Longtemps, ce fut une « maison » qui n’a pas eu de toit, que certains auraient volontiers condamné à l’errance avant de l’enterrer discrètement à la faveur d’une alternance politique. In extremis, la Maison des mondes africains vient de poser ses bagages à proximité de la place de la République à Paris, mais elle n’a toujours aucune certitude quant à sa pérennité. Le lieu est pourtant un projet voulu par Emmanuel Macron dans le cadre du renouveau de sa relation aux pays africains. Mais il suscite, depuis 2021, moult oppositions où se croisent, à des degrés divers, des parlementaires soucieux des finances publiques, des ministres estimant qu’ils ont d’autres priorités que la diplomatie culturelle, des militants d’extrême droite, des syndicalistes et quelques autres. Jusqu’à avoir frôlé, à plusieurs reprises, la sortie de route.
Premier mandat, Emmanuel Macron rêve de sortir de la « Françafrique » et de revoir les liens avec le continent africain, en s’appuyant sur la société civile. En 2017, il prononce un discours à Ouagadougou, au Burkina Faso, qui se veut une ode à la jeunesse locale. A Paris, il crée un conseil présidentiel pour l’Afrique, un organe indépendant, hors des circuits diplomatiques, chargé de lui donner une autre vision du continent. En 2021, il confie au politologue et historien camerounais Achille Mbembe un rapport sur « les nouvelles relations Afrique-France ». A peine émise, la proposition n° 2 « Bâtir la Maison des mondes africains et des diasporas » est reprise par Emmanuel Macron à Montpellier en octobre 2021. Les difficultés commencent.
Emmanuel Macron entouré d’étudiants à l’université de Ouagadougou, le 28 novembre 2017
Que mettre derrière cette « Maison des mondes africains » ? Le lieu est inspiré de l’Institut du monde arabe (IMA), présidé par Jack Lang, où se mêlent expositions, événements et conférences sur les pays du pourtour méditerranéen. Mais il n’est pas question d’un copié-collé. Contrairement à l’IMA, où les pays arabes sont représentés et, en théorie, financeurs, la Maison des mondes africains ne sera administrée que par la France. Exit, aussi, le mot « institut » jugé un peu daté et trop intello, une « maison » semble plus appropriée. Enfin, il faut inventer un autre modèle économique, les moyens des ministères ne sont plus ceux des années 1980. Le tout, alors que d’autres projets, comme la Maison des Outre-mer ou le musée de l’Histoire coloniale, sont enlisés et que des établissements comme le musée de l’Histoire de l’immigration à la porte Dorée ou le musée du Quai Branly, à la programmation proche, tentent de trouver un nouveau souffle.
L’Elysée s’enthousiasme, les ministères moins
Pour clarifier la vocation de la Maison des mondes africains, une mission de préfiguration est confiée à Elisabeth Gomis et Luc Briard. La première est documentariste et journaliste, elle faisait partie du conseil présidentiel pour l’Afrique, a participé à la Saison Africa 2020 et a l’oreille d’Emmanuel Macron. Le second est diplomate de carrière et connaît les arcanes du Quai d’Orsay. Ils imaginent un lieu qui serait à la fois un espace de rencontres culturelles, d’exposition, un éditeur de magazine, mais aussi une ressource pour les créateurs d’entreprise et de projet à la manière de France Services. Le calendrier n’est pas favorable, le rapport est rendu en mars 2022, la campagne présidentielle bat son plein, il faut attendre la réélection d’Emmanuel Macron pour que le dossier avance. A l’été 2022, lors d’un voyage présidentiel au Cameroun, au Bénin, puis en Guinée-Bissau, les auteurs ont enfin l’occasion de présenter leur travail au chef de l’Etat. Il s’enthousiasme, ses ministres moins. A peine de retour à Paris, Catherine Colonna, alors au Quai d’Orsay, fait savoir qu’elle n’est pas contre, mais qu’elle n’a pas les moyens. Le coût, estimé à 10 millions d’euros par an, doit être partagé à parts égales entre le ministère de la Culture et celui des Affaires étrangères.
Mais la Maison bénéficie de deux précieux soutiens : celui de Franck Paris, alors conseiller Afrique à l’Elysée, et celui de la direction de la mondialisation au Quai d’Orsay, que vient de reprendre Aurélien Lechevallier, un condisciple d’Emmanuel Macron à l’ENA, dont il est resté proche. Elisabeth Gomis est nommée directrice du lieu en octobre 2022. Elle n’a qu’un contrat d’un an mais elle passe outre, soulagée d’être salariée et d’être rattachée au ministère de la Culture, une tutelle plus facile à assumer avec ses partenaires africains que celle de la diplomatie en ces temps où la petite musique « France, dégage ! » monte dans plusieurs pays longtemps liés à l’Hexagone. Elle lui trouve un nom, la MansA, en référence à la « maison » en latin et au roi de l’empire du Mali au XIVe siècle, Mansa Moussa.
