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Quand Danone se retrouve dans le viseur du clan Trump : récit d’une affaire improbable

Quand Danone se retrouve dans le viseur du clan Trump : récit d’une affaire improbable

D’une tentative de rachat d’une entreprise américaine de lait fermenté à des accusations de collusion avec le Parti communiste chinois (PCC). C’est l’histoire déconcertante qui touche Danone ces dernières semaines, accusée par le clan Trump de vouloir déstabiliser les Etats-Unis au service du régime de Xi Jinping. Le géant français de l’agroalimentaire a fermement démenti. Mais cet imbroglio, qui impliquerait jusqu’au FBI, pourrait avoir des conséquences non négligeables pour le groupe. Retour en quatre actes sur cette affaire délicate, en pleine guerre commerciale.

Acte I : le conflit entre Danone et Lifeway

6 janvier 2025. L’entreprise américaine Lifeway, peu connue du grand public en France mais à la pointe dans son secteur aux Etats-Unis, publie un communiqué au vitriol contre Danone, actionnaire minoritaire à hauteur de 20 %. Spécialiste américain du kéfir – une boisson à base de lait fermenté – et des produits probiotiques, Lifeway accuse le géant agroalimentaire français de vouloir racheter à un prix « fortement sous-évalué » l’entreprise. « Danone est opportunément déterminé à faire passer une offre inadéquate », estime la compagnie américaine qui, cependant, ne se dit « pas opposée à une vente à un prix reflétant plus fidèlement la valeur réelle de l’entreprise ».

Depuis, rien ne va plus entre les deux groupes. Danone a ainsi annoncé avoir déposé une plainte contre Lifeway et contre l’ensemble de son conseil d’administration, l’accusant d’avoir augmenté la rémunération de sa PDG, Julia Smolyansky, sans l’en avoir tenu informé. « Ce cadeau de fin d’année était égoïste, pour le bénéfice personnel de Mme Smolyansky, et dilutif pour tous les autres actionnaires de Lifeway, y compris Danone. Il s’agissait également d’une violation flagrante de l’accord d’actionnaires », estime l’entreprise tricolore, comme le rapporte le quotidien Les Echos. En retour, Lifeway dénonce des « actions prédatrices » de la part de Danone, un « partenaire commercial toxique », accusant notamment le géant agroalimentaire de vouloir déstabiliser le groupe afin de valider un rachat à un prix moindre.

La querelle commerciale ne s’arrête pas là. Car Lifeway n’est pas seulement en conflit avec Danone ; elle est également victime de luttes internes, avec des discordes familiales portant sur la gestion du groupe. Ainsi, alors que la PDG Julia Smolyansky refuse catégoriquement la vente de l’entreprise familiale, sa mère et son frère, également actionnaires du groupe, contestent vivement sa direction et déplorent son « manque de vision stratégique ». « Sous la direction malavisée de ma fille Julie, le conseil d’administration a donné la priorité au contrôle plutôt qu’à l’équité, rejetant les valeurs qui ont fait le succès de Lifeway », a ainsi affirmé auprès de Forbes Ludmila Smolyansky, la mère de la PDG, favorable à une vente du groupe à Danone. Tensions familiales, rachat avorté : les ingrédients sont déjà présents pour des règlements de compte dignes de séries télévisées – à l’image de la très cotée Succession. Mais cette querelle a pris une proportion bien différente ces dernières semaines.

Acte II : le voyage en Chine qui passe mal

Pour Antoine de Saint-Affrique, le PDG du groupe Danone depuis 2021, cet événement ne devait être qu’un parmi tant d’autres. Alors qu’il se rend du 23 au 25 mars à Pékin à l’occasion du China Development Forum, une conférence à laquelle de très nombreux dirigeants d’entreprise mondiaux prennent part, il fait le choix de donner une interview au Quotidien du peuple, le journal officiel du Parti communiste chinois. Il y vante les mérites de l’économie chinoise, se disant « impressionné » par la croissance et l’innovation dans le pays. Puis ajoute sa volonté de continuer à investir en Chine. « Le gouvernement chinois a pris une série de mesures positives pour stimuler la consommation et stabiliser les investissements étrangers, ce qui est sans aucun doute une bonne nouvelle pour les entreprises multinationales comme la nôtre », affirme-t-il.

