A la mi-février, une petite foule se presse sous les ors d’un salon de la rue de Valois. Discours, félicitations, remerciements, photo, en à peine plus d’un quart d’heure, l’initiative « Heritage Watch A.I » est lancée. Rachida Dati, la ministre de la Culture, s’attarde autour du buffet. Quelques-uns en profitent pour plaider leur cause, elle demande une note, promet un rendez-vous. Un flatteur l’aborde : « Nous avons plein de projets pour la future maire de Paris. » Aussitôt, Rachida Dati retrouve son sourire et prend l’assistance à témoin : « Vous avez entendu, hein, vous avez entendu ? »
Plus les mois passent, moins la ministre de la Culture cache son ambition parisienne. Certes, elle communique beaucoup sur son rôle de ministre. Elle annonce, nomme, rend hommage. Elle parle « printemps de la ruralité », « été culturel au camping » et se déplace en région pour ne pas prêter le flanc à la critique de ne s’intéresser qu’à Paris. Mais depuis son entrée au ministère au début de 2024, et malgré les nuages judiciaires qui pourraient compromettre son destin, Rachida Dati n’a qu’une obsession : conquérir la capitale en mars 2026.
Chapitre 1
Le culot comme méthode
Le message est arrivé le 20 décembre dans les boîtes aux lettres des parents d’élèves d’un groupe scolaire du VIIe arrondissement. Madame le maire (elle reprend ceux qui disent « la ») souhaite un joyeux Noël à tous, fait la promotion de son action auprès des élèves, rappelle qu’une patinoire est ouverte jusqu’à la fin décembre avenue de Breteuil. Depuis son élection en 2008 et sa victoire dès le premier tour en 2020, Rachida Dati a fait de cet arrondissement huppé du centre de Paris son laboratoire. Entourée de quelques fidèles, peu connus du grand public mais tout dévoués à sa cause, elle déploie sa méthode, subtil mélange d’écoute, de séduction et de culot, pas toujours exempt de brutalité.
Dans ces rues qui vont de la tour Eiffel au musée d’Orsay en passant par les Invalides, aucun public ne lui échappe. Lors de la galette des rois, on l’a vu poser, amusée, la couronne sur la tête de Mgr Bruno Lefevre-Pontalis, le curé de la paroisse Saint-François-Xavier, une des plus importantes du quartier. En juin dernier, son chien, le bien nommé Paname, a fêté ses cinq ans, gâteau canin et bougies à la clé, dans les jardins de la mairie, en compagnie de quelques congénères. Voilà déjà plusieurs années que Rachida Dati organise des « apéros canins » où se retrouvent des habitants du VIIe arrondissement et leurs amis à quatre pattes. Anecdotique ? Sûrement pas, les Français adorent leurs animaux domestiques. La ville de Paris vient d’ailleurs de lancer la « maison de l’animal », près de Bercy.
Elle vous envoie 2 000 SMS par semaine avec des cœurs […]. Et trois ans plus tard, elle utilise tout ce qu’elle sait sur vous
Personne ne le conteste, Rachida Dati a un sens politique hors norme et une popularité qui fait pâlir d’envie ses concurrents. Elle séduit souvent, facilement. Elle en joue, met volontiers en avant son parcours atypique dans un monde habitué à la ligne droite. « Il y a toute une liste de types assez durs et sévères qui fondent devant cette femme frêle, elle a un côté subversif qui plaît aux grands bourgeois et qui, quand on la critique, répondent : ‘Tu ne peux pas comprendre, tu n’as pas vécu ça' », observe une connaissance. Au Conseil de Paris, Rachida Dati prend toujours un moment pour aller discuter avec l’extrême gauche et revendique sa bonne entente avec Audrey Pulvar ou Alice Coffin. Elle s’en amuse, se sachant filmée et observée lorsqu’elle rit avec ceux qu’elle ne devrait pas fréquenter. Lorsqu’elle tente de faire payer l’entrée à Notre-Dame de Paris et que Mgr Ulrich, l’archevêque de Paris, lui oppose une nouvelle fois une fin de non-recevoir, elle lui lance : « Mais Monseigneur, l’égoïsme ne fait pas partie de notre foi ! »
A n’admirer que le culot, certains en oublient ses outrances et ses approximations. Lors d’une réunion publique autour de la sécurité du Champ-de-Mars, le préfet de police l’a sévèrement recadrée. Elle avait donné son contact direct en disant qu’il ne fallait pas hésiter à l’appeler en cas d’agression. Aussitôt, le préfet avait pris la parole et invité l’assistance à se tourner vers les forces de l’ordre plutôt que vers l’élue. Elle n’hésite pas à revendiquer la victoire de sa liste en 2020 dans deux arrondissements. Inexact, elle était simplement arrivée en tête au premier tour, mais qui s’en souvient ? Elle épate par sa capacité à torpiller ses adversaires d’un bon mot. Et tant pis si son bagou lui joue parfois des tours. En début d’année, devant les agents du ministère réunis à l’occasion des vœux, elle salue Philippe Jost, l’homme qui a mené à son terme la reconstruction de Notre-Dame de Paris après le décès du général Georgelin. Elle croit faire plaisir, mais elle commence en racontant qu’elle ne croyait pas du tout en lui lors de sa nomination, en ses capacités à parler aux ouvriers du chantier. Le propos blesse plus qu’il ne flatte.
