Le lundi 3 mars, quelque part après 22 heures, je me suis trouvée à écouter l’After foot, le talk-show quotidien consacré au football sur la chaîne de radio RMC. La conversation passait en revue les sujets qui traversent le foot français en ce moment : les déboires financiers de la Ligue 1, le climat d’agressivité à l’encontre des arbitres ou encore la question du sport et du fait religieux. Concernant ce dernier thème, les échanges portaient sur les interruptions de matchs pour permettre la rupture du jeûne aux joueurs musulmans pratiquants, puis sur la question, plus polémique, du voile dans le football féminin.
Depuis 2016, le règlement de la Fédération française de football (FFF) prohibe « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale » lors des matchs. Cette interdiction a été contestée devant la loi, notamment par le collectif des Hijabeuses. Toutefois, en mai 2023, le Conseil d’Etat a validé la décision de la FFF en ces termes : « Les fédérations sportives, chargées d’assurer le bon fonctionnement du service public dont la gestion leur est confiée, peuvent imposer à leurs joueurs une obligation de neutralité des tenues lors des compétitions et manifestations sportives afin de garantir le bon déroulement des matchs et prévenir tout affrontement ou confrontation. »
Un sujet qui tourmente le débat public
D’un point de vue légal, donc, le sujet n’a guère évolué depuis des mois. Mais il continue de tourmenter fréquemment le débat public. Ainsi, ce lundi soir de début de mois de mars, dans le studio de RMC, un participant faisait-il valoir : « Pardon, mais on a le sentiment qu’on a beaucoup de retard par exemple sur ce qui se fait au Royaume-Uni, où ça n’est pas un sujet… » Une femme précisait en écho : « En France, le sujet de la laïcité prend beaucoup de place, et on a aussi une interprétation de la laïcité qui n’est pas toujours celle qu’elle devrait être. La laïcité c’est la liberté de croire. On voit qu’il y a aussi des tendances à vouloir par la laïcité être très répressif sur un certain nombre de sujets. C’est ça l’enjeu aujourd’hui dans le champ du sport. »
J’écoutais ce débat, intéressée par ce qui se disait sur cette question dans une (bonne) émission qui m’est peu familière, mais j’avoue avoir sursauté en comprenant que la voix féminine – celle qui résumait la laïcité à la « liberté de croire », et affirmait qu’on avait, en France, un problème d' »interprétation » de ladite laïcité – était celle de la ministre des Sports, Marie Barsacq. Précisons que c’était avant qu’elle ne crée la polémique en répondant à une question similaire à l’Assemblée nationale.
Qu’on débatte sur le sujet du voile dans le sport est tout à fait normal. C’est l’exercice même de la démocratie ; il ne me choque ni ne me dérange jamais. Chacun doit pouvoir faire valoir ses arguments : la gauche, la droite, les laïques, les féministes, les universalistes, les multiculturalistes, les communautaristes, les religieux et même les islamistes (les écouter est souvent édifiant : ils sont généralement très clairs quant à leurs prétentions). Ce qui me désole, en revanche, c’est le peu de cœur que nous mettons à défendre notre modèle, y compris, visiblement, quand on est un membre du gouvernement. Ce qui me désole, c’est la paresse qui s’abat sur le débat quand il s’agit de parler de ces questions – y compris, visiblement, quand on est un membre du gouvernement -, et l’esprit de facilité qui le rend si caricatural et perméable aux soft powers venus de l’étranger, de Doha ou de Hollywood.
Il n’y a qu’une communauté qui vaille
De quoi s’agit-il quand on parle du modèle français ou d’esprit de laïcité, ou d’universalisme républicain ? Pas simplement de neutralité des services publics ou de la séparation des Eglises et de l’Etat. Il est question d’une philosophie politique qui prend ses racines bien avant 1905 – Voltaire, la Révolution française, j’en passe et des Jules Ferry -, et qui repose sur le fait qu’en République, il n’y a qu’une communauté qui vaille : la communauté nationale. Plus qu’un corpus de lois, c’est une façon de voir, un contrat social qui implique que la grande majorité des Français, quelles que soient leurs origines ou leur religion, consentent – aspirent, même – à cantonner les signes de distinction à la sphère privée. Pour que dans la vie et les échanges du quotidien, rien ne vienne subdiviser de façon ostentatoire la communauté nationale.
Ce modèle, régenté dans certaines sphères par des lois et règlements – comme celui de la FFF –, est plus généralement laissé au pouvoir de l’héritage culturel et de l’aspiration collective. Le pari étant que les renoncements auxquels chacun consent quant à la manifestation extérieure de sa foi, de sa particularité ou de son identité d’héritage, seront compensés par les bienfaits d’une société au fond plus fraternelle que les sociétés multiculturalistes, où chacun peut faire « à sa sauce », mais où l’on se mélange moins, et où les choses se corsent plus vite quand les nations sont mises sous la tension de crises extérieures ou intérieures.
S’il faut en débattre, débattons. Mais faisons-le avec les bons arguments. Et pour ce qui est du camp des universalistes : arrêtons de nous excuser tout le temps, face aux leçons des multiculturalistes, et notamment des « intersectionnels » américains, qui, par effet repoussoir, n’ont été bons qu’à souffler dans les voiles de Trump et du trumpisme.
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Author : Anne Rosencher
Publish date : 2025-03-25 14:52:00
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