Quelque peu encouragés par certains propos antérieurs de Donald Trump, par sa façon de balayer méthodiquement tous les contre-pouvoirs et par les saluts nazis de ses acolytes, plusieurs universitaires américains – Peter Hayes, Paul Lerner, Christopher Browning, Anne Berg – ont pointé d’étranges similitudes entre les premières initiatives du président des Etats-Unis et celles d’Adolf Hitler peu après son arrivée aux affaires. Il est vrai que l’humiliation infligée par Donald Trump et son vice-président J.D. Vance à Volodymyr Zelensky n’est pas de nature à les contredire – d’autant qu’elle fait remonter à la surface certains souvenirs un peu oubliés, dont celui d’Emil Hacha.
Depuis la capitulation de Munich et l’occupation allemande des Sudètes, les Tchèques s’attendaient au pire, et le 13 mars 1939, leur président, Emil Hacha, a demandé à être reçu par Hitler pour obtenir un relâchement de la pression allemande sur son pays. Exactement comme le chancelier autrichien Kurt Schuschnigg un an plus tôt, Hacha va se jeter de lui-même dans la gueule du loup. Par goût de la mise en scène et pour mieux saper la résistance de son visiteur, Hitler a tenu à le recevoir à 1 heure au matin du 15 mars, dans la nouvelle chancellerie de la Wilhelmplatz ; le Führer sera assisté par le maréchal Goering, son dauphin et principal acolyte.
L’interprète Paul Schmidt décrira ainsi l’arrivée du président Hacha : « Le petit homme âgé, ses yeux sombres empourprés par l’émotion, a été introduit dans l’obscur bureau d’Hitler. Il ne devait pas y avoir de discussion intime, d’homme à homme, ni même de dialogue, mais plutôt un long réquisitoire d’Hitler contre les Tchèques. Il s’est mis à répéter la même liste de crimes que celle qu’il avait déjà présentée aux Anglais et aux Français. […] Pour la sécurité du Reich, il était nécessaire que l’Allemagne établisse un protectorat sur ce qui restait de la Tchécoslovaquie. Hacha […] était comme pétrifié sur son siège en écoutant les propos d’Hitler. Il était étonnant que le vieil homme parvienne à conserver une attitude digne face à Hitler, après toutes les tensions auxquelles il avait été soumis. »
Quand Hacha s’évanouit
L’infortuné Hacha essaie bien de placer quelques mots, mais il est rudement interrompu et finit par renoncer. Après une nouvelle et très longue harangue du Führer, Goering entre dans le bureau, accompagné du général Keitel, qui racontera la suite : « Ces messieurs étaient debout autour de la table, et Hitler était en train de dire à Hacha que c’était à lui de savoir ce qu’il avait à faire. […] Nos troupes étaient déjà en marche, et elles franchiraient la frontière à 6 heures. Lui seul, Hacha, avait le pouvoir de décider si le sang serait versé ou si son pays serait occupé pacifiquement. Hacha a demandé qu’on lui accorde un répit, afin qu’il puisse téléphoner à son gouvernement à Prague. Pouvait-on mettre une ligne téléphonique à sa disposition ? Hitler consentirait-il à arrêter immédiatement le mouvement des troupes ? Hitler a refusé, en disant que nos troupes étaient déjà à proximité de la frontière. Avant que je puisse ouvrir la bouche, Goering est intervenu pour annoncer que son aviation serait au-dessus de Prague dès l’aube, et qu’il ne pouvait plus rien y changer. C’était à Hacha de décider s’il y aurait un bombardement ou non. Soumis à cette forte pression, Hacha a expliqué qu’il voulait à tout prix éviter un bain de sang. »
Hacha finit par obtenir la permission de téléphoner à ses ministres pour les prévenir de l’invasion et leur ordonner d’éviter toute résistance. La communication est établie, mais la ligne est presque aussitôt coupée, et en attendant qu’elle soit rétablie, Hacha se retire dans une pièce adjacente en compagnie de Goering, qui profite de ce délai pour lui faire une description apocalyptique de ce qui attend Prague en cas de bombardement par la Luftwaffe. « Je pensais, dira plus tard Goering, que cet argument permettrait d’accélérer tout le processus. » Effectivement, le résultat ne se fait pas attendre : Hacha s’évanouit.
Les remords de Goering
Goering commence à s’affoler, et on peut le comprendre : rien ne serait pire pour un tueur froid et calculateur que de commettre un homicide par imprudence ! Du reste, comme on ne prête qu’aux riches, Hitler et Goering seraient sans doute accusés par le monde entier d’avoir eux-mêmes assassiné le président. Or, celui-ci leur est infiniment plus utile vivant que mort. Grâce à une piqûre de camphre administrée par le docteur Morell, l’infortuné Emil Hacha est donc promptement ramené à la vie, la communication avec Prague est rétablie, et Hacha va signer à 4 heures du matin un communiqué préparé par Hitler, qui se termine par ces mots : « Les deux parties ont exprimé la conviction qu’aucun effort ne devait être épargné pour assurer la tranquillité, l’ordre et la paix dans cette partie de l’Europe centrale. Le président de l’Etat de Tchécoslovaquie a déclaré que dans ce but, il remettait avec confiance les destinées du peuple et du pays tchèques entre les mains du Führer du Reich allemand. Le Führer a accepté cette déclaration et a annoncé sa décision de placer le peuple tchèque sous la protection du Reich allemand. » Trois heures plus tard, les troupes allemandes se mettent en mouvement tout le long de la frontière ; le sort de la Tchécoslovaquie est scellé.
Le stratagème a donc pleinement réussi. On remarquera tout de même que, par un reste de décence ou par simple souci d’efficacité, le Führer n’a pas souhaité humilier Hacha en public. Autre différence notable : Hermann Goering, le second tourmenteur du président tchèque, semble avoir rapidement éprouvé quelques remords, si l’on en croit son beau-fils, le Suédois Thomas von Kantzow : « Hermann n’arrivait pas à se débarrasser du sentiment d’avoir agi comme un goujat. ‘D’accord, ne cessait-il de répéter à Emmy [son épouse], ce n’était pas digne d’un gentleman. Je ne suis pas un homme cruel. Mais aussi, pourquoi les Tchèques ont-ils choisi un homme aussi fragile ? Et pense aux affres que j’ai épargnées au peuple tchèque en forçant ce vieil imbécile à signer. Sa chère capitale de Prague aurait été entièrement rasée.’ Après quoi il a hoché la tête : ‘Malgré tout, il faut bien reconnaître que ce n’était pas digne d’un gentleman…' »
Ainsi donc, même les grands truands peuvent avoir de petites pudeurs. Mais c’était il y a huit décennies ; depuis lors, les seconds couteaux sont devenus encore plus impitoyables – même en Amérique…
*François Kersaudy est historien et ancien professeur aux universités d’Oxford et de Paris I. Il est notamment l’auteur des Secrets du Troisième Reich et de la seule biographie française du maréchal Goering (Perrin).
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Publish date : 2025-03-16 06:45:00
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