Comment parvient-on en quelques mois seulement à passer de paria aux yeux de Donald Trump à interlocuteur respecté ? En ayant un Joel Kaplan dans son entourage, tout simplement ! Mark Zuckerberg en a fait lui-même l’expérience. Quelques semaines avant l’investiture du nouveau président américain, le patron de Meta convoque un cénacle d’une douzaine de cadres dirigeants en charge des politiques publiques et de la communication du groupe autour de lui. Un évènement très inhabituel, signe que l’heure est grave. Parmi les chefs, Kevin Martin, en charge de la politique américaine, David Ginsberg, responsable de la communication, et le fameux Joel Kaplan, proche de l’administration… Trump.
Arrivé dans le groupe Meta à l’aube des années 2010, cet ancien conseiller de George W. Bush, aux larges épaules, a l’oreille attentive de Mark Zuckerberg « comme personne d’autre », assure un proche de Joel Kaplan à nos confrères du Financial Times. C’est bien lui qui l’aurait encouragé, alors qu’il était encore vice-président des Affaires internationales de Meta, à enclencher un virage « Trump toute ». En filigrane : exit la modération et le fact-checking, place à la liberté d’expression totale sur le modèle de X.
Cette volonté ne date pas du rachat de Twitter par Elon Musk. Par le passé, Joel Kaplan s’était dressé contre les velléités modératrices au sein groupe Meta. Comme en 2016 par exemple, lorsqu’il avait défendu le maintien des groupes Facebook accusés de propager de fausses informations. Quatre ans plus tard, c’est encore lui qui aurait dissuadé Mark Zuckerberg d’ordonner la suppression d’une publication incendiaire de Donald Trump dans laquelle le locataire de la Maison-Blanche menaçait d’envoyer l’armée pour mater des manifestants.
À Meta, « le plus républicain » d’entre tous
D’aucuns tissent un lien entre sa tendance à défendre une liberté d’expression radicale et ses affinités partisanes républicaines. Dès le début des années 90, ce diplômé, major de promotion, de la faculté de droit de Harvard rejoint le Grand Old Party. Après avoir servi comme officier d’artillerie dans le corps des Marines américains, il devient l’assistant juridique du juge Antonin Scalia, réputé parmi les plus conservateur de la Cour suprême, avant d’occuper de 2006 à 2009 le poste de chef adjoint de cabinet sous la présidence de George W. Bush. Au sein de Meta, qu’il rejoint en 2011, il n’est, non pas perçu comme « le meilleur d’entre tous », mais davantage comme « le plus républicain », formule le Washington Post.
Le natif de Weston, une ville cossue du Massachusetts, ne serait pas seulement républicain, mais aussi un fervent soutien de l’actuel président. « Il considère Trump comme un rempart contre les régulations européennes qui, selon lui, pénalisent les entreprises américaines », nous apprend le Financial Times. Mi-décembre, Joel Kaplan publie sur Threads – le dernier-né de la galaxie Meta – une photo en compagnie du vice-président élu J.D. Vance à la Bourse de New York flanquée d’un message : « Je suis honoré d’avoir retrouvé le président Trump et le prochain vice-président J.D. Vance à la Bourse de New York aujourd’hui ».
L’architecte du rapprochement Trump-Meta
Une proximité que Meta compte bien mettre à profit pour réchauffer ses relations avec l’écosystème « MAGA » (Make America Great Again). Ces dernières années, Donald Trump a eu, à de nombreuses reprises, maille à partir avec Mark Zuckerberg. Le premier avait notamment accusé le second d’avoir conspiré contre contre lui lors de l’élection présidentielle de 2020. Pas plus tard qu’en juillet dernier, Donald Trump avait pris à partie le fondateur de Facebook – « ZUCKERBUCKS (sic) faites attention ! » – assurant qu’il était prêt à « envoyer en prison tous les fraudeurs électoraux ». Mais quelques jours plus tard, Meta levait les restrictions sur les comptes Facebook et Instagram du milliardaire à la mèche orange…
Là encore, l’ombre de Joel Kaplan plane au-dessus de cette réhabilitation. Après la tentative d’assassinat du candidat républicain, le quinquagénaire sent le vent tourner en faveur de Donald Trump et fait alors de l’apaisement des relations entre Meta et le candidat républicain une priorité stratégique. Cette éventualité, associée aux menaces continuelles de Donald Trump à l’encontre des entreprises qui soutiendraient le camp adverse, donne soudainement du poids aux alertes de Joel Kaplan. Un ancien cadre de Meta résume au Financial Times : « Il y a les règles officielles et il y a la règle Joel. Et Joel gagne à chaque fois ».
C’est ainsi que six mois plus tard, il est propulsé à la tête du département des Affaires internationales. Au même moment, Mark Zuckerberg acte la fin du fact-checking sur les réseaux sociaux du groupe. Pour le New York Times, aucun doute : « Joel Kaplan a joué un rôle clé dans l’annonce sur la modération des contenus. » Dans une interview accordée à Fox News début mars, Joel Kaplan défend la décision de Mark Zuckerberg – pour ne pas dire la sienne : « Nous avions un programme de vérification des faits par des tiers, qui était bien intentionné au départ, mais qui s’est avéré très sujet aux biais politiques partisans » et s’enthousiasme à l’idée de « travailler avec le président Trump ».
« Lobby baby, lobby »
Si Joel Kaplan a effectué sa mue dans le secteur privé voilà une quinzaine d’années, le quinquagénaire navigue habilement dans les eaux de l’administration américaine. Sa qualité d’ancien haut-fonctionnaire lui vaut une parfaite compréhension des rouages du pouvoir politique. Son carnet d’adresses bien fourni lui permet, entre autres, « d’aider Mark Zuckerberg à mener une offensive de charme à huis clos auprès des législateurs républicains », charge la sénatrice démocrate Elizabeth Warren, fin 2019 sur Twitter (devenu X).
Depuis l’arrivée de Joel Kaplan à Meta en 2011, les dépenses de lobbying de l’entreprise ont d’ailleurs explosé. En 8 ans, plus de 71 millions de dollars ont été consacrés aux activités de lobbying de Facebook, « soit près de 100 fois ce qu’il dépensait avant l’arrivée de Kaplan », insistait Elizabeth Warren. Cinq ans plus tard, les sommes allouées au lobbying ont continué à progresser. En 2024, elles ont atteint les 24,4 millions de dollars contre 12,62 millions de dollars en 2018, et 1,35 million en 2011, d’après les données de Statista.
Dans son rapport trimestriel, la maison mère de Facebook déclare flécher ces deniers sur des projets de loi relatifs à la sécurité des enfants, sur la réautorisation de la loi sur la surveillance du renseignement étranger (Foreign Intelligence Surveillance Act), ou encore sur le cryptage, les câbles sous-marins, les impôts et les publicités politiques. Au premier semestre 2024, Meta a injecté des sommes près de deux fois supérieures à Apple, de Google et de Microsoft pour ses activités de lobbying : 5,4 millions pour Meta contre 2 à 3 millions de dollars pour les autres. Avec Joel Kaplan à la tête des Affaires internationales, le mantra de Meta pourrait être : « Lobby baby, lobby« .
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Author : Ambre Xerri
Publish date : 2025-03-21 05:30:00
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