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Bourse : pourquoi l’Europe retrouve grâce aux yeux des investisseurs

Bourse : pourquoi l’Europe retrouve grâce aux yeux des investisseurs

Dans l’univers effréné de la Bourse, les certitudes d’hier prennent vite la poussière. A l’automne dernier encore, les gérants d’actifs ne misaient pas lourd sur les valeurs européennes – à quelques exceptions près –, leur préférant les champions de Wall Street. Les experts de la place parisienne n’avaient alors qu’un mot à la bouche : « décrochage ». Entre la récession allemande, la guerre sur son continent, et un déficit patent de compétitivité, l’Europe avait décidément peu d’atouts à mettre en avant.

Il n’aura pas fallu attendre l’arrivée du printemps pour les voir changer leur fusil d’épaule. Les chiffres sont indiscutables. Tandis que le S&P 500 a fléchi de 3 % depuis le 1er janvier, et l’indice technologique Nasdaq de 7 %, le MSCI Europe a bondi de 14 %. « Depuis le début de l’année, les flux qui se redirigent des Etats-Unis vers l’Europe sur les marchés actions progressent avec la vitesse la plus rapide jamais observée », s’enthousiasme Alexandre Baradez, analyste marchés à IG France. Sentiment confirmé par le patron d’Euronext, Stéphane Boujnah, qui témoigne d’une hausse de 30 % des volumes depuis le début de l’année par rapport à la moyenne de 2024 sur sa plateforme, une avec pour principal moteur les opérateurs américains. Alors pourquoi personne n’a rien vu venir ?

Le facteur Trump

Certes, les écarts de valorisation demeurent importants entre les deux côtés de l’Atlantique, attirant les investisseurs en quête de « bonnes affaires » sur le Vieux Continent. Mais cette différence ne suffit pas à expliquer ce basculement. D’abord, les premiers mois de Donald Trump à la Maison-Blanche ont réservé leur lot de surprises. « Sur le sujet des droits de douane, les marchés ont gardé le souvenir d’une posture de Trump qui relevait surtout de la négociation lors de son premier mandat, explique Alexis Bienvenu, gérant à la Financière de l’Échiquier. Or il semble s’être radicalisé depuis… Toute la question est de savoir s’il faut, cette fois, le prendre au pied de la lettre ». Une perplexité exacerbée par l’attente d’une politique pro-business – le candidat républicain avait promis dérèglementation et baisses d’impôts – qui tarde à se matérialiser.

Il faut le reconnaitre, le contexte économique américain n’a rien à voir avec celui d’il y a huit ans. La dette a explosé, les taux longs sont plus élevés et la croissance se tarit. « La priorité de Trump est de faire rentrer de l’argent, dans l’espoir de réduire le déficit et pour financer ses baisses d’impôts futures, pointe Maxime Dupuis, codirecteur de l’investissement chez Oddo BHF. Atteindre cet objectif passe par les droits de douane et son plan de réduction des dépenses fédérales (DOGE), dans son narratif. Il ne peut pas se permettre de largesses budgétaires comme lors de son premier mandat ». Et face à cette imprévisibilité, que le président cultive à travers ses annonces rocambolesques, « l’Europe apparait aujourd’hui comme un havre de stabilité… comme ce qu’étaient les Etats-Unis il y a un an », résume Stéphane Boujnah. Encore un bon point pour le Vieux Continent.

Enfin, les fondements de « l’exceptionnalisme » du marché américain ont été fragilisés. L’arrivée de Deepseek, rival chinois de l’IA, a rebattu les cartes début 2025, incitant certains à modérer leur exposition aux valeur technologiques – les Sept Magnifiques – qui dopaient la bourse américaine.

Défense, dépenses, croissance

L’Europe tire aussi profit de ses propres atouts. Tandis que l’on commence à redouter une récession outre-Atlantique, la croissance des Vingt-Sept a été légèrement revue à la hausse par JP Morgan et Goldman Sachs. Un signe encourageant. Le changement de cap a surtout été d’ordre budgétaire : la fin du frein à l’endettement, totem allemand, couplée au plan européen pour le financement de la défense, ont suscité des espoirs d’un nouveau dynamisme économique. A fortiori si la BCE poursuit sa politique de baisse des taux.

Les entreprises de la défense ont été les grandes gagnantes de cette embellie. Mais plus largement, « de nombreuses filières industrielles bénéficient d’un regain d’intérêt car le marché anticipe déjà un effet de ruissellement », explique Alexandre Baradez. Le secteur de la construction en Allemagne, qui pourrait bénéficier du plan d’infrastructures du pays, suit aussi le mouvement, note Roland Kaloyan, responsable de la stratégie actions européennes chez Société Générale CIB. Portées par des taux d’intérêt plus rémunérateurs, les valeurs du secteur financier enregistrent également de bonnes performances.

Un rebond durable ?

Combien de temps durera cette euphorie européenne ? Au moins quelques mois encore, s’accordent à dire les différents gérants interrogés. « Tant qu’il n’y aura pas plus de visibilité sur la politique commerciale américaine et une amélioration des indicateurs, les investisseurs continueront de se détourner des Etats-Unis », prévient Alexandre Baradez.

Pour l’heure, le président américain, autrefois très attentif aux signaux des marchés, n’infléchit pas sa politique. Mais « à un moment, il devrait y avoir une force de rappel de Trump, assure Alexis Bienvenu. Il est entouré par des milliardaires qui n’ont pas intérêt à ce que la Bourse baisse. » Jusqu’à quel point tiendra-t-il sa position ?

Attention, néanmoins, à ce qu’à un pessimisme excessif ne succède pas un optimisme déraisonnable. « Ce rebond relève avant tout d’un effet de rattrapage entre les deux marchés, après un épisode où les actions européennes étaient fortement sous-pondérées par rapport aux Etats-Unis », nuance Roland Kaloyan. Alexis Bienvenu abonde : « Cette remontée ne signifie pas une totale ‘renaissance de l’Europe’. Même avec 1 000 milliards d’euros de financement, l’Europe ne va pas inventer Nvidia ou Microsoft, et elle n’a pas encore de champion bancaire comparable à JP Morgan. Sur le long terme, elle restera minoritaire dans les allocations d’actifs ». À la vitesse avec laquelle le vent tourne, l’affaire reste à suivre.



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Author : Tatiana Serova

Publish date : 2025-03-27 06:00:00

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