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IVG, la tragique histoire de Catherine Bakouche : « Elle a tenté d’avorter seule, et en est morte »

IVG, la tragique histoire de Catherine Bakouche : « Elle a tenté d’avorter seule, et en est morte »

En 1973, Jacqueline Remy racontait dans L’Express l’histoire de Catherine Bakouche, morte à l’âge de 23 ans, après avoir essayé d’avorter. La maman d’un enfant en bas âge n’avait osé parler à personne de sa seconde grossesse et, comme pour une femme sur mille à l’époque, sa tentative d’avortement lui avait coûté la vie. En 2025, cinquante ans après la promulgation de la loi Veil, l’ancienne ministre Laurence Rossignol, à l’origine du projet de loi déposé au Sénat, souhaite réhabiliter les femmes ayant avorté illégalement.

Dans L’Express du 24 décembre 1973

Rouen : « Laissez-nous vivre ! »

Les députés ont sauvé la loi de 1920 interdisant l’avortement. Des femmes, en France, continuent, de mourir.

Dans la nuit du 3 au 4 décembre, une jeune femme de 23 ans, Catherine Bakouche, a tenté d’avorter. Seule. Elle en est morte. Scandaleux ? Banal. Le garde des Sceaux, M. Jean Taittinger, l’a dit l’autre jeudi devant l’Assemblée : « Mille avortements clandestins se produisent chaque jour en France. Un avortement clandestin sur mille est mortel. »

Catherine Bakouche — née Catel — était « une femme sans histoires ». Une enfance heureuse passée dans un village normand, une famille catholique pratiquante — cinq frères et sœurs — qu’elle a quittée, munie du certificat d’études, pour se marier, jeune. Depuis un an, elle était employée à la Sécurité sociale de Rouen. Elle y était entrée — brillamment — sur concours. Elle venait d’être titularisée. Son mari travaille dans une entreprise de construction. De chantier en chantier, il était perpétuellement absent. Mais il lui téléphonait chez les voisins, et rentrait tous les week-ends.

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Une petite fille

Catherine était seule, le soir, dans le minuscule pavillon que lui prêtait sa sœur à Canteleu, une « banlieue » ouvrière de Rouen. Seule avec son fils Hassen, 3 ans, un enfant « nerveux, turbulent, souvent malade, mais si gentil », dit sa grand-mère. Plutôt secrète, – elle avait peu d’amis. Chaque matin, silhouette un peu forte et sans apprêts, elle conduisait Hassen chez sa nourrice, à bicyclette. En attendant de pouvoir s’offrir une voiture. Son rêve : une petite maison bien à elle. On économisait, chez les Bakouche. Et on pensait, aussi, à un second enfant. « J’aimerais bien une petite fille », avait un jour soupiré Catherine. Mais pas si vite. Le premier a été si « difficile ». Les nourrices sont rares et chères. Et le logement si petit…

Quand, il y a un mois ou deux, elle a su qu’elle était enceinte, Catherine n’en a vraisemblablement pas parlé à son mari, qui n’admet ni la contraception ni l’avortement. Elle n’en a pas fait part à sa mère, une femme de la campagne, épanouie, généreuse, qui, aujourd’hui, implore : « Je n’avais pas ces idées-là. Elle le savait. Mais, maintenant, dites aux femmes de prendre la pilule, surtout, qu’elles se dépêchent. »

A la nourrice de son fils, à sa voisine, Mme Jacqueline Sissoko, Catherine a seulement dit : « J’ai mal à la gorge en ce moment. Ça ne va pas. »

Tube de plastique

Elle n’a osé en parler à personne, à peine à ses collègues de bureau. Elle a vu deux médecins. Le premier lui a conseillé des comprimés. Le second des piqûres. Comme des centaines de médecins, ils l’ont fait patienter, jusqu’à ce qu’elle se résigne. Elle ne s’est pas résignée.

Le lundi 3, Catherine a travaillé, comme d’habitude. Le soir, elle a couché son fils. Elle a enfilé une chemise de nuit. Et elle a tenté de faire « passer ça » au moyen d’un tube de plastique de 30 cm de long.

On l’a retrouvée une quarantaine d’heures plus tard, étendue en travers de son lit, les yeux ouverts, la bouche ensanglantée. A ses pieds gisait la « sonde », pleine de caillots de sang. La porte était verrouillée, les volets clos. L’enfant, hagard, avait mis la maison sens dessus dessous : il avait vidé tous les placards, et même déballé ses cadeaux de Noël. Il avait passé trente-quatre heures au moins près du cadavre. Catherine Bakouche aurait pu s’adresser à ces médecins qui prennent 2 000 à 3 000 Francs pour un avortement. Elle aurait pu s’adresser au Planning familial, qui organise des débats au comité d’entreprise de la Sécurité sociale. Mais au Planning de Rouen, faute de personnel, faute de moyens, on doit prendre rendez-vous six semaines à l’avance. Elle aurait pu s’adresser aux médecins du Groupe information santé (Gis) de Rouen, qui, en trois mois, ont pratiqué 85 avortements sur les 800 demandes qu’ils ont reçues.

Elle aurait pu, elle aurait pu… C’est oublier qu’elle était seule, mal informée, qu’elle n’avait pas d’argent, qu’elle avait peur. C’est oublier, surtout, qu’elle se sentait coupable. Comme ces femmes de petits employés et d’ouvriers de Canteleu qui attendent une deuxième grossesse non désirée avant de se décider à prendre la pilule. « Elles ont peur de grossir, d’avoir le cancer, d’avoir des enfants monstrueux. Elles ont peur de leur mari, dit un médecin de la région. Mais, devant l’irréparable, tous les moyens sont bons : l’eau savonneuse, les comprimés de permanganate, l’eau de Javel, la tige de lierre. Mortels. »

A Canteleu, aujourd’hui, quand on prononce le nom de Mme Bakouche, les visages se ferment. Et il s’est trouvé quelqu’un, le jour de l’enterrement, pour protester : « On ne doit pas l’enterrer à l’église ».



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Publish date : 2025-03-20 06:30:00

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