent être « inquiètes » par ces situations, bien qu’elles n’aient pas directement eu de remontées au sujet de pratiques « déviantes ». Pour les éviter, ces dernières réfléchissent d’ores et déjà à généraliser les entretiens par téléphone, ou mettre en place un système de « client mystère ». « On a aussi des échanges réguliers avec la Miviludes, notamment quand on tique sur des profils au moment des candidatures pour devenir formateur », exposent-elles, convaincues qu’il y va de la « crédibilité » de leur formation. A ce sujet, un projet de recherche sur l’efficacité des PSSM en France a été lancé fin 2024, regroupant une dizaine d’universités et de CHU.
« L’objectif est de savoir si cela fonctionne vraiment, et cartographier les secouristes et formateurs : qui sont-ils, comment se sentent-ils… », liste Arnaud Carré, coordinateur du programme. Mickael Worms-Ehrminger, également associé à cette démarche, s’interroge tout de même : « En santé, avant de lancer un médicament ou une intervention, on l’étudie en profondeur pour être certains de ses bénéfices et connaître ses risques. Ici, on a généralisé avec une vitesse incroyable cette formation sans mener ce travail préalable, alors que les méta-analyses à l’international montrent des résultats mitigés. » L’engouement ne semble néanmoins pas prêt de s’arrêter : pour l’année 2025, quatorze formations sont prévues chez PSSM France, par groupes de 16. Toutes sont déjà complètes.
*Le prénom a été changé.
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Author : Alexis Da Silva
Publish date : 2025-03-16 07:45:00
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