Ceux qui l’aiment pardonnent beaucoup à Rachida Dati. Ceux qu’elle agace se murent dans le silence de peur de ses réactions violentes. Preuve qu’elle impressionne, rares sont les interlocuteurs à accepter de sortir de l’anonymat pour parler d’elle. Dans le VIIe arrondissement comme ailleurs, Rachida Dati n’aime pas qu’on vienne la concurrencer. Symboliquement, le journal municipal a été confié à une association extérieure, l’opposition n’y a donc pas d’emplacement d’expression réservé. Lorsqu’elle croise, lors d’une cérémonie officielle ou un événement, quelqu’un qu’elle n’apprécie pas, Rachida Dati a pour habitude de passer devant sans le saluer. Une grossièreté qui sidère mais qu’elle assume. Elle a surnommé les deux prétendants socialistes à la succession d’Anne Hidalgo des peu flatteurs surnoms de « caniche » (Rémi Féraud) et de « stagiaire » (Emmanuel Grégoire). Et ce ne sont pas les termes les plus violents qu’on lui connaît pour qualifier ceux qu’elle déteste.
Avec Rachida Dati, on passe vite d’un camp à l’autre. Jusqu’en 2020, avec Anne Hidalgo, les relations sont cordiales. Avant une interview matinale qui s’annonce un peu agressive pour la majorité en place, l’équipe de Rachida Dati prévient l’entourage de la première édile qu’il ne faut rien y voir de personnel. Et lorsque la mairie du VIIe arrondissement a un problème à régler, l’Hôtel de ville donne volontiers un coup de main dans un quartier que la gauche n’a de toute façon aucune chance de gagner. La campagne de 2020 change la donne. Réélue dès le mois de mars, Rachida Dati multiplie les attaques et exaspère la municipalité en place alors en pleine gestion de la crise du Covid. De son côté, la ministre de la Culture dit qu’elle a mal vécu les remarques publiques d’Anne Hidalgo sur ses absences au Conseil de Paris alors qu’elle traversait une période difficile sur le plan personnel. Depuis, Rachida Dati revendique, avec l’aplomb de ceux qui aiment la bagarre, être le « domaine réservé » d’Anne Hidalgo en termes de détestation.
Parce qu’elle n’a peur de rien, Rachida Dati est une redoutable adversaire. Elle n’hésite pas à entrer dans une relation affective avec ceux qu’elle veut dans son camp. « Elle vous envoie 2 000 SMS par semaine avec des cœurs, elle vous raconte sa vie, elle attend que vous racontiez la vôtre. Et trois ans plus tard, elle utilise tout ce qu’elle sait sur vous », raconte un ex-allié. Lorsqu’elle juge un soutien trop faible, elle envoie des messages comminatoires. Elle est capable d’appeler un très proche d’une personne qui lui a déplu pour tenter de la faire changer d’avis alors même qu’elle a le numéro direct de la personne en question. Elle utilise régulièrement l’arme judiciaire contre ses adversaires, elle affectionne en particulier ces signalements au procureur au titre de l’article 40 qui alertent sur un soupçon d’illégalité mais ne préjugent en rien d’une mise en cause.
Ceux qui l’ont étudiée de près savent que sa meilleure défense, c’est l’attaque. Chaque fois qu’elle se sent critiquée, elle explose et rétorque racisme, misogynie, mépris de classe. Redoutable car très difficile à contester et à contrer pour ses adversaires. Mais fragilité aussi parce que ses colères et ses énervements ne suffiront pas à bâtir une campagne. C’est du moins ce que veulent croire ses concurrents, convaincus que les Parisiens attendent des mesures concrètes et du sérieux, mais oubliant un peu vite l’irrationalité politique du moment.
