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Marine Le Pen inéligible : la tempête ne fait que se lever, par Anne Rosencher

Marine Le Pen inéligible : la tempête ne fait que se lever, par Anne Rosencher

Depuis quelques heures, je vois des gens que j’estime et que j’apprécie se réjouir, au nom de la défense de la démocratie, de ce que Marine Le Pen soit peut-être disqualifiée, par décision de justice, pour la présidentielle de 2027. J’avoue les envier : les raisons de fêter l’actualité sont si rares par les temps qui courent… Je ne peux toutefois m’empêcher de penser qu’ils trinquent sans le voir à une catastrophe : ils croient la démocratie libérale mise à l’abri d’une victoire qui la menaçait ; je crains – j’espère me tromper – que la démocratie libérale n’en ressorte affaiblie, et que cette décision de justice ne nous promette un ciel plus sombre encore.

Que faut-il pour qu’une démocratie libérale fonctionne ? Une chose très simple et extrêmement compliquée : que l’Etat de droit d’une part et que la souveraineté populaire d’autre part – c’est-à-dire l’autodétermination du peuple par l’élection – s’articulent et s’équilibrent. Mais depuis quelques années, ce point de charnière est devenu douloureux – « problématique », pour employer un mot à la mode – dans toutes les sociétés occidentales. « On sait depuis Churchill que la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres ; il est surtout le plus difficile à faire fonctionner », notait Marcel Gauchet dans nos colonnes en octobre dernier. Et la décision de justice de ce matin éclaire d’une lumière crue cette difficulté.

Le débat va faire rage ; il est sain qu’il ait lieu. Les magistrats ont-ils tout simplement fait leur travail ? Ont-ils, au contraire, « fait de la politique » ? La loi de moralisation de 2017 (rendant l’inéligibilité automatique) posait-elle problème en amont ? Cette sévérité est-elle, au contraire, ce à quoi aspirent les Français, lassés des « affaires » qui ont secoué la vie politique par le passé ? Toutes ces questions méritent d’être posées. Et le débat est déstabilisant, car plusieurs vérités se chevauchent. Personnellement, cependant, une phrase dans le jugement rendu ce matin ne cesse de me tourmenter : « Le tribunal a pris en considération [NDLR : pour l’exécution immédiate], outre le risque de récidive, le trouble majeur à l’ordre public, en l’espèce le fait que soit candidate à l’élection présidentielle une personne déjà condamnée en première instance. » Les juges estiment-ils que ce que Marine Le Pen a fait est grave au point de la priver du bénéfice de l’appel ? Considèrent-ils que les électeurs ne sont pas assez éclairés pour voter en leur âme et conscience ? Je ne comprends pas la logique de cette phrase.

Politiquement, la tempête ne fait que se lever. Et ce jugement – quoi qu’on en pense sur le fond – ne manquera pas de souffler sur les braises du ressentiment, qui triomphe, petit à petit, dans les nations occidentales. Partout, les peuples ont le sentiment qu’on leur vole leur souveraineté, et partout on assiste en écho à « une remobilisation de l’idéal démocratique qui tend à se rendre illibérale, par embardées autoritaires » (Gauchet encore). Brexit, Trump, Meloni, etc. Nos sociétés sont frappées, avec leurs variantes et leur folklore, par le même phénomène : partout, les classes moyenne et populaire, qui se disent traitées avec mépris et interdites de voix au chapitre, font entendre un « take back control » fracassant, qui prend des allures débridées, échevelées, voire autoritaires. Nos démocraties, si elles ne veulent pas être balayées par ces pulsions, doivent revenir à leurs fondamentaux.



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Author : Anne Rosencher

Publish date : 2025-03-31 18:40:00

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