Sondage après sondage, les résultats ne varient guère : depuis la crise sanitaire, les besoins en santé mentale de la population augmentent, particulièrement chez les jeunes. Le dispositif « Mon soutien psy », lancé en 2022, a permis d’apporter une première réponse aux Français atteints de troubles modérés, comme une anxiété transitoire ou des symptômes dépressifs. Un dispositif certes perfectible, mais qui permet déjà le remboursement de 12 séances par an. La question de l’accompagnement des patients atteints de maladies psychiatriques reste entière, surtout quand ils n’obtiennent pas de réponse à l’hôpital.
Pour ces personnes souffrant de troubles bipolaires, de dépression sévère ou encore de psychotraumatisme, le suivi par un psychologue n’est pas remboursé en libéral. Le délégué ministériel à la santé mentale espère bien remédier à cette lacune. Il explique à L’Express les grandes lignes de son projet – qui pourrait bouleverser en profondeur les conditions d’exercice des psychologues. Entretien.
Frank Bellivier
L’Express : Le dispositif « Mon soutien psy » a été lancé voilà tout juste trois ans. Il reste très critiqué par une large part des représentants des psychologues. Quel bilan en faites-vous ?
Frank Bellivier : Le point de départ de notre réflexion, en 2019, c’était l’accès aux psychothérapies spécialisées pour les patients souffrant de pathologies psychiatriques. Ces soins sont indispensables pour ces malades, mais seule une toute petite partie d’entre eux peuvent en bénéficier en dehors de l’hôpital et des centres médico-psychologiques, car en libéral, les séances coûtent de 50 à 80 euros, non remboursées.
Là-dessus sont arrivées la crise sanitaire, et la dégradation des indicateurs de santé mentale de la population. De multiples initiatives pour favoriser l’accès à des psychologues de première ligne ont alors vu le jour, via notamment les complémentaires santé, les Agences régionales de santé ou encore le ministère de la Santé (PsyEnfantAdo) et celui de l’Enseignement supérieur (PsyEtudiant). Cela venait rejoindre nos travaux et nous avons obtenu en 2022 la création de « Mon soutien psy ». Au 30 novembre 2024, 478 972 patients ont eu recours à ce dispositif. Au total, 2,5 millions de consultations ont été remboursées, pour un coût de 56,2 millions d’euros. Du côté des praticiens, nous comptions 5 406 psychologues conventionnés au 17 mars, sur environ 15 000 libéraux remplissant les critères de formation et d’expérience leur permettant de postuler. Ces données montrent que « Mon soutien psy » répond aux attentes.
Mais ce dispositif s’adresse toutefois aux personnes avec des troubles psychologiques légers à modérés, de type anxiété transitoire, symptômes dépressifs ou problèmes de sommeil. Il n’a pas vocation à répondre aux besoins des patients atteints de maladies psychiatriques. De ce point de vue, il s’agit vraiment d’une première brique, de début de l’histoire et pas de la fin.
Les représentants des psychologues contestent ces chiffres, en indiquant notamment que les psychologues conventionnés seraient en réalité nombreux à souhaiter sortir du dispositif, sans y parvenir. Que leur répondez-vous ?
Un psychologue qui souhaite se déconventionner doit envoyer un courrier recommandé à sa CPAM de rattachement. Le déconventionnement sera effectif deux mois après la date de réception de ce courrier. Je n’ai pas eu connaissance de difficultés particulières relatives à cette démarche. Un psychologue peut aussi demander à apparaître en indisponibilité sur l’annuaire. Dans ce cas, ses coordonnées ne sont plus visibles. 193 demandes de déconventionnement ont été portées à notre connaissance. Ce chiffre n’est peut-être pas exhaustif, car je me suis rendu compte que tous les déconventionnements ne nous avaient pas forcément été communiqués par les CPAM, mais nous devons être proches de la réalité.
On ne peut pas demander à un psychologue du travail ou de l’éducation de mener des psychothérapies pour des patients porteurs d’une schizophrénie
Frank Bellivier
Quelles sont les prochaines étapes ?
De nombreuses techniques de prises en charge spécialisées, comme la remédiation cognitive dans la schizophrénie, la psychoéducation dans les troubles bipolaires ou en prévention des rechutes dans les troubles dépressifs récurrents, les thérapies cognitivo-comportementales dans les troubles anxieux, ou l’EMDR dans le psychotraumatisme bénéficient aujourd’hui de données probantes. Cela justifie de les rendre plus accessibles aux patients, en proposant un remboursement.
Nous souhaitons donc lancer un chantier que l’on pourrait intituler : « Pour une meilleure intégration des psychologues dans les parcours de soins et les accompagnements. » Notre priorité, c’est de préciser les compétences dont les patients ont besoin et d’identifier les psychologues en mesure de les remplir, pour pouvoir ensuite les inscrire dans un dispositif où les consultations seront prises en charge par la collectivité. La profession revendique un titre unique de psychologue, mais la réalité, c’est que les compétences sont très hétérogènes en fonction du cursus. On ne peut pas demander à un psychologue du travail ou de l’éducation de mener des psychothérapies pour des patients porteurs d’une schizophrénie.
Pour « Mon soutien psy », les praticiens déposent un dossier de candidature sur la plateforme. Il est instruit par l’Assurance maladie, puis par les experts d’un comité de sélection. Nous voulons faire la même chose avec ce deuxième dispositif, mais avec en plus des exigences de diplômes garantissant une formation adaptée. Dans un premier temps, nous devrons, en association avec les psychologues et les neuropsychologues, décrire les compétences attendues pour les différentes pathologies. A partir de là, le ministère de l’Enseignement supérieur établira un référentiel de formation, puis les facultés de psychologie, sur la base du volontariat, organiseront les cursus en adéquation avec les besoins des patients du secteur sanitaire et médico-social. C’est un chantier important qui pourrait demander une à deux années de travail et qui nécessitera de revoir également le statut des psychologues de la fonction publique hospitalière.