Chapitre 2
Les Macron comme parrains
Récemment, Rachida Dati croise à l’Opéra une figure de Renaissance que l’on dit tentée par la compétition municipale. La ministre de la Culture lui glisse : « Il faut venir avec nous », comme s’il n’y avait pas d’autre option qu’elle pour les fidèles d’Emmanuel Macron. Elle a théorisé cette petite musique de longue date auprès d’un autre ambitieux : « Je suis une adepte de la méthode Sarkozy, se rassembler au premier tour pour faire un gros score et créer la dynamique pour le second. » Comprendre : être le trait d’union entre LR et les macronistes pour ne pas revivre le scénario d’une triangulaire perdante comme en 2020.
En rejoignant le gouvernement au début de 2024, la ministre de la Culture a pris date. En y restant alors que trois Premiers ministres se succédaient, elle s’est rendue incontournable et a empêché toute candidature alternative d’émerger. Certes, de temps en temps, le chef de l’Etat lui fait des mauvaises manières en s’affichant ostensiblement avec Anne Hidalgo. Mais est-ce si grave si le soutien d’Emmanuel Macron est à ce prix ?
Par SMS, au moment de son entrée au gouvernement, le chef de l’Etat avait affirmé à un responsable parisien de Renaissance qu’il n’y avait « pas de deal ». Dans les rangs du parti, tous savent qu’elle a l’oreille du couple présidentiel. « Elle rend beaucoup compte à Emmanuel Macron, elle ne cherche pas la lumière comme ministre et elle sait parler à un président », note un collègue. D’autres racontent l’enthousiasme de Brigitte Macron pour cette ministre qu’elle trouve « rigolote ». A la manière d’une Marlène Schiappa hier, Rachida Dati séduit en s’affranchissant des codes de la vie politique. Elle obtient quelques gestes qui en disent long sur son poids à l’Elysée. En juin 2024, elle décroche l’investiture Renaissance pour son ancien directeur de cabinet, Jean Laussucq, dans le Quartier latin. Pour la satisfaire, le chef de l’Etat a sacrifié Gilles Le Gendre, un Marcheur de la première heure, élu dans cette circonscription en 2017, réélu en 2022 mais qui a agacé, notamment en votant contre la loi immigration. La méthode choque ceux qui se souviennent que Rachida Dati n’a jamais retenu ses coups contre le macronisme. D’autres font savoir à Emmanuel Macron que sa ministre de la Culture est, à leurs yeux, trop associée à l’ancien monde, celui de Nicolas Sarkozy de surcroît, pas franchement en phase avec la réinvention de la politique dont ils rêvaient.
Rien n’y fait, mois après mois, elle s’impose comme la probable candidate de Renaissance. Difficile, en effet, pour les éventuels challengers de se lancer face à une ministre d’Emmanuel Macron. Un temps cités comme prétendants, ni Gabriel Attal ni Clément Beaune ne parlent désormais de leurs ambitions parisiennes. En réalité, chez Renaissance, beaucoup préfèrent parier sur Rachida Dati. « Quelle est la candidate capable de faire en sorte que la gauche de Renaissance et LR se rassemblent ? Et qui a l’ossature de faire la campagne ? Il n’y en a pas mille. Rachida Dati est un choix pragmatique », insiste un cadre Renaissance parisien qui estime que 80 % des militants sont sur la même ligne que lui. « A Renaissance, ils n’ont pas de locomotive, donc ils se rabattent sur elle. Quand on n’est pas capable de conquérir un marché, on achète », résume un hiérarque LR.
A droite, ce n’est guère mieux. En ce mois de janvier 2024, LR est sonnée par le débauchage de la nouvelle ministre de la Culture. Eric Ciotti, alors président du mouvement, réunit les cadres parisiens. « On va présenter un candidat LR contre Dati », lance le Niçois. Réplique du maire du XVe arrondissement Philippe Goujon : « Je le connais ton candidat. Il s’appelle Mister Nobody. » Faute de leader, la droite se résout à soutenir la ministre de la Culture. Tous se retrouvent derrière le « Hidalgo bashing », soigneusement entretenu à coups de critiques des hausses d’impôt et des réaménagements urbains. Mais avec la perte de leur « meilleure ennemie » et alors que la gauche peine à s’unir, les ambitions personnelles surgissent. Mi-mars, le sénateur Francis Szpiner s’est ainsi déclaré candidat.
