L’Express

« Un jugement illégal » : autour de Marine Le Pen, 50 nuances d’antisystème

« Un jugement illégal » : autour de Marine Le Pen, 50 nuances d’antisystème

Patrick Hernandez fait sursauter les siesteurs du dimanche, venus chercher un rayon de soleil sur les pelouses des Invalides, à Paris. Born to be alive résonne sur la place Vauban qui peine à se remplir, alors que le Rassemblement national organise, ce dimanche 6 avril, son meeting de soutien à Marine Le Pen, condamnée, le 31 mars, à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire dans l’affaire des assistants parlementaires du parti.

« Vous êtes plus de 10 000 personnes à avoir répondu présent à l’appel de la démocratie », embellit largement Jordan Bardella à la tribune. La place parisienne est en réalité loin d’être comble et beaucoup de participants sont des militants, certains venus depuis les fédérations grâce aux bus diligentés par le parti. Si la manifestation rappelle, sur le fond, le Trocadéro de François Fillon en 2017, l’affluence est loin d’égaler celle de l’ancien candidat des Républicains.

Le risque d’exposer un décalage entre le discours victimaire du parti d’extrême droite et sa capacité mobilisatrice avait été soulevé, ce week-end, en interne. « Tout l’argumentaire repose sur le fait que la juge empêche une candidate qui réunit des millions de voix de se présenter, si dans la rue cet aspect massif ne se voit pas, l’effet sera assez terrible », craignait un cadre. Sur place, le constat est plus terre à terre. « En fait les gens s’en foutent, se résout un salarié du parti. Il fait beau et ils s’en tapent. Ils ont mieux à faire. »

« Ils l’ont Jean-Marinisée »

Décidée à la hâte, organisée dans l’urgence, la manifestation a été annoncée avant que la Cour d’appel n’indique que son jugement pourrait être rendu à l’été 2026, étouffant dans l’œuf l’idée que le calendrier judiciaire empêcherait Marine Le Pen d’être fixée sur son sort avant l’élection présidentielle. Cette modification calendaire a d’ailleurs bouleversé les frontistes, dont plusieurs se sont interrogés sur la pertinence d’un changement de pied dans la stratégie de défense. « S’il existe une chance que Marine Le Pen puisse être candidate en amendant notre argumentaire, il faut y réfléchir sérieusement, et ne pas s’obstiner dans une stratégie qui n’a pas porté ses fruits », assurait un élu.

Le message n’a manifestement pas atteint la capitale où, sur scène, les dirigeants frontistes se livrent à une démonstration de 50 nuances d’antisystème. Le maire de Perpignan, Louis Aliot, donne le ton. « Ils utiliseront tout pour empêcher la renaissance de notre patrie, et l’oligarchie qui gère aujourd’hui les affaires de la France et de l’Europe se défend avec l’énergie du désespoir, alors que le flot de la résistance monte, jusqu’à emporter ce système en place. » La foule applaudit mollement. Quelques soutiens commentent : « Ils l’ont flinguée, c’est tout, ils l’ont Jean-Marinisée. »

Parallèle avec Martin Luther King

Eric Ciotti prend la parole. L’ancien président des Républicains est rodé à l’exercice. Il avait déjà pris la défense de François Fillon sur le parvis du Trocadéro en 2017. La victime change, la plaidoirie varie peu. « L’heure est grave quand on veut éliminer des candidats lorsqu’ils parlent différemment d’un système établi. » Dans le public, un cadre prévient : « Attention à ne pas trop verser dans le ouin-ouin au risque de démoraliser nos électeurs. »

Message non reçu par Jordan Bardella et Marine Le Pen. Le premier invoque la démocratie athénienne dont le souvenir serait trahi par le jugement du 31 mars, « une date sombre dans l’histoire de la France, et une attaque contre la démocratie », venue de « ce même système qui laisse des OQTF (NDLR : obligation de quitter le territoire français) briser des vies ». Hurlements dans la foule. Excès de zèle ne nuit pas, une partie de son discours est consacrée à sa relation avec Marine Le Pen, à l’heure où des rumeurs de divisions enflent au sein du parti. « Elle pourra compter sur moi, jure Jordan Bardella. Plus que jamais, le duo que nous avons formé repose sur la confiance […], s’est renforcé dans les épreuves et se déploiera demain dans la grande victoire. » « Moi je suis pour l’union, c’est sûr, commente un participant en agitant un drapeau tricolore. Mais dans notre camp c’est comme ça, on n’y arrive pas. »

Marine Le Pen, elle, n’évoque pas la campagne présidentielle à venir. Dans le sillon de ses collègues et alliés, elle s’en prend, elle aussi, à la décision de justice « qui a bafoué l’Etat de droit et la démocratie », à la « dimension politique » que la juge aurait donnée au procès et à l’audience, « d’une partialité affolante ». Veillant, aussi, à toujours tempérer sa critique à l’égard de l’institution judiciaire. « C’est parce que nous sommes attachés à l’Etat de droit que nous nous opposons à son dévoiement par certains juges », assure la leader frontiste, osant le parallèle avec Martin Luther King et son combat pour la défense des droits civiques.

« Nous avons le droit de critiquer un jugement illégal »

Loin du micro, l’eurodéputé Philippe Olivier et conseiller de Marine Le Pen, occupé à vendre des casquettes « Je soutiens Marine » aux nouveaux venus, livre une version moins édulcorée. « Nous avons le droit de critiquer un jugement illégal, assure-t-il. Vous croyez que le système va choisir son opposant ? Non, ils ne décideront pas de notre candidat et ne manipuleront pas les textes pour nous faire condamner. Nous n’accepterons pas ça, nous ne sommes pas des sous-citoyens. »

La foule se disperse, déjà, avant la fin de la prise de parole de Marine Le Pen. Quelques élus regardent les grappes de participants s’éloigner en répétant les éléments de langage : « Ce sera désormais la campagne permanente. » D’autres ont un accès de lucidité : « Comment les tenir mobilisés si on n’arrive pas à remplir la place une semaine après la décision de justice ? » « Nous avons 500 000 signatures pour la pétition de soutien, et plus de 20 000 nouvelles adhésions au parti », conjure-t-on ici et là.

Philippe Olivier se fait philosophe. « Les soldats combattent et Dieu donne la victoire. On fait ce qu’on a à faire. Hors de question de se planquer, on est innocent et on est persécuté. » Qui l’aime le suive. Un couple de retraités repose son duo de drapeaux. « C’est vrai que c’est scandaleux, si la décision ne bouge pas, moi je quitte la France ! » Sa femme s’esclaffe. « Et pour aller où ? ». « Bon, c’est vrai, j’exagère un peu. Viens, on va boire un coup. »



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Author : Marylou Magal

Publish date : 2025-04-06 17:41:00

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