Très vite, pourtant, le déploiement de la Maison bute sur le choix de son implantation. Le projet nécessite plusieurs milliers de mètres carrés, modulables et de préférence dans des quartiers fréquentés par la jeunesse. Elisabeth Gomis, la directrice, pense aux anciens magasins Tati, à Barbès-Rochechouart, l’endroit a du sens pour les descendants d’immigrés et pas mal de Parisiens, il est vide depuis la disparition de l’enseigne emblématique et vient d’être repris par la mairie de Paris. Mais Emmanuel Macron ne veut pas de ce quartier, qui pourrait donner le sentiment de reléguer un projet lié à l’Afrique aux marges de la capitale. Exit Barbès ou la Goutte d’Or. Exit aussi des villes comme Montreuil et Pantin. La recherche du local tourne au casse-tête. Un temps envisagé, le bâtiment de la Fondation Cartier près de Denfert-Rochereau, qui doit être libéré fin 2025, est écarté. Trop compliqué juridiquement.
La Gaîté lyrique que la ville met en concession ? MansA arrive trop tard, elle n’a pas le temps de monter un dossier. L’Espace Cardin, lui aussi propriété de la commune ? Il a l’avantage d’être sur les Champs-Elysées, mais l’inconvénient d’être avant tout un théâtre, inadapté pour les ambitions de MansA. Les mauvaises relations entre l’Hôtel de ville qui détient beaucoup de foncier et l’Etat ne facilitent pas la recherche d’une solution. Au ministère de la Culture, certains commencent à imaginer une maison sans adresse fixe, à la manière du Festival d’automne qui installe chaque année sa programmation dans des lieux déjà existants.
En avril 2024, le dossier prend une tournure très politique quand Le Monde révèle qu’une nouvelle piste est à l’étude dans les locaux de la Monnaie de Paris. Depuis quelques années, ce bâtiment impressionnant en bordure de Seine, a élargi sa vocation : tout en gardant un atelier de production de monnaies de collection et de médailles, il a aménagé des espaces d’exposition qui lui permettent d’accueillir un public plus large que les seuls passionnés de numismatique. Mais le lieu est vaste, environ 28 000 mètres carrés. Ne pourrait-il pas en céder quelques milliers à MansA ? Le ministère des Finances, propriétaire de l’endroit, a à peine son mot à dire que la décision est prise lors d’une réunion interministérielle. Elisabeth Gomis est atterrée, le lieu est l’exact contraire de ce dont elle rêvait pour sa « Maison », trop patrimonial, difficile à rendre attractif pour le public qu’elle vise. Elle sait aussi que, parmi ses partenaires, certains ne manqueront pas de lui faire remarquer qu’ici ont été frappés des francs CFA, symbole de la colonisation française.
La décision fait débat bien au-delà de MansA. Du côté des syndicats de la Monnaie de Paris, on s’inquiète de cette cohabitation. N’y a-t-il pas, à terme, le risque de fermer les ateliers parisiens et de les transférer vers le site de Pessac, près de Bordeaux où est frappé l’essentiel des pièces de monnaie ? Ils redoutent un plan social, sollicitent différents membres du gouvernement, des parlementaires et des élus de la Ville. Des Insoumis et des communistes montent au créneau pour défendre « la dernière usine urbaine » qui emploie 300 personnes, dont une centaine de « cols-bleus ». A l’Assemblée nationale, Sophia Chikirou, lance : « En plaisantant, on pourrait suggérer d’installer la Maison des mondes africains au château de Versailles, un lieu touristique très fréquenté, ce qui permettrait de faire rayonner notre culture et notre vision de l’amitié avec les autres pays. » La gauche peine à trouver les bons arguments, elle ne veut surtout pas donner l’impression de s’en prendre à la Maison des mondes africains elle-même.
Urgence à sortir du piège politique
Car le Rassemblement national n’a jamais caché son désaccord avec ce projet. Fin 2023, ses députés avaient proposé un amendement au budget du ministère de la Culture pour supprimer les 800 000 euros destinés à financer MansA. Cet automne, Jérôme Buisson, député de l’Ain, a posé une question au ministère de la Culture, il doute de l’opportunité du lieu retenu et critique Achille Mbembe, à l’origine de l’idée de la Maison : « Dans la France de 2024, ce sont donc des intellectuels décoloniaux qui dictent les choix patrimoniaux et diplomatiques du pays pour rattraper les erreurs du chef de l’Etat en Afrique. » Le site Boulevard Voltaire embraie et consacre deux articles dénonçant le projet, qui suscitent de violents commentaires.
