Science, économie, géopolitique, climat… Il n’y a presque aucun domaine où Donald Trump n’a pas décidé d’intervenir, bouleversant, au passage, des équilibres parfois anciens. Pour parvenir à ses fins, la méthode est souvent brutale, parfois peu orthodoxe, toujours déconcertante. Et même si les décisions annoncées s’inscrivent en contradiction avec l’objectif visé. C’est le cas pour le dollar. Le billet vert, symbole de la domination américaine, obnubilait déjà le milliardaire lors de son premier mandat. Sa thèse : cette monnaie forte nuit à la compétitivité des Etats-Unis.
Depuis son retour au pouvoir, son discours n’a pas varié. Donald Trump semble même vouloir passer à la vitesse supérieure. Mais avec une certaine incohérence. « La dynamique qu’il suit peut sembler contradictoire. Il veut un dollar puissant et conquérant, tout en cherchant à le rendre plus compétitif. Pour autant, il ne remet pas en cause son privilège en tant que monnaie de réserve mondiale. Il veut avoir le beurre et l’argent du beurre », s’étonne Christian de Boissieu, professeur émérite à l’Université Paris 1 et auteur de La Nouvelle Guerre des monnaies (Odile Jacob).
En coulisses, c’est Stephen Miran, le patron du comité des conseillers économiques de la Maison-Blanche qui murmure ses idées à l’oreille du président. En novembre 2024, l’économiste publiait un essai remarqué intitulé « Guide d’utilisation pour la restructuration du système commercial mondial ». Dans ce document d’une quarantaine de pages, il affirmait notamment que le dollar avait tendance à être surévalué. Une affirmation trompeuse, d’après Olivier Garnier, chef économiste de la Banque de France et qui va à l’encontre de ce qui était précédemment défendu du côté de Washington. « Traditionnellement, l’administration américaine – comme l’ont souvent répété les secrétaires au Trésor – défend l’idée qu’un dollar fort est dans l’intérêt des États-Unis », rappelle-t-il.
L’euro peut-il en sortir gagnant ?
Cette nouvelle doctrine pourrait finalement faire le bonheur… de l’euro. « Si la politique américaine devient encore plus imprévisible et désordonnée, l’hégémonie du dollar pourrait évoluer », anticipe Raghuram Rajan, ex-chef économiste du FMI et ancien gouverneur de la banque centrale d’Inde, désormais professeur de finance à la Booth School of Business de l’université de Chicago.
Pour Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG, il n’est même plus fantaisiste de penser que l’euro pourrait finir par supplanter le dollar comme principale monnaie de réserve internationale. Le système monétaire mondial fonctionne actuellement comme un duopole. Le billet vert reste souverain et représente 59 % des réserves de change détenues par les banques centrales, contre 20 % pour l’euro. Loin derrière, viennent le yen, la livre sterling et le yuan. « Le dollar conserve une avance considérable, même s’il a perdu du terrain. En 2000, il constituait 70 % des réserves mondiales. La transition se fait lentement, mais un rééquilibrage semble inévitable au cours des dix prochaines années », estime Christian de Boissieu.
L’euro avait atteint son plus haut niveau en 2010, à 28 %, avant que la crise des dettes souveraines – impliquant notamment l’Irlande, le Portugal et l’Espagne – ne vienne le bousculer. « L’histoire montre que ces dynamiques suivent des cycles très longs. Il y a eu très peu de monnaies véritablement internationales dans l’histoire, et il serait prématuré d’affirmer que le statut dominant du dollar est en train de s’effondrer, tempère Olivier Garnier. Lors de la création de l’euro, on évoquait déjà son potentiel pour le concurrencer. »
Des freins à lever
Mais avec l’arrivée de Donald Trump, les cartes sont rebattues. Si ce n’est que les mesures annoncées sont de nature à produire des effets contraires à ce qu’il dit vouloir défendre. « Les droits de douane, qui réduisent les échanges commerciaux des États-Unis avec le reste du monde, finiront par limiter l’utilisation du dollar dans les transactions internationales, et pas seulement dans les échanges impliquant directement le pays. Si les États-Unis deviennent un partenaire économique, financier et politique jugé peu fiable, d’autres Etats chercheront à réduire leur dépendance à la monnaie américaine », prédit l’économiste Barry Eichengreen, professeur à Berkeley.
Malgré le coup de pouce de Donald Trump, l’euro devra encore lever plusieurs freins pour passer un cap. « Si l’Europe veut véritablement consolider le rôle international de sa monnaie, elle doit impérativement progresser en matière de gouvernance politique et économique de la zone euro. La crise grecque avait suscité des interrogations sur la viabilité de la monnaie unique, mais ce débat est aujourd’hui clos. Pour que l’euro gagne du terrain, il est essentiel d’éviter de nouvelles crises des dettes souveraines et de renforcer l’intégration économique et financière de la zone euro », souligne Christian de Boissieu.
Contrairement aux Etats-Unis, qui émettent des bons du Trésor, il existe autant de marchés de dette publique dans l’Union européenne qu’il y a de membres. Quant aux investisseurs et aux banques centrales, ils sont très sensibles à la soutenabilité des dettes européennes. « Ils se focalisent principalement sur des obligations souveraines de qualité (notées AAA). Or, dans la zone euro, seules cinq économies disposent de cette note, selon les agences de notation », note Barry Eichengreen. « Se pose également la question des effets de contagion, ajoute Raghuram Rajan. Certains pays très endettés, comme l’Italie et la France, peuvent-ils avoir un impact négatif sur la dette des Pays-Bas ou de l’Allemagne ? Ce type de problématique n’existe pas aux États-Unis, où la dette est garantie par une seule entité souveraine adossée à une économie diversifiée ».
Le tournant européen sur la défense pourrait cependant jouer en la faveur de l’euro. « Un premier pas vers une plus grande mutualisation a été franchi lors de la crise du Covid avec l’initiative Next Generation EU, qui a permis à l’Union européenne d’emprunter collectivement 750 milliards d’euros. Aujourd’hui, l’idée d’un deuxième emprunt est sur la table, marquant une tendance vers davantage de dette communautaire », note Christian de Boissieu. Et davantage de dette émise par l’Europe, c’est davantage d’euros dans les réserves mondiales des investisseurs. Une autre motivation pour lancer un nouveau grand emprunt ?
Source link : https://www.lexpress.fr/economie/leuro-grand-vainqueur-des-contradictions-de-donald-trump-CLBPHMYHJ5G7HFKCFD4AGANGZI/
Author : Thibault Marotte
Publish date : 2025-03-21 04:45:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.