L’offensive commerciale mondiale de grande ampleur lancée par Donald Trump n’épargne pas grand monde. La France et ses 47 milliards d’euros d’exportations en 2024 de biens vers les Etats-Unis est concernée. Certains secteurs sont particulièrement exposés à l’exportation vers les Etats-Unis, comme le luxe (parfums, maroquinerie, etc.) Les poids lourds du luxe, dominants sur l’indice CAC 40 et très exposés au marché chinois, ont été touchés par la panique boursière. Ce mercredi 9 avril, à la clôture de la Bourse de Paris, LVMH, leader mondial du secteur et première capitalisation boursière française, a ainsi cédé 4,12 %, Kering 5,42 % tandis qu’Hermès a perdu 0,80 % en raison de l’escalade des tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis. C’était avant le revirement spectaculaire de Donald Trump, qui a finalement annoncé suspendre pour 90 jours ses surtaxes douanières « réciproques », hors Chine.
Le titre du champion mondial du luxe LVMH dirigé par Bernard Arnault est désormais en baisse de 2 % depuis le début de l’année 2025, relevait Reuters mardi. Celui de Kering, maison mère de la marque Gucci, est en baisse de 31 %. Hermès et Richemont, propriétaire du joaillier Cartier, sont eux en baisse de 8 % et 6 % respectivement.
Lundi, les analystes de Bernstein, spécialiste en recherche et cash actions, ont abaissé leur prévision de marché pour l’ensemble du secteur du luxe, retenant désormais une contraction de 2 % en 2025 contre une croissance de 5 %, précédemment, soit une révision colossale de sept points, relatait BFM Bourse lundi. « L’incertitude et la poursuite probable de la déroute des marchés boursiers créent une prophétie autoréalisatrice : une récession mondiale », écrit Luca Solca, analyste chez Bernstein, dans une note adressée aux clients, comme le relève Reuters. Une incertitude qui se poursuit donc, après l’annonce de Donald Trump ce mercredi.
Des hausses de prix attendues
L’impact pour les marques de beauté reste incertain. Les marques de cosmétique et de parfums de luxe peuvent bénéficier d’une certaine élasticité tarifaire. Elles pourraient rogner sur leurs marges. Lundi, Bernstein ne se montrait pas très inquiet des impacts de « premier ordre » sur le luxe, c’est-à-dire les répercussions en termes de prix. L’intermédiaire financier estimait que ces surtaxes douanières pouvaient être neutralisées par les groupes de luxe si ces derniers passent des hausses de prix allant de 1 % à 4 %. « C’est moins que les 5 % à 7 % d’inflation des prix en données comparables que nous avons constatés dans le secteur au cours des 50 dernières années », mettait en avant Bernstein. Selon les estimations d’UBS, les droits de douane américains de 20 % sur les produits en provenance de l’Union européenne et de 31 % sur ceux en provenance de la Suisse, s’ils étaient appliqués, devraient inciter les marques de luxe européennes à augmenter leurs prix aux Etats-Unis d’environ 6 % en moyenne afin de protéger leurs bénéfices.
Deutsche Bank estimait pour sa part que les tarifs douaniers provoqueront des hausses de tarifs chez les groupes de luxe de 7 % aux Etats-Unis et de 2 % dans l’ensemble du monde. « Nous considérons que les marques plus patrimoniales et plus haut de gamme comme Hermès et Richemont sont les mieux placées pour imposer des hausses de prix aux Etats-Unis », juge Deutsche Bank. Le gérant du groupe Hermès, Axel Dumas, avait déjà fait savoir dès février dernier, en marge de la présentation des résultats annuels, que « si les droits de douane augmentent, on va augmenter nos prix pour compenser ». Si la clientèle du luxe, souvent aisée, est moins sensible au prix, et donc à une éventuelle hausse des droits de douane, reste à savoir si les consommateurs même les plus aisés pourront suivre le mouvement si une récession économique devait advenir.
La semaine dernière, UBS indiquait que « les droits de douane sont susceptibles d’avoir un impact sur la demande globale, mais surtout sur les deux nationalités de consommateurs les plus importantes du secteur, les Américains et les Chinois, qui représentent ensemble 55 % des ventes des entreprises de luxe ». « Nous notons que cela se produit à un moment où le secteur est confronté à un cycle baissier avec peu de visibilité sur un retour prochain à une dynamique positive des bénéfices », notait la banque suisse. Selon Zuzanna Pusz, analyste chez UBS, « en fin de compte, ces tarifs douaniers inciteront probablement davantage les consommateurs américains du luxe à faire leurs achats à l’étranger ».
« C’est la psychologie, le vrai sujet »
Pour les analystes, c’est davantage l’effet de la bataille douanière qui semblait s’engager qui pourrait heurter les géants du luxe. « La politique américaine peut entraîner une récession et des corrections en Bourse », craignait Luca Solca de Bernstein. Par ailleurs, « un impact indirect pourrait survenir en raison de l’effet potentiel sur le moral des consommateurs à l’échelle mondiale, en particulier au sein des segments clés que sont les consommateurs chinois (qui représentent environ 1/3 des ventes) et américains (25 % des ventes) » du secteur, selon UBS. « C’est la psychologie, le vrai sujet », confirme HSBC. « L’éléphant dans la pièce, ce ne sont pas tant les mécanismes des droits de douane sur les résultats du luxe, mais plutôt une combinaison de destruction de richesse (le NASDAQ a perdu 15 % ces trois derniers mois), de baisse du pouvoir d’achat américain (l’euro est au plus haut par rapport au dollar) et de la dégradation progressive du moral des consommateurs aux Etats-Unis », ajoutait HSBC. « Tout revient à cet élément immensurable : on n’achète pas du luxe parce qu’on est riche, mais parce qu’on croit en l’avenir », rappelait la banque.
Les enjeux sont de taille pour le secteur du luxe et donc pour la France. Les Etats-Unis sont le premier pays acheteur mondial de cosmétiques français, avec trois milliards d’euros d’exportation, une progression de 17,6 % en 2024. Dans la parfumerie, un produit acheté sur cinq est exporté outre-Atlantique. Entre les parfums, les produits pour la toilette et les produits de maroquinerie, la France a exporté au total pour 4,5 milliards d’euros de biens liés au luxe aux Etats-Unis en 2024.
Tous les biens de luxe français ne sont pas nécessairement des exportations. Parmi les grands fleurons français, le géant LVMH possède des sites de production aux Etats-Unis, où il y réalise un quart de son chiffre d’affaires. Dans le détail, relève l’AFP, LVMH peut compter sur 1182 boutiques aux Etats-Unis, trois ateliers Vuitton ou encore quatre vignobles mais une grande partie de sa production reste en France et notamment ses champagnes (Krug, Ruinart, Veuve Cliquot…), cognacs (Hennessy) ou vins (Cheval Blanc, château d’Yquem, Domaine des Lambrays). Ses marques de mode, maroquinerie (Dior, Céline, Loro Piana…) et parfums (Guerlain, Acqua di Parma…) sont aussi largement produites en Europe.
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Author : Julien Chabrout
Publish date : 2025-04-09 18:25:00
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