Que vous manque-t-il pour vous lancer ?
Une commande politique. Ce projet a été validé par différents ministres de la Santé, mais il n’a pas pu être enclenché car ces dernières années, aucun n’étant resté suffisamment longtemps pour pouvoir réellement s’en emparer. Les ministres sont séduits car les psychologues apportent une valeur ajoutée importante au parcours de soins des malades psychiatriques. La Cour des comptes a montré que pour 1 euro de dépense engagé, leur accompagnement génère de 1,4 à 1,90 euro d’économies en prévention des rechutes et des hospitalisations.
Dans les gouvernements précédents, il y avait un alignement des ministères de la Santé et de la Recherche sur cette démarche. Il faut maintenant que les responsables politiques restent suffisamment longtemps pour porter ce chantier. De même, la concertation avec les représentants des psychologues sera déterminante. Il faut clarifier les divergences existantes, tant dans l’analyse de la situation que dans les orientations à prendre, et s’en expliquer. Alors, sans doute, une force de conviction de ce que devrait être la prise en charge des troubles mentaux et des souffrances psychiques parviendra à se dégager et à entraîner la cristallisation d’une volonté collective indispensable.
De mon point de vue, un ordre n’est ni nécessaire, ni suffisant pour répondre aux enjeux
Frank Bellivier
Dire que les psychologues ne sont pas unis derrière ce projet, c’est un euphémisme : beaucoup le combattent pied à pied, comme « Mon soutien psy » d’ailleurs…
Certains y voient une remise en cause du titre unique, ainsi que l’objectif de « paramédicaliser » la profession, c’est-à-dire de placer le psychologue sous la tutelle du médecin, un peu comme avec les infirmiers par exemple. Il s’agit là d’un vieux débat sur les relations entre les médecins et les psychologues. Je rappelle que dans de nombreux pays européens, les psychologues qui interviennent dans la prise en charge de patients sont considérés comme des professionnels de santé, et que leur accès est régulé par la prescription de médecins.
Mais en réalité, ce n’est pas notre sujet : ce que nous voulons, c’est réussir à mieux spécifier les compétences des psychologues qui interviennent de fait dans le champ de la santé. Dans le cadre de cette démarche, nous envisageons aussi de rallonger la formation des psychologues cliniciens d’un an, de façon à pouvoir leur offrir des stages longs à l’hôpital. Aujourd’hui, le cursus de psychologie se termine par un stage de cinq cents heures, mais il n’est pas très encadré. Les étudiants doivent se débrouiller seuls pour trouver un lieu d’accueil, avec parfois de grandes difficultés. Les maîtres de stage ne sont pas agréés, tout se fait de manière un peu informelle, sans objectifs pédagogiques précis. Ces périodes de pratique professionnelle peuvent même se dérouler dans des structures sans lien immédiat avec la prise en charge de patients atteints de troubles de santé mentale, par exemple en chirurgie. Notre objectif : qu’il ne soit plus possible de valider une formation de psychologue clinicien sans être passé dans un service de psychiatrie.
La réforme que vous décrivez concerne les psychologues en formation. Qu’envisagez-vous pour les professionnels déjà en exercice ?
Nous passerions par des campagnes de validation des acquis de l’expérience pour les praticiens qui souhaiteraient s’inscrire dans ce dispositif et être conventionnés par l’Assurance maladie. Nous ne voulons obliger personne : ce que je souhaite, c’est enclencher une démarche qui permette de mieux codifier les interventions des psychologues dans le parcours de soins, et donner aux patients qui en ont besoin accès à des ressources très précieuses pour eux, avec une expertise reconnue et validée.
Ne faudrait-il pas également aller vers la création d’un ordre, un peu comme pour les médecins et d’autres professions de santé, afin que les patients aient un recours quand ils estiment que leur prise en charge n’était pas adaptée à leur pathologie ?
De mon point de vue, un ordre n’est ni nécessaire ni suffisant pour répondre aux enjeux dont on parle ici. Les patients peuvent déjà vérifier que les praticiens sont bien inscrits auprès du RPPS, le répertoire partagé des professionnels de santé (ex-répertoire Adeli), sous l’égide des Agences régionales de santé. Cela n’offre pas de garanties sur l’expertise des personnes inscrites, mais cela permet au moins de s’assurer qu’elles sont bien titulaires d’un diplôme de psychologie, contrairement aux pseudo-thérapeutes qui abusent de la dénomination « psy ». Ces psychocoachs, psycho-chamanes et autres psychogénéalogistes profitent du fait que seuls les termes de « psychologue » et de « psychothérapeute » sont aujourd’hui protégés. Le premier réflexe à acquérir pour la population est de se tourner vers des praticiens diplômés.
Ensuite, « Mon soutien psy » doit permettre aux patients de s’adresser à des psychologues aux compétences validées, et il en ira de même avec le nouveau dispositif que nous appelons de nos vœux. Bien sûr, il peut y avoir des ratés. Un psychologue conventionné qui proposait à ses patients d’entrer en communication avec des « entités supérieures » a par exemple été retiré du dispositif après des plaintes des patients. Mais il s’agit à ma connaissance d’un cas isolé.
Source link : https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sante/frank-bellivier-un-psychologue-du-travail-ne-peut-pas-soigner-des-patients-schizophrenes-P3ZYFCUJIZFUBAUXMCVWIHFIOY/
Author : Stéphanie Benz
Publish date : 2025-03-27 10:55:00
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