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Algérie, voile, démission… La stratégie sur un fil de Bruno Retailleau

Algérie, voile, démission… La stratégie sur un fil de Bruno Retailleau

Bruno Retailleau est un lecteur attentif de la presse. Le ministre de l’Intérieur a parcouru tous les articles relatant sa relation cordiale avec Emmanuel Macron. Deux hommes aux antipodes idéologiques, réunis par l’intérêt supérieur de la nation. C’est beau comme du Disney. Et plutôt juste. Le chef de l’Etat apprécie la rigueur du Vendéen, qui loue sa maîtrise des dossiers, et chacun, hier encore, le répétait plutôt deux fois qu’une. Désormais, Bruno Retailleau aimerait que cette concorde ne s’ébruite pas trop. Comprenez-le. Il est en campagne pour la présidence des Républicains face à Laurent Wauquiez. Qu’il travaille sous les ordres d’un président honni, passe encore. Qu’il l’apprécie, la potion est amère pour les adhérents LR.

Alors, ce dimanche 16 mars, le locataire de Beauvau feuillette Le Parisien l’esprit léger. « Retailleau menace de démissionner », titre le quotidien, interview à l’appui. La formulation exagère le contenu de l’entretien, relu en amont par Matignon et l’Elysée. Le ministre se contente d’affirmer qu’il refuserait de céder dans son bras de fer avec l’Algérie si « on lui demandait », après plusieurs relances. Qu’importe. Bruno Retailleau a son brevet d’opposition au macronisme. La nomination du Béarnais avait émoussé ce parfum de cohabitation qui flottait sous Michel Barnier. L’odeur remonte. Menacer de partir, n’est-ce pas signifier la prééminence des convictions ?

Le casse-tête algérien

Si tout était si simple. Laurent Wauquiez sait lire, surtout entre les lignes. Le candidat à la tête de LR prend au mot son concurrent. Avec une bienveillance suspecte, il lui donne raison auprès du Parisien et lui assigne un objectif ambitieux. « Le seul levier, c’est la dénonciation des accords de 1968. Le reste, c’est de l’agitation. Si le président refuse de les dénoncer, rester au ministère de l’Intérieur n’a pas de sens. » Cela tombe mal – ou bien -, Emmanuel Macron s’oppose à la dénonciation « unilatérale » de cet accord, qui facilite l’admission des Algériens en France. Partir ou avaler la couleuvre de trop : le piège est tendu. « Wauquiez va entrer dans chaque trou de souris, s’amuse un dirigeant LR. Retailleau s’est mis en difficulté. Il sera obligé de démissionner s’il n’obtient pas gain de cause sur le dossier algérien ».

Laurent Wauquiez s’est ici trouvé un allié involontaire. Il s’appelle François Bayrou. Ce 26 février, le Premier ministre rend compte à la presse du Comité interministériel de contrôle de l’immigration (CICI). La veille, Bruno Retailleau l’a convaincu d’y ajouter le cas de l’Algérie, qui refuse d’accepter plusieurs de ses ressortissants sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Devant la presse, le chef du gouvernement est brouillon. Il évoque en priorité un possible « réexamen » des accords de 1968. Rien sur la « riposte graduée » vantée par le locataire de Beauvau. « Cela a fait apparaître la riposte graduée comme non graduée », déplore un intime du ministre. Et nourrit le choix binaire imposé par Laurent Wauquiez. Après le rejet ce lundi 17 mars d’une liste de ses ressortissants à expulser soumise par la France, Bruno Retailleau a ainsi enclenché cette fameuse « riposte », avec la suspension de l’exemption de visa pour les détenteurs de passeport diplomatique algériens. Il doit désormais démontrer la force de cette panoplie de mesures réglementaires, loin du totémique accord de 1968 qu’il a lui-même sacralisé. Laurent Wauquiez ne sera pas, ô surprise, un allié. « Ma crainte est que ce soit très gradué et peu riposte », a-t-il lâché sur CNews ce 19 mars.

