Il ne suffit pas d’un conseil de politique nucléaire pour effacer des années d’errements et de choix idéologiques. Alors que l’Elysée organisait ce lundi 17 mars un point stratégique permettant d’avancer sur les grands dossiers de la relance de l’atome – financement des futurs EPR, approvisionnement en uranium et recherche sur les réacteurs innovants y compris les modèles à neutrons rapides -, l’ancien président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, tirait, le même jour, la sonnette d’alarme lors d’un colloque organisé au Sénat par la revue Passages ADAPes.
« Notre système électrique commence à être menacé », a prévenu le président de Patrimoine Nucléaire et Climat (PNC), association dont l’objectif est de défendre la filière de l’atome. Cette fois-ci, le problème ne vient pas, comme en 2022, de la corrosion sous contrainte, mais de la montée en puissance trop rapide des énergies renouvelables.
Telle qu’elle est annoncée, la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui fixe, énergie par énergie, les grandes orientations de la politique française, rehausse les objectifs de développement pour les énergies renouvelables : d’un facteur 5 pour le solaire, 2 pour l’éolien terrestre et 37 pour l’éolien en mer[[ ! « Si l’on met en œuvre ce scénario, à l’échéance 2035, l’énergie nucléaire ne servira qu’à boucher les trous et à faire du suivi de charge [NDLR : baisser volontairement et temporairement la puissance fournie par un réacteur] », alerte l’ancien député UMP.
L’Europe applique en effet le mécanisme du « merit order » selon lequel les énergies renouvelables sont appelées prioritairement sur le réseau électrique. Tant qu’elles ne sont pas trop développées, la coexistence avec le nucléaire pose peu de difficultés. En revanche, si la part de l’éolien et du solaire grimpe trop, deux problèmes se posent. Tout d’abord, le fait de moduler la puissance nucléaire diminue la rentabilité de ce type d’installation. La Cour des comptes s’inquiète déjà du faible retour sur investissement des futurs EPR en raison des risques de dérapage des coûts de construction. Pour mémoire, le chantier de Flamanville devait durer cinq ans et coûter 3,3 milliards d’euros. Il s’est finalement étalé sur dix-sept ans pour une facture dépassant les 19 milliards.
En finir avec la politique du doigt mouillé
La modulation est également soupçonnée d’abîmer les réacteurs sur le long terme, même si l’on manque d’études pour le démontrer. « Il aurait dû y avoir un débat parlementaire sur ces sujets. Une loi sur la stratégie énergétique en 2023 devait être votée mais en raison de l’instabilité politique, nous n’avons rien eu de tout cela. Le gouvernement compte désormais utiliser un décret alors que ces derniers sont justement destinés à décliner ce qui est écrit dans les lois », déplore Bernard Accoyer, qui ajoute : « Sans débat parlementaire, il n’y a pas non plus d’étude d’impact. Aucune institution n’a été saisie pour essayer d’approfondir ces questions ».
Le décret sur la PPE est donc le fruit du seul travail de l’administration, laquelle n’est pas à l’abri d’influences politiques, comme l’a montré en 2023, la commission parlementaire sur l’indépendance énergétique de la France. Que faire pour éviter le naufrage énergétique qui se profile ? D’abord, reporter l’adoption du décret sur la PPE. « Il n’y a aucune urgence. La baisse préoccupante de la consommation d’énergie en France nous donne de la marge », prévient Bernard Accoyer. Ensuite, la France ne pourra pas faire l’économie d’études d’impact sur ses choix énergétiques.
La loi de 2015, toujours active, stipule que la part du nucléaire dans le mix électrique doit tomber à 50 %. Or, depuis l’enquête parlementaire de 2023, on sait que ce chiffre découle de choix purement idéologiques. Quel serait l’impact d’une telle stratégie sur le réseau, la production, les factures des consommateurs ? « La place de la science dans la décision publique est essentielle. On ne peut plus continuer à avancer au doigt mouillé sous la pression des lobbies et des spéculateurs en tout genre », conclut Bernard Accoyer.
Ce lundi, le gouvernement a montré qu’il suivait toujours le cap fixé à Belfort en 2022 par le président de la République. Cependant, à l’issue du conseil de politique nucléaire, rien n’a filtré sur la place respective de chaque énergie dans le mix électrique. Preuve qu’en matière de planification, nous avons encore quelques trous dans la raquette.
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Author : Sébastien Julian
Publish date : 2025-03-19 04:45:00
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