Les difficultés ne font que commencer. A Paris, l’élection est affaire de petits calculs. Rachida Dati le sait, avec le mode de scrutin actuel, pour l’emporter, il lui faut faire le plein dans son camp, mais aussi gagner les deux arrondissements pivots que sont le XIIe (à l’est) et le XIVe (au sud). Pour l’instant, elle se fait discrète sur son programme. En 2020, elle avait tout axé sur la propreté et la sécurité, jouant à fond la carte de l’opposition à Anne Hidalgo. Mais si elle veut remporter les arrondissements à enjeux, Rachida Dati devra aussi parler logement et environnement. Elle a perçu que son électorat se gauchisait sur les questions sociétales. Mais avec son groupe, elle a souvent eu des positions conservatrices sur ces sujets. Que fera-t-elle demain ?
En outre, l’extrême droite laisse planer l’idée qu’elle pourrait présenter un candidat sérieux. Les noms de Thierry Mariani et de Marion Maréchal circulent. Mais comment faire liste commune avec eux au second tour dans les arrondissements de l’Ouest où l’extrême droite a récemment recueilli jusqu’à 25 % des voix, sans perdre les deux gros secteurs qui garantiront la victoire ? « Si elle fusionne au second tour avec Sarah Knafo ou Marion Maréchal dans le XVIe, elle perd le XIVe arrondissement », estime un fin connaisseur de la carte électorale parisienne, proche d’Anne Hidalgo. Emmanuel Grégoire, candidat à la succession de la socialiste, voit en Rachida Dati la meilleure adversaire possible pour (re) tracer à Paris une ligne de fracture droite/gauche. Mais à l’inverse, si les Insoumis entrent dans la bataille à gauche et fragmentent l’électorat avec une figure comme celle de Sophia Chikirou, l’ex-garde des Sceaux retrouve ses chances. Elle s’emploie déjà à les consolider au ministère de la Culture.
Chapitre 3
La Culture comme tremplin
Lorsque Rachida Dati est nommée rue de Valois au début de 2024, son cabinet demande à la direction régionale de la culture d’Ile-de-France de lui faire remonter tous les dossiers sensibles de la capitale. La ministre le sait : à Paris, la culture est un sujet important. Pour le rayonnement international, pour l’économie, pour le glamour, pour l’éducation. Il y a là moyen de s’assurer des soutiens parmi les défenseurs des arts, les amoureux du patrimoine et plus généralement les Parisiens.
Très vite, elle intervient, dès que sa fonction l’y autorise, sur les sujets parisiens électriques. Elle tente de satisfaire les défenseurs du Paris historique à propos du Pavillon des sources, le laboratoire où Marie Curie faisait des recherches, elle promet un classement de la tour Eiffel, bataille avec la maire de Paris sur le maintien des anneaux olympiques sur la Dame de fer. Habile communicante, elle met son action en valeur, comme lorsqu’à la fin du mois de janvier, l’Etat décide d’accorder une « rallonge » de 3,5 millions d’euros au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme pour des travaux qu’il doit mener. « Une mobilisation exceptionnelle de l’Etat », claironne le ministère, qui oublie opportunément que d’autres – ville, région et musée lui-même – contribuent également à cette rénovation.
Elle n’est pas à l’abri du trop d’empressement. En novembre 2024, elle promet de mieux protéger le patrimoine des bords de Seine. La dernière phrase du communiqué ministériel – « Pour la première fois, le patrimoine de Paris sera protégé » – en fait rire beaucoup, elle agace prodigieusement Aurélie Filippetti, désormais directrice de la Culture à l’Hôtel de ville : « Mme Dati est visiblement la première ministre de la Culture de l’histoire de France (mais peut-être du monde ?)… », ironise-t-elle sur LinkedIn, avant de rappeler toutes les initiatives lancées en ce domaine par de prestigieux ministres, comme Jean Zay ou André Malraux.
Parce qu’elle promet beaucoup sans toujours donner suite, les militants du patrimoine prennent leur distance. « On est contents de ce qui se dit, mais nous sommes déçus du manque d’actions concrètes », note Julien Lacaze, le président de l’association Sites et monuments. Certains avaient cru comprendre, par exemple, qu’au cœur de Paris, la ministre allait revenir sur ces verrières posées sur la façade de la future Fondation Cartier, à quelques pas du Louvre, qu’ils jugent contraires au code de l’urbanisme. Il n’en sera rien : Rachida Dati avait simplement promis de vérifier leur conformité au regard du permis de construire, elles le sont, fermez le ban. Quant au Pavillon des sources, un classement est effectivement en cours, mais il ne concerne pas le bâtiment dont la destruction était contestée, seulement le bureau de Marie Curie, situé quelques mètres plus loin.
