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François Bayrou en quête de décisions « radicales » : la bombe des retraites, les impatiences d’Emmanuel Macron

François Bayrou en quête de décisions « radicales » : la bombe des retraites, les impatiences d’Emmanuel Macron

On ne réveille pas un Premier ministre qui dort, sinon il mord. Non, François Bayrou ne s’était évidemment pas assoupi mais il avait transformé, depuis sa nomination, Matignon en un lieu singulier, tenant toute forme de pression à distance respectable. Pas l’enfer décrit par d’autres, mais une bulle hermétique. La course aux annonces, les fameuses punchlines, le rythme effréné, très peu pour lui. Ce n’est pas un hasard s’il n’a pas participé au moindre Journal télévisé de 20 heures en trois mois.

Dénicher une issue à un problème politique réputé insoluble ? L’agrégé de lettres classiques, grand amateur de Péguy, a souvent aimé citer un dialogue signé de l’auteur des San Antonio, Frédéric Dard : « – Comment trouves-tu mes fesses ? – Facilement. » Facile, ça l’est de moins en moins. Résoudre une équation budgétaire impossible ? Lui qui s’est constamment vécu comme un outsider, qui n’a jamais estimé avoir de compte à rendre à Bercy, a l’habitude de répondre « On s’en fout » et de continuer à avancer. Certains ex-conseillers de Michel Barnier, qui sont restés malgré le changement de patron, ont pu être un tantinet désarçonnés. Leurs notes de dix pages n’étaient plus lues et annotées le lendemain matin, et personne ne considérait que c’était la fin du monde.

Emmanuel Macron sent souffler le vent de l’histoire

Or voilà que c’est la fin d’un monde. Dehors, les armes peinent à se taire, Russes et Américains s’accordent pour piétiner les Européens, ici Emmanuel Macron sent souffler le vent de l’histoire. Et comme la grande ne chasse pas la petite, qui pouvait imaginer que le président oublierait un jour les conditions dans lesquelles s’est nommé, pardon, dans lesquelles il a nommé, puisque c’est ce que dit la Constitution, François Bayrou à Matignon ?

Le Premier ministre n’est pas né de la dernière pluie. « Je vois ce qui s’écrit, les papiers ne sont pas bons, je sais que ça vient de l’Elysée », remarque-t-il devant un ami du chef de l’Etat il y a quelques jours. Pourtant, au commencement était la paix. Son cabinet avait passé des consignes claires aux ministres : aucun conflit avec la présidence, on évite toute querelle d’entourage, « le PM ne veut pas de friture sur la ligne ». Sauf que… Le 7 mars, François Bayrou accepte de participer à une matinale – une émission concoctée pour lui, d’une durée inhabituelle de quarante-cinq minutes pour celui qui n’aime que les formats longs. Le choix du support interpelle Emmanuel Macron : en pleine crise internationale, le chef du gouvernement s’exprime sur CNews-Europe 1. C’est le fond qui va l’agacer franchement. Le Premier ministre déclare que Donald Trump « rend le monde plus dangereux qu’il n’était » et s’interroge sur le rôle d’allié des Etats-Unis : « Ça s’appelle une destruction de l’ordre international et une remise en cause de tout ce à quoi nous croyons. Et cette remise en cause, elle laisse les Européens stupéfaits. »

Allo président, pourquoi tu tousses ? Sur le terrain européen, Emmanuel Macron ne veut pas simplement être le meilleur. Il veut être le seul. L’influence de la France ne tient pas qu’à un fil, non, mais elle ne tiendrait qu’à lui. Déjà, avec Michel Barnier, il ne supportait pas que son Premier ministre fût convié au sommet du Parti populaire européen qui précède traditionnellement une rencontre des 27 chefs d’Etat et de gouvernement : « Tu veux vraiment y aller ? Les Français ne le comprendront pas. » Et aujourd’hui comme hier, ce président, selon la formule d’un proche, « déborde au coloriage sur tous les sujets », prompt à mettre son nez là où la Constitution ne prévoit pas sa patte, peu soucieux de la vie (et parfois de l’avis) de ses chefs de gouvernement successifs – au point qu’il a imaginé, ni plus ni moins, supprimer la fonction.

« Je connais les Français, je sais qu’il n’est plus possible de les brutaliser »

A l’heure où Donald Trump élève le catch, son spectacle, ses outrances et son goût du fake, en modèle politique (comme L’Express l’a raconté), François Bayrou dépareille, fidèle au précepte churchillien du « no sport », peu adepte des changements de rythme et chantre de l’authenticité. « J’aurai l’occasion de m’exprimer dans les jours qui viennent sur les choix que le gouvernement a l’intention de porter », annonce-t-il au lendemain de l’allocution solennelle du président qui, le 5 mars, réclame des « nouveaux choix budgétaires » et des « investissements supplémentaires » en raison de la nouvelle donne internationale.

