« L’appareil est arrivé dans mes mains un peu par hasard, un peu par besoin, et il a ouvert les portes de ma prison intérieure », confie Letizia Battaglia à son amie Sabrina Pisu, quelques années avant sa mort. De cet entretien fleuve entre la photographe et la journaliste est né un livre en 2020, dont la version française est parue en janvier chez Actes Sud. Je m’empare du monde où qu’il soit retrace le parcours intime et artistique de Letizia Battaglia, passée à la postérité pour ses clichés sur les meurtres perpétrés par Cosa Nostra de 1960 à 1990. Dans la deuxième partie de cet ouvrage aussi dense que passionnant, Sabrina Pisu décrypte les mutations du journalisme italien, la mafia et le contexte des années de plomb dans la Botte.
Parallèlement, le Jeu de Paume déroule, au château de Tours, une rétrospective à la photographe sicilienne disparue en avril 2022, avec la collaboration des archives Letizia Battaglia, conservées à Palerme, et du centre de la photographie Camera Torino. Près de 200 tirages en noir et blanc éclairent la trajectoire d’une femme courageuse qui, outre sa contribution coup de poing à l’iconographie mafieuse, a également capté la vie de ses compatriotes, avec une prédilection pour les figures féminines. On ne saurait trop conseiller d’associer la visite de cette exposition avec la lecture du livre – mieux contextualisé – évoqué plus haut.
L’ouvrage, co-écrit par Letizia Battaglia et Sabrina Pisu, est paru, dans sa version française, chez Actes Sud.
Née en 1935 dans un milieu bourgeois, mariée dès l’âge de 16 ans à un homme qui la cantonne à la sphère domestique, la Palermitaine aux aspirations étouffées attendra la fin de la trentaine pour devenir « une personne à part entière ». Une dépression, une psychanalyse et des débuts dans la presse en tant que pigiste au quotidien de gauche L’Ora la feront advenir à elle-même. A Milan, où, après son divorce, elle est reporter pour subvenir aux besoins de ses filles, elle s’empare de la petite boîte noire en autodidacte, croisant sur sa route des intellectuels, tels que le futur Prix Nobel Dario Fo et le cinéaste Pier Paolo Pasolini avec lequel elle noue une amitié durable. De retour à Palerme en 1974, promue directrice de la photographie à L’Ora, Letizia Battaglia se fait le témoin visuel des guerres sanglantes entre clans mafieux. Ses images fortes, cadrées au plus serré, lui apportent la renommée. Parmi ses clichés les plus célèbres figurent l’arrestation musclée de Leocula Bagarella, tueur sans pitié de Cosa Nostra, ou la détresse, poignante, du futur chef d’Etat Sergio Mattarella serrant contre lui la dépouille de son frère.
Letizia Battaglia, « L’Arrestation du féroce parrain mafieux Leocula Bagarella ». Palerme, 1979.
Après l’assassinat, en 1992, des antimafia juges Falcone et Borsellino, dont elle était proche, Letizia Battaglia cesse de documenter les crimes mafieux, mais continue de saisir les contrastes de son île, entre extrême dénuement et aisance tape-à-l’œil, fêtes religieuses traditionnelles et rituels funéraires. Activiste, féministe, écologiste, élue municipale puis députée, elle milite sans relâche pour la sauvegarde du centre historique de sa ville gangrenée par la corruption et pour les droits humains des femmes, des enfants ou des internés psychiatriques. Lauréate du prestigieux prix W. Eugene Smith en 1985, elle parcourra le monde, son Leica en bandoulière. Turquie, Egypte, Yougoslavie, Union soviétique, Etats-Unis ou Sicile, même combat. Celui d’une femme engagée, convaincue de la fonction sociale de l’objectif.
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Author : Letizia Dannery
Publish date : 2025-03-22 13:00:00
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