Au fil des mois, Rachida Dati découvre que le ministère de la Culture est certes prestigieux, mais qu’il est difficile d’y imprimer sa marque. Les projets grandioses, comme Notre-Dame de Paris ou le musée du Louvre, sont des domaines réservés de l’Elysée. Et le reste se heurte au contexte budgétaire, les promesses peinent à déboucher. Certes, Rachida Dati a obtenu davantage en 2025 pour le patrimoine, mais l’arrêt brutal de la part collective du pass Culture secoue le monde culturel et éducatif, mais aussi les parents d’élèves. Un argument que ne manqueront pas de mettre en avant ses adversaires. « Elle pensait faire de son ministère un levier. De fait, c’est une saignée pour la culture comme rarement dans l’histoire », souligne déjà Emmanuel Grégoire.
Comment exister à un an du scrutin alors que la très forte actualité internationale et les péripéties politiques nationales rendent difficile une tonitruante entrée en campagne ? Comme ses concurrents, Rachida Dati se heurte à cette difficulté. Le 12 décembre, une première réunion publique, sans étiquette mais avec l’ambition de « parler de l’avenir de Paris » et plus particulièrement du surtourisme, s’est tenue en sa présence à la Fabrique du Marais, dans le cœur de Paris. Une deuxième sur les mobilités a eu lieu en mars. Mais l’écho reste faible.
La campagne se joue donc au Conseil de Paris. Voilà des mois que les séances sont émaillées d’incidents, relayés à l’envi sur les réseaux sociaux, entre la (quasi-totalité de la) droite rangée derrière Rachida Dati et la majorité d’Anne Hidalgo. Lors du conseil de février, la tournure des échanges s’est faite nettement plus violente. Rachida Dati, prise par ses occupations ministérielles, n’y a fait que des apparitions ponctuelles, mais ses plus proches se sont chargés de mener l’assaut. Le 12 février, Nelly Garnier, élue du XIe arrondissement de Paris, très proche de la ministre – elle fut sa directrice de campagne en 2020 –, provoque un tollé lors des questions d’actualité. Dans une allusion à Elias, le jeune garçon tué quelques jours plus tôt d’un coup de machette, elle déclare que « le bras qui a porté un coup fatal au jeune Elias a aussi été armé par votre déni, votre idéologie de l’excuse et de l’aveuglement ». Suspension de séance, demande d’excuse, menace de poursuite en diffamation. La gauche s’indigne, une partie de la droite prend ses distances avec cette saillie que Rachida Dati assume ensuite. Est-ce ainsi que la candidate envisage le ton de la campagne ?
Chapitre 4
Affaire Renault : le grand tabou
Personne n’ose en parler trop ouvertement de peur de s’attirer les foudres de Rachida Dati. Depuis juillet 2021, elle est mise en examen pour « recel d’abus de pouvoir et d’abus de confiance », « corruption et trafic d’influence passifs par personne investie d’un mandat électif public au sein d’une organisation internationale ». En novembre, le Parquet national financier a demandé son renvoi devant le tribunal correctionnel. Les magistrats doutent de la réalité des prestations qu’elle aurait réalisées, en tant qu’avocate et à une période où elle était députée européenne, en contrepartie des 900 000 euros d’honoraires versés par le constructeur d’automobiles Renault, alors présidé par Carlos Ghosn. Pour l’instant, le juge d’instruction n’a pas rendu son ordonnance de renvoi. Plus les mois passent, moins il est plausible qu’une date d’audience soit fixée avant l’entrée en campagne. C’est donc une Rachida Dati présumée innocente – et qui n’hésitera pas à s’en prévaloir – qui se lancera dans la course. Mais cette configuration inédite plonge la campagne dans l’inconnue. Ses avocats n’ont pas souhaité répondre à nos questions.