Patience et longueur de temps – il prendra un mois environ pour évaluer les besoins, aide à l’Ukraine et efforts de défense. La situation, confie le Premier ministre à L’Express, « obligera à des décisions plus radicales » que celles qu’il avait prévues, mais il veut d’abord bâtir « une démarche approfondie qui exige que les gens vous croient » et éviter un raccourci dévastateur, qui aurait traversé les esprits jusqu’à l’Elysée : on couperait dans le social pour muscler le militaire. Ce serait alors selon lui la promesse d’un fiasco retentissant. « Il faut une méthode qui permette d’aller aussi vite que possible en laissant le temps à la conviction de l’opinion de se former, avance François Bayrou. Je connais les Français, je sais qu’il n’est plus possible de les brutaliser. » Il laisse cela à Edouard Philippe. De toute manière, il n’y a pas de majorité pour le faire et cela entraînerait, il en est convaincu depuis longtemps, un blocage de la société française. « Multiplier des annonces aujourd’hui est la plus grande stupidité, on ne peut plus faire de la politique comme avant, ajoute un ami du chef de gouvernement. Puisqu’un effort va être demandé aux Français, il ne s’agit pas de lancer le concours Lépine des solutions, 50 fronts, 50 inquiétudes. »

François Bayrou est comptable des équilibres à trouver dans ce paysage parlementaire. La première fois qu’il reçoit le premier secrétaire du PS Olivier Faure, il souligne : « Notre histoire est liée, au Comité national de la résistance un centriste a succédé à Jean Moulin. » « Oui, mais toi, tu veux le CNR sans la sécurité sociale », rétorque le socialiste. Entre conserver le soutien du Sénat et obtenir la neutralité du PS, la route n’est pas droite et la pente est forte. Le chemin, pavé de mauvaises intentions.

Mais les autres n’attendent pas, ni Emmanuel Macron, ni certains des ministres. Alors le chef du gouvernement rappelle à Sébastien Lecornu qui reçoit les groupes parlementaires qu’il a un supérieur hiérarchique (« Il faudrait que je sois là quand même », lâche-t-il lors de leur déjeuner du 10 mars), transmet à Bruno Retailleau le message de tourner sept fois la langue dans sa bouche avant d’imputer au Premier ministre la responsabilité de l’imbroglio algérien après un comité interministériel sur l’immigration. Il voudrait bien que cette question, sensible s’il en est, ne soit pas prise en otage par la compétition entre le ministre de l’Intérieur (qui n’a pas exclu de démissionner dans une interview au Parisien Dimanche) et Laurent Wauquiez pour la présidence des Républicains – intégrer les jeux de congrès, au PS ou chez LR, fait partie du travail.

Jaloux de sa liberté, capable de demander, lors d’un petit déjeuner du socle commun, d' »éviter les provocations face aux socialistes »… le lendemain de sa sortie sur la « submersion » migratoire, François Bayrou est également sourcilleux de son autorité. Gérald Darmanin ne s’y est pas trompé. Qu’il prononce le mot gentil devant le locataire de Matignon et le rectificatif ne se fait pas attendre : « Non, je ne suis pas gentil. Si tu es là, c’est parce que tu es compétent et que tu as un poids politique. »

« Bayrou ne fera strictement rien »

Les membres du gouvernement sont bavards, ils en ont reçu l’autorisation. Tout le monde dit ce qu’il veut, en contrepartie on n’agit pas, maugréent in petto des ex-ministres macronistes. Laurent Wauquiez le pense aussi tellement fort qu’on croirait l’entendre. Il n’a pas oublié ce que lui a glissé Nicolas Sarkozy juste après la nomination du centriste : « Bayrou ne fera strictement rien. Il faut penser à la suite au plus tôt. »

Ne rien faire ? Le maire de Pau – il répète régulièrement à son gouvernement qu’il a délibérément nommé beaucoup d’élus locaux – a un souci du détail qui détonne parfois. Pendant une réunion de la cellule interministérielle de crise consacrée à Mayotte, il a une conviction – et s’il a une idée en tête, il ne l’a pas ailleurs : des pompes sont nécessaires. En visioconférence avec le préfet, il le soumet à la question, « Combien y en a-t-il sur l’île ? », le haut fonctionnaire tente d’esquiver, il ne va pas s’en tirer comme cela, le Premier ministre revient à la charge, insiste…

