La guerre commerciale dans laquelle l’administration Trump jette le monde fragilise la mondialisation telle qu’on l’a connue depuis la chute du mur de Berlin. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait bien augmenté les droits de douane sur l’Union européenne ou la Chine, mais ces hausses avaient un caractère moins systématique qu’aujourd’hui. Désormais, Trump s’appuie sur une doctrine qui a été couchée sur le papier dès son élection en novembre 2024 par Stephen Miran, économiste qui a depuis pris la présidence du conseil d’analyse économique rattaché au président.
Ce document de quelques dizaines de pages intitulé A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System (Hudson Bay Capital) est rempli d’approximations et de contradictions, mais nous allons quand même essayer de le résumer. Pour Miran, et comme ne cesse de le répéter Trump, l’économie américaine est pénalisée par les déficits commerciaux. Il estime que ces déficits sont liés à la surévaluation persistante du dollar qui affecte la compétitivité américaine.
Les droits de douane vont faire monter le dollar
Pour corriger cet écart de compétitivité, Miran propose la mise en place de droits de douane importants. Problème, si cette politique fonctionne, elle va faire monter le dollar alors que les Etats-Unis souhaitent une baisse. Il faudra alors convoquer une grande conférence internationale pour convaincre (en les menaçant ?) les pays tiers de laisser le dollar se déprécier (on ne sait pas trop comment). L’auteur mentionne également, pour mieux piloter le système financier international, de contrôler les flux de capitaux qui font bouger les taux de change. En clair – autant qu’il est possible de l’être –, l’administration économique de Trump souhaite créer un monstre interventionniste commercial, monétaire et financier, fondé sur des idées fausses comme le protectionnisme, et qui fonctionne grâce à la menace et à l’intimidation. Cette analyse est incorrecte en de très nombreux endroits.
L’erreur la plus évidente porte sur les causes des déficits commerciaux américains, qui ne sont pas liés à des écarts de coûts mais au fait que, depuis la fin des accords de Bretton Woods en 1971 et le décrochage du dollar de l’or, la devise américaine s’est imposée comme la monnaie internationale. Or, un pays qui exporte sa monnaie et vend ses obligations et ses actions dans le monde entier plus que tout autre – ce qui est le cas de la plus grande puissance monétaire et financière au monde – importe forcément des marchandises et des services en excès. Les déficits commerciaux américains ne sont donc pas la conséquence de la faiblesse du pays mais de sa force, qui lui permet d’acheter de façon presque illimitée. L’autre erreur consiste à penser que des droits de douane imposés sur les importations américaines pourraient avoir un quelconque effet positif sur les Etats-Unis.
Un impact négatif sur la compétitivité des entreprises américaines
Le professeur Richard Baldwin explique parfaitement les choses. Depuis les années 2000, la mondialisation ne concerne plus seulement les échanges de produits mais les chaînes de valeur des entreprises. Les grandes sociétés américaines ou européennes sont organisées sur une base géographique mondiale assez standard : la recherche et développement et l’assemblage final dans les pays riches, la conception dans les pays émergents, la distribution dans les pays à croissance forte. Ainsi, 40 % des exportations chinoises vers les Etats-Unis sont des biens intermédiaires industriels utilisés dans le processus de fabrication finale d’entreprises présentes sur le sol américain. Une augmentation des droits de douane des Etats-Unis sur la Chine pèse sur la compétitivité des grandes entreprises américaines sans affecter celle des canadiennes ou des européennes. Lorsque Trump taxe les importations étrangères, il dégrade donc la compétitivité des groupes américains. Quand les pays visés répliquent, ce qui est le cas, c’est le coût de la chaîne de valeur industrielle mondiale qui augmente.
Les perturbations monétaires et financières plus ou moins bien contrôlées que l’administration Trump prépare vont augmenter l’incertitude sur les marchés, ce qui va sans doute tirer les taux d’intérêt vers le haut. A la clé, des coûts de production plus élevés, des frais financiers plus importants, et un consommateur, américain ou pas, appauvri. Face à cette malheureuse perspective, l’Europe, le Canada, la Chine… doivent rester rationnels, calmes et prévisibles et ne pas contribuer à défaire davantage l’ordre économique mondial post-1989.
Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères
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Author : Nicolas Bouzou
Publish date : 2025-03-20 12:00:00
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