Au Conseil de Paris, lorsque ses collègues du groupe Changer Paris qu’elle copréside se sont enquis auprès d’elle des conséquences que cette situation pouvait avoir sur l’élection, l’ancienne garde des Sceaux s’est voulue rassurante, elle a affirmé que son dossier était « solide » et qu’il n’y avait « pas d’infamie ». Pourtant, depuis des mois, elle s’emploie, avec l’aide de ses conseils, à écarter la menace à coups de questions de procédure. Elle a d’abord tenté, sans succès, de faire reconnaître la prescription des faits qui pourraient lui être reprochés. Puis elle a engagé, à l’encontre de Renault et de Jean-Dominique Senard, l’actuel président du constructeur automobile, des poursuites pour « s’être abstenu volontairement d’apporter aussitôt son témoignage aux autorités judiciaires ou administratives ». Autrement dit, de n’avoir pas fourni la preuve de son innocence alors qu’ils en avaient les moyens. Une première fois, au civil, le tribunal a débouté Rachida Dati, en s’étonnant qu’elle-même n’ait pas la preuve du travail accompli. Puis ses avocats ont entrepris une autre action, au pénal cette fois, mais uniquement à l’encontre de Jean-Dominique Senard. Ulcéré de la méthode, en particulier par la délivrance d’un document par huissier à son domicile alors que tout avait été organisé chez Renault pour que quelqu’un le réceptionne en son nom, Jean-Dominique Senard a, à son tour, porté plainte pour « dénonciation calomnieuse ». A ceux qu’il croise, il répète qu’il « ne lâchera rien ».
Certains parlent d’un risque de fillonisation : où est le plan B dans ce cas ?
Trois jours d’audience avaient été prévus à la fin du mois de janvier, une trentaine de témoins annoncés. Mais quarante-huit heures avant la date prévue, Rachida Dati se désiste de son action. Le jour de l’audience, un témoin se présente tout de même, personne ne l’a prévenu qu’on n’avait plus besoin de lui. Au tribunal de Nanterre, l’un des plus chargés de France, on est furieux de ce gaspillage de « temps judiciaire« . Depuis cette volte-face, beaucoup s’interrogent sur le but de cette étrange stratégie. L’initiative, et son dénouement, témoigne, pour le moins, d’une certaine fébrilité.
Car, même présumée innocente, Rachida Dati ne pourra éviter que ses adversaires utilisent sa mise en examen contre elle. Déjà, certains d’entre eux entonnent, l’air de rien, une petite chanson autour de la moralité et de la probité, n’hésitant pas à rappeler les procès des années Chirac et Tiberi. Mais ils s’aventurent sur ce terrain sur la pointe des pieds car la ministre de la Culture a la riposte judiciaire facile. En mars 2024, Lamia El Aaraje, la première secrétaire du PS parisien, a été condamnée en référé à effacer un tweet et à verser 5 000 euros à Rachida Dati pour des propos portant atteinte à la présomption d’innocence de la ministre. Emmanuel Grégoire, désormais député de Paris, a lui aussi eu droit à des poursuites lorsqu’il était premier adjoint d’Anne Hidalgo pour avoir dit, lors d’un conseil de Paris, « attendre d’en savoir plus sur la mise en examen ». Il a gagné, Rachida Dati n’a pas fait appel, mais ils sont désormais nombreux à craindre de se retrouver au tribunal pour avoir exprimé à voix haute ce que beaucoup pensent tout bas.
L’inquiétude gagne peu à peu ceux à qui l’on demande, à Renaissance ou à droite, de se ranger comme un seul homme derrière une tête de liste qui pourrait ne pas faire la course jusqu’au bout. Ils ont déjà connu une campagne qui tourne au calvaire pour cause de fragilisation extrême d’un candidat, François Fillon en 2017, Benjamin Griveaux en 2020. Aucun n’a envie de le revivre. « Je ne spécule pas sur ses ennuis judiciaires, mais certains parlent d’un risque de fillonisation : où est le plan B dans ce cas ? » s’interroge un parlementaire LR.
La principale inconnue reste la réaction des électeurs parisiens. Dans un paysage politique instable et éruptif, nul ne parvient à deviner l’effet des dossiers judiciaires sur sa candidature. Pour l’instant, les élus, de droite comme de gauche, se contentent de prendre la température en traquant, sur les réseaux sociaux, les commentaires ironiques comme ce « Et Carlos s’occupait du buffet ? ». Ils admirent aussi la bravoure d’une élue de droite arrivée un jour en réunion de groupe avec, à la main, un magazine affichant en Une les ennuis judiciaires de Rachida Dati. En privé, tous saluent un geste qu’aucun n’aurait osé. Surtout, ne pas insulter l’avenir.
Source link : https://www.lexpress.fr/politique/rachida-dati-a-lassaut-de-paris-le-culot-comme-methode-les-macron-comme-parrains-H3DHPGALABERNJQCC6UBPNZ7RE/
Author : Agnès Laurent
Publish date : 2025-04-02 16:00:00
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