Comme la confiance est introuvable à l’Assemblée, il a déniché un endroit où elle lui est garantie : en lui-même. Il ne doute pas de lui, c’est sa force, c’est sa faiblesse. Sa longue connaissance du pays et des gens – décortiquer l’opinion est l’un de ses passe-temps favoris – l’incite à suivre son flair, il ne veut être géré par personne. Evidemment, cela lui joue des tours. En 2017, à peine arrivé Place Vendôme, il avait provoqué la colère des magistrats en retweetant et likant avec son compte Twitter le message de défense de Marielle de Sarnez, visée par une enquête préliminaire. Une forme de soutien dans une affaire judiciaire que les syndicats avaient vite fait de juger inappropriée de la part d’un garde des Sceaux, une initiative toute personnelle de François Bayrou, dont l’équipe avait dû ensuite nuitamment modifier la biographie sur le compte, effaçant les mentions « ministre d’Etat, garde des Sceaux, ministre de la Justice » pour y laisser seulement la mention « maire de Pau ». Quand éclate l’affaire Bétharram, François Bayrou décide de répondre seul. A l’Assemblée nationale, il devait être chirurgical, il se montre imprécis. Des argumentaires concoctés par Matignon avant les émissions du dimanche pour les dirigeants centristes appelés à s’exprimer ? Aucun, non. Mais qu’on ne vienne pas le chercher. Le 20 février, en marge d’une réunion à l’Elysée, il s’approche d’Olivier Faure. La veille, le Premier ministre a violemment attaqué le PS lors du débat sur la motion de censure socialiste. « Tu agresses des gens qui t’ont sauvé la mise ? », s’étonne le premier secrétaire. » Il ne fallait pas faire Bétharram », répond le chef du gouvernement, qui n’a pas apprécié d’avoir été interpellé deux jours plus tôt par la députée PS Colette Capdevielle – « Je ne la connais même pas ! » – et qui reproche au PS d’avoir ajouté un paragraphe sur le sujet dans leur motion de censure.

« Il faut lui répéter dix fois les choses »

Ceci n’est pas un scoop : François Bayrou est de son temps, c’est-à-dire qu’il a l’âge qu’il a, 73 ans. Lorsqu’il dîne avec Yaël Braun-Pivet mardi 11 mars, aucun des deux n’a oublié un épisode qui remonte à novembre 2024. Lui avait publié dans Le Figaro une tribune afin de plaider pour une séparation des séances de débats et de vote à l’Assemblée nationale, sans en prévenir la présidente des lieux, elle s’en était étonnée dans un SMS. Réponse immédiate : « Quand j’ai été élu député pour la première fois, en 1978, tu avais 7 ans. »

Le Béarnais est solitaire. Il prépare une intervention à l’Assemblée sur l’Ukraine, ne sollicite pas les Armées, avant d’appeler lui-même au dernier moment Sébastien Lecornu : « Qu’est-ce que tu pourrais me dire de spectaculaire ? » N’en faire littéralement qu’à sa tête, démonstration. Le 10 février, au palais de l’Elysée, les participants au sommet de l’Intelligence artificielle ont des casques pour écouter les traductions des diverses interventions. Pas François Bayrou. Comme tous les propos sont d’abord en anglais, certains s’interrogent, impressionnés : serait-il bilingue ? D’autres, moins optimistes ou mieux informés, se demandent s’il n’est pas en train de bayer aux corneilles… Puis le vice-président chinois prend la parole (dans sa langue natale cette fois) et le Palois ne met toujours pas son casque. Cette fois, tout le monde le regarde – s’il maîtrisait à ce point le mandarin, ça se saurait. A la toute fin de l’intervention, il finit par se coller son casque sur les oreilles. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. « Il faut lui répéter les choses dix fois », relève un conseiller élyséen. Le Béarnais est aussi têtu, cela n’avait pas échappé à grand monde.

« Il sait durer », note Bruno Retailleau : est-ce un compliment ou une vacherie, voilà qu’on s’y perd un peu tant l’époque est aux Premiers ministres éphémères, on n’ose dire jetables comme les rasoirs. Le 22 mars, François Bayrou – qui aborde cette étape comme un non-événement – franchit le cap des 100 jours à Matignon, quand Michel Barnier était tombé au 99e. Le Savoyard s’était bien gardé de rouvrir le débat sur l’âge légal du départ à la retraite, parce qu’il ne voyait pas trop bien comment il aboutirait. Le centriste n’a pas eu ces pudeurs, tout à sa volonté de réhabiliter la démocratie sociale et de trouver des compromis, surtout là où ils sont impossibles : s’il a dit non dimanche au retour à 62 ans, il garde plus que jamais en tête l’idée d’un référendum, histoire de placer chacun devant ses responsabilités. Le premier savait exactement où il voulait aller, précis comme un commissaire, le second entend tenir compte des humeurs – en prenant le temps qu’il n’a pas.



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Author : Eric Mandonnet

Publish date : 2025-03-17 17:00:00

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