Ces déclarations peuvent paraître relativement anodines pour un patron de multinationale cherchant à consolider son ancrage dans un marché aussi important que la Chine. Mais depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine ont pris une autre proportion. Et les propos élogieux d’Antoine de Saint-Affrique lui ont finalement attiré de lourds soupçons du côté de Washington.

Acte III : l’attaque frontale de Donald Trump Jr

Car ces déclarations sont arrivées jusqu’aux oreilles de Donald Trump Jr, le fils du président américain. Désormais à la tête de la Trump Organisation, le groupe familial, celui-ci tient également un podcast, « Triggered ». Et dans un épisode diffusé fin mars, il n’a pas mâché ses mots à l’encontre de Danone, qu’il accuse d’agir « au moins en partie, sous la direction implicite – ou peut-être explicite – du Parti communiste chinois ».

Pour étayer son accusation, « Don Trump » tient pour preuve la querelle du géant français avec Lifeway, assurant que Danone « essaye d’orchestrer une opération hostile de prise de contrôle de l’entreprise ». Il affirme ainsi que cette tentative de rachat n’a rien d’anodine. « D’après ce qu’on nous dit, ce conglomérat géant veut reprendre les opérations et remanier l’entreprise, supprimer des emplois, nuire aux agriculteurs. […] Et cela pourrait très probablement conduire à la perte de contrôle américain sur les produits laitiers vitaux et les chaînes d’approvisionnement », a ainsi déclaré le fils de Donald Trump, comme retranscrit par Les Echos.

« N’oubliez pas que les entreprises chinoises ne sont pas celles qui ont des noms chinois », charge-t-il enfin, poursuivant son propos accusateur en déclarant que « la Chine utilise des entreprises étrangères dans des endroits comme l’Europe comme mandataires pour essayer de mener à bien leur sale boulot ici, sur le sol américain ». Rien que ça.

Acte IV : pour Danone, nier sans froisser

Simples déclarations en l’air ou véritables menaces à l’encontre de l’activité de Danone aux Etats-Unis ? Si l’on connaît l’affection toute particulière de la famille Trump pour les intimidations verbales, l’administration américaine semble aussi prendre ce sujet à bras-le-corps. Dans un article publié dans le tabloïd conservateur britannique The Daily Mail, mercredi 2 avril, on apprend que… le FBI serait également en première ligne dans cette affaire. « Le FBI surveille activement et enquête sur la menace croissante d’acquisition de terres agricoles américaines par le Parti communiste chinois, ainsi que sur les risques d’interférence dans nos chaînes d’approvisionnement alimentaire », a ainsi affirmé Erica Knight, conseillère du directeur de l’agence, Kash Patel, auprès du journal britannique.

Danone a indiqué à l’AFP qu’à sa connaissance, aucune enquête ne la concernant n’était pour le moment en cours aux Etats-Unis. « Danone déplore les allégations trompeuses et erronées apparues sur les réseaux sociaux à propos de cette opération. Il est faux de prétendre que l’intérêt de notre filiale américaine pour Lifeway Foods était lié au Parti communiste chinois », a réagi le groupe français, ce vendredi 4 avril.

Un démenti pouvant paraître presque absurde au vu de l’ampleur des accusations. Mais pour la multinationale française, ces accusations pourraient être lourdes de conséquences. Et ce, pour une raison évidente : les Etats-Unis représentent son premier marché, devant la France et la Chine. Elle y emploie près de 5 000 personnes et y dispose de 13 sites de production. Et à l’heure où Donald Trump semble prêt à mener une guerre commerciale sans relâche à quiconque ne va pas dans son sens, chaque menace de son administration ne peut être que prise très au sérieux.



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Publish date : 2025-04-07 04:30:00

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