Avec Laurent Wauquiez, une guerre des récits

Bruno Retailleau marche sur un fil. Le ministre doit assumer sa singularité politique, sans rendre incongrue sa participation au gouvernement de François Bayrou. Surtout, ne pas donner l’impression de s’accrocher coûte que coûte à son poste. Ainsi, il répète ad nauseam que sa ligne droitière est soutenue par le Premier ministre. Les signes religieux dans le sport ? « Le Premier ministre a eu raison de rappeler la ligne du gouvernement, qui est l’interdiction du voile dans les compétitions sportives organisées par les fédérations », écrit-il sur X, après un couac gouvernemental. La riposte graduée contre l’Algérie ? Sa mise en œuvre reprend évidemment les conclusions du « Comité Interministériel sous la présidence du Premier ministre ». Autour du premier flic de France, on exhibe les arbitrages remportés à Matignon. Ce besoin de communication traduit une réalité : la présence à Beauvau de Bruno Retailleau est moins évidente qu’à l’automne.

Laurent Wauquiez joue, lui, la partition inverse. Le député de Haute-Loire s’échine à discréditer le maintien au gouvernement de son concurrent. Ce 18 mars, il cible lors des Questions au gouvernement (QAG) l’absence de grande loi immigration au calendrier parlementaire. Et qu’importe si une telle loi cathédrale a été écartée par François Bayrou dès sa nomination, sans que Laurent Wauquiez ne s’en émeuve alors avec véhémence. « Êtes-vous déterminé à donner les moyens à votre gouvernement d’agir face à une immigration incontrôlée ? », lance-t-il à la tribune. Bruno Retailleau se sait visé par cette fausse main tendue. Il esquisse un sourire. La proposition de loi Savin sur l’interdiction de signes religieux dans les compétitions sportives ne trouve pas plus ses faveurs. Il souhaite étendre cette prohibition dans « toute la vie sportive de clubs affiliés à des fédérations ».

L’art de la démission

En ce début janvier 2025, Bruno Retailleau échange avec un élu proche. Ce parlementaire dissuade le ministre de se lancer dans la bataille pour la présidence de LR. Et si un attentat frappait la France ? Le Vendéen le rassure. Les attaques du 13 novembre 2015 ont suspendu la campagne des régionales, avant que le vote n’ait finalement lieu. Oui, il peut cumuler ses fonctions à Beauvau et son statut de candidat à un scrutin interne. La réciproque est-elle vraie ? Bruno Retailleau ne compte pas quitter son poste. Il assure y obtenir des résultats et mesure le poids politique que lui confère ce magistère. « Partir ? Il faudrait que cela soit sur un sujet majeur, qui heurte mes convictions et l’intérêt national. Que ce soit un sujet compréhensible par le grand public », a-t-il récemment glissé en petit comité. L’homme ne veut pas « capituler » face au régime algérien et lui offrir son scalp.

La démission est un art complexe. Elle a ses précédents glorieux, comme le départ fracassant de Jacques Chirac de Matignon de 1976. Mais aussi sa litanie de coups d’épées dans l’eau, tel celui de Michel Rocard en 1985. Le ministre de l’Agriculture avait démissionné pour protester contre l’introduction de la proportionnelle, avant de se ranger vers le président sortant en 1988. « Tout ce qui apparaîtrait comme calcul politicien serait fatal, note un fidèle de Bruno Retailleau. Et nos signaux montrent que les Français de droite jugent qu’il est utile au gouvernement ». Un élu proche s’alarme, lui, d’un désaveu d’Emmanuel Macron sur le dossier algérien. « Si Macron l’humilie publiquement, il devra partir ». L’ex-patron des sénateurs LR s’épargnera dans ce cas la lecture d’articles laudatifs sur sa relation avec le président.



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Author : Paul Chaulet

Publish date : 2025-03-19 10:15:00

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