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Terres rares ukrainiennes : l’Europe doit exiger sa part, par Jean-François Copé

Terres rares ukrainiennes : l’Europe doit exiger sa part, par Jean-François Copé

Depuis l’invasion de l’Ukraine, et encore plus depuis le retour de Trump, de nouvelles dynamiques redéfinissent la géopolitique mondiale. Des acteurs imprévisibles, des méthodes brutales, des rapports de force constants entre impérialismes russe, américain et chinois. Le règlement du conflit en Ukraine en est l’illustration parfaite : une négociation au mépris de la souveraineté ukrainienne, où l’agresseur ne paie pas de réparations mais où la victime elle, doit céder ses ressources minières, et en particulier ses terres rares, aux entreprises américaines.

Derrière cette manœuvre, l’objectif est limpide : les Etats-Unis ne cherchent pas seulement à clore une guerre qui ne les menace pas directement, ils veulent surtout obtenir un atout stratégique supplémentaire dans le conflit larvé qui les oppose à la Chine. Car ces ressources sont cruciales, les 17 éléments que regroupe le terme « terres rares » façonnent déjà les rapports de force du XXIe siècle sur des sujets aussi essentiels que la transition énergétique, la révolution technologique, la souveraineté militaire. Sans elles, pas de batteries pour les voitures électriques, pas de semi-conducteurs pour nos smartphones, pas d’aimants pour les éoliennes, pas de radars pour les armées modernes. Un nouvel équilibre en construction dont les Européens sont de facto exclus.

Proposer à l’Ukraine un canal prioritaire

D’où cette question : qu’attend l’Europe pour renverser à son tour la table et proposer à l’Ukraine un canal prioritaire d’accès aux terres rares et à son potentiel énergétique ? Premier soutien de l’Ukraine, dès le début du conflit, elle a démontré son engagement total face à Poutine. La proximité géographique et l’excellente relation des chefs d’Etat européens avec Zelensky devraient faciliter les choses. On a même brisé des tabous. L’Allemagne, longtemps réticente à toute politique de défense ambitieuse, a lancé un vaste plan de réarmement. La Finlande et la Suède ont intégré l’Otan.

L’Europe a aussi frappé économiquement : 16 trains de sanctions ont été adoptés contre la Russie. Des décisions lourdes, qui ont affaibli l’économie russe mais qui n’ont pas été sans conséquences pour elle-même. La rupture avec le gaz russe a été un choc que les Américains n’ont quant à eux jamais eu à surmonter. Enfin s’agissant de l’aide militaire, l’Europe a surpassé Washington. Au 31 décembre 2024, la somme des aides de l’Union européenne, de ses Etats membres, du Royaume-Uni, de la Norvège et de l’Islande atteignait 132,3 milliards d’euros. Outre-Atlantique, l’effort américain représentait 114 milliards.

L’Europe a su s’adapter à la guerre. Elle doit maintenant s’imposer dans la paix. Car derrière le règlement du conflit, c’est sa propre souveraineté qui est en jeu. Elle a payé le prix de l’emprise énergétique russe en 2022. Aujourd’hui, elle tente de se défaire de sa dépendance militaire vis-à-vis des Etats-Unis. Demain, si elle ne réagit pas, ce sera au tour de son industrie d’être l’otage de la Chine. Car Pékin contrôle 90 % de la production mondiale des terres rares. Une suprématie qui ne doit rien au hasard : investissements massifs, écosystème intégré, régulations environnementales quasi inexistantes. Une arme de plus aux mains d’un Xi Jinping qui en 2010, en pleine crise diplomatique, n’a pas hésité à stopper brutalement ses exportations vers le Japon. L’Europe pourrait être la prochaine cible. Les Etats-Unis, eux, ne prennent pas ce risque. Ils investissent, relancent l’extraction, développent leur raffinage et sécurisent un accès direct aux ressources ukrainiennes. Ils ne se contentent pas d’annoncer l’autonomie stratégique, ils l’appliquent.

Dans le règlement d’un conflit qui redessinera les rapports de force mondiaux, l’Europe peut s’imposer. « Souveraineté européenne », « autonomie stratégique » : ce ne sont pas les mots qui manquent pour qualifier l’ »Europe-puissance » en ces temps troublés. Mais les initiatives fortes se font attendre. Car une puissance qui craint l’affrontement, qui évite le rapport de force, qui laisse d’autres décider à sa place, n’en est pas une. Exiger les terres rares peut changer la donne.



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Author : Jean-François Copé

Publish date : 2025-03-24 11:00:00

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