Depuis novembre 2022, dans la mer Baltique, plusieurs câbles de télécommunications ont subi d’étranges incidents. Le 18 novembre dernier, la ligne BCS East West Interlink, reliant la Lituanie à l’île suédoise de Gotland a été rompue. Le même jour, à quelques centaines de kilomètres de là, le câble C-Lion1 reliant l’Allemagne et la Finlande a subi des dégâts. En décembre, c’est au tour du câble EastLink 2, entre l’Estonie et la Finlande, d’être abîmé. En janvier encore, la liaison LVRTC, entre Ventspil, en Lettonie, et l’île de Gotland, a été coupée.
Difficile d’établir avec certitude les causes de ces dommages. « Il y a près de 200 câbles coupés par an, et dans 80 % des cas, il s’agit d’accidents de pêche, d’ancres ou de glissements de terrain », rappelle Vincent Lemaire, vice-président chez Alcatel Submarine Network (ASN). Les autorités allemandes, finlandaises, estoniennes et lettones suspectent cependant des tentatives de sabotage. Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, la tension monte en mer Baltique, bordée d’un côté par des membres de l’Otan, de l’autre, par la Russie accusée d’y mener une « guerre hybride ». Entreprises et gouvernements mettent donc en place de nouveaux moyens de protection et de surveillance des câbles.
Des câbles « armés » et enfouis
Ces filins sont une pièce maîtresse de l’architecture mondiale numérique. « Aujourd’hui, 99 % du trafic Internet intercontinental transite par ces câbles », explique Stéphane Lelux, président du cabinet de conseil Tactis et expert de ces liaisons sous-marines. Véritable colonne vertébrale d’Internet, ils permettent de transmettre les données d’un pays à l’autre, assurent les connexions, et augmentent la vitesse de circulation des données.
Promptement réparés, les incidents des derniers mois en mer Baltique ont peu perturbé l’Europe. Mais le cas des îles Tonga rappelle que des coupures peuvent être lourdes de conséquences. En 2022, le câble reliant le pays au reste du monde avait été déchiré lors d’une éruption sous-marine. Ces îles isolées du Pacifique avaient alors été coupées d’Internet pendant près d’un mois, en attendant les réparations.
Les incidents répétés en mer Baltique font de la sécurité de ces câbles une question plus pressante que jamais. La Commission européenne a d’ailleurs présenté en février un plan en plusieurs axes pour renforcer la protection des câbles. Il prévoit notamment d’accroître les moyens de détection des menaces et de renforcer les exigences de sécurité pour ces infrastructures. Ces câbles Internet sous-marins de 5 à 10 centimètres de diamètre sont déjà dotés de couches de protection formées d’épais fils métalliques – leur cœur qui abrite de fines fibres optiques n’occupe que 1,8 centimètre.
« Lorsque les fonds marins sont à plus de 2 000 mètres, les câbles sont simplement laissés sur le sol », détaille Stéphane Lelux. Mais en eaux peu profondes, il est nécessaire d' »ensouiller » les câbles : des bateaux spécialisés creusent des sillons d’un ou deux mètres dans lesquels sont enfouis les câbles, afin d’éviter que des ancres ou des filets de pêche ne viennent accidentellement les endommager.
En mer Baltique, malgré une profondeur moyenne de 55 mètres, il n’est hélas pas possible de recourir à cette technique. « Le sol de la Baltique est très accidenté. Il y a de nombreux rochers et des fonds marins variés, avec une alternance de terres sableuses et d’argiles plus dures. C’est un environnement très difficile à creuser », explique Hugo Bouvy, directeur général du groupe Deme Offshore, spécialisé dans le développement d’infrastructures maritimes.
La Baltique est du reste un immense cimetière à bateaux. Près de 100 000 épaves, bien conservées par ces eaux froides et peu salées, en joncheraient les fonds. Un défi impossible pour les bateaux chargés de creuser les sillons, qui ne sont pas équipés pour déplacer ou déblayer les épaves. Les câbles de la Baltique sont donc des cibles faciles. Un bateau laissant traîner son ancre peut aisément en endommager un. Il est également possible de placer des charges explosives sur ces câbles, ou de faire appel à un drone sous-marin équipé pour les couper.
À la recherche d’alternatives
Devant ces menaces, les propriétaires de ces liaisons cherchent à s’équiper eux aussi. ASN a ainsi mis au point optoDAS, « un dispositif optique qu’on injecte sur une fibre optique et qui détecte et localise les vibrations proches du câble », explique Vincent Lemaire. L’appareil fonctionne comme une sorte de radar, permettant de savoir, grâce aux vibrations, si des chalutiers, des animaux, ou même des drones sont en approche. « L’idée est de développer non pas un câble qui résisterait à tout et qui coûterait des fortunes, mais plutôt des solutions de surveillance à distance », poursuit l’expert.
C’est dans cette optique que « des patrouilles de surveillance en mer avec des bâtiments spéciaux commencent à entrer en opération », abonde Stéphane Lelux. En France, la cellule Cephismer de la Marine est spécialisée dans les missions de surveillance. Et la loi de programmation militaire de 2024 a prévu un budget de 300 millions euros pour le programme Caliope, qui doit permettre d’intervenir jusqu’à 6 000 mètres de profondeur en cas d’incidents sur des infrastructures stratégiques, précise le spécialiste.
Au niveau européen, l’initiative Seacure, lancée en novembre, vise à développer un système de défense en cas de « guerre sous-marine » d’ici 2028, et d’assurer les infrastructures maritimes critiques. Enfin, le programme Heist de l’Otan, annoncé l’été dernier, prévoit la création d’un réseau hybride – câbles sous-marins et communications par satellite – afin d’assurer la résilience de l’Internet mondial en cas d’incident majeur.
« La meilleure solution reste de multiplier le nombre de câbles. Il en faut toujours au moins trois qui existent en parallèle », recommande Michaël Trabbia, CEO d’Orange Wholesale, la division en charge des infrastructures du groupe. De fait, peu de pays prennent le risque de ne s’appuyer que sur une liaison. En France métropolitaine, on en dénombre par exemple une trentaine. Et vingt-deux câbles sous-marins relient les territoires français ultramarins. Déconnecter un pays entier nécessiterait donc une attaque coordonnée de grande ampleur. Preuve que la résilience du réseau marche, la plupart des internautes ne s’aperçoivent jamais des incidents, alors qu’il s’en produit en moyenne entre 150 et 200 chaque année.
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Author : Aurore Gayte
Publish date : 2025-03-23 06:45:00
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