Elisabeth Gomis, qui se défend d’être porteuse d’une idéologie décoloniale, de repentance ou communautariste, mesure le danger et rétorque auprès de L’Express : « Pour ce projet, je pars de ma propre histoire, j’ai grandi dans une zone pavillonnaire où on était la seule famille d’origine immigrée et où l’intégration s’est faite à chaque étape de la vie. C’est ça le modèle français, pas une lutte contre tout le monde, ni une diversité forcée. » Mais elle sait qu’il y a urgence à extirper la Maison du piège de la Monnaie de Paris. L’époque a changé, l’ambition de réconciliation d’Emmanuel Macron avec l’Afrique peine à se concrétiser. Le projet de loi-cadre sur la restitution des œuvres d’art est encalminé au Parlement depuis des mois faute de volonté politique et de majorité pour le porter. Le site du conseil présidentiel pour l’Afrique vante désormais les mérites d’un casino en ligne. Le changement de conseiller Afrique à l’Elysée ne facilite pas les choses. Pourquoi lancer un projet de Maison des mondes africains alors que la France ne cesse d’enregistrer des reculs sur ce continent ? se demandent certains.
Rue de Valois, le projet a perdu de son élan depuis le départ de Rima Abdul Malak en janvier 2024. A l’exception de la cellule internationale, personne n’a très envie de récupérer un lieu qui, s’il voit le jour, sera une source de dépenses supplémentaires. Rachida Dati trouve l’idée « très bien », mais préférerait qu’on ne sollicite pas la Culture. Elisabeth Gomis tente d’obtenir un rendez-vous avec Rachida Dati. En vain. En janvier, à l’occasion du dîner d’Etat en l’honneur de l’Angola, Jean-Noël Barrot, le ministre des Affaires étrangères, se propose de faire l’intermédiaire entre les deux femmes. Durant un long moment, Rachida Dati fait mine de ne pas les voir et, lorsqu’elle se tourne enfin vers Elisabeth Gomis, elle la salue d’un tonitruant « enfin » avant de poursuivre sa route.
Elisabeth Gomis a compris que si elle veut sauver sa Maison, il lui faut trouver un lieu, au moins provisoire, pour donner à voir ce qu’est ce projet un peu complexe, que certains qualifient, non sans mépris, de « MJC » de l’Afrique. Elle propose un ancien atelier d’une maison de couture, dans le Xe arrondissement de Paris, appartenant à un promoteur privé. On lui rétorque que le loyer de 400 000 euros est trop élevé. On lui suggère un plateau vide, situé « à la Chapelle ». En réalité, c’est à la porte de la Chapelle, une zone du nord de Paris où les usagers de crack se sont installés, pas franchement dans les critères définis par Emmanuel Macron. Bras de fer, menace de démission, appel au plus haut niveau de l’Etat, le ministère de la Culture cède. La Monnaie de Paris est abandonnée sans même que son PDG en soit averti, il l’apprendra par la presse. Le lieu provisoire est validé pour deux ans.
Mais la MansA est encore fragile. Elisabeth Gomis espère lancer des premiers éléments de programmation en septembre dans les 600 mètres carrés d’exposition dont elle dispose. Elle a pu recruter une quinzaine de salariés et 20 de plus devraient suivre en 2025, un site Internet verra le jour le 17 avril, mais on est encore loin, très loin du projet initial. Pour exister, celui-ci aura besoin d’un budget pérenne. Or, si le ministère des Affaires étrangères a versé, dès 2024, sa quote-part de 5 millions d’euros pour 2025, le ministère de la Culture tente de revoir la sienne à la baisse. Et rien ne garantit que ces financements soient reconduits. « Dès 2026, la question va se poser, on ne peut pas laisser se développer ces initiatives sans savoir si elles ont un sens », avertit Catherine Dumas, sénatrice LR. « C’est une bonne idée, mais on a l’impression que l’engagement a été pris sans réfléchir », regrette le député LFI Aurélien Taché. En début d’année, Emmanuel Macron a pris spontanément des nouvelles de la MansA auprès d’une figure de la Culture qui l’accompagnait dans un voyage. De son côté, Elisabeth Gomis visitait le 24 mars un lieu de 6 000 mètres carrés pour une implantation définitive. Mais ces deux volontés résisteront-elles aux tempêtes budgétaires et politiques en cours ? 2027 est désormais si proche.
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Author : Agnès Laurent
Publish date : 2025-03-22 07:00:00
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