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« Les Vacances chez Pépé-Mémé » : une jouissive BD sur l’été des Parisiens à la campagne

« Les Vacances chez Pépé-Mémé » : une jouissive BD sur l’été des Parisiens à la campagne

Deux copines, assises à la terrasse d’un café parisien, tranquilles, au soleil. L’une dit à l’autre à propos de ses enfants : « L’air de la campagne leur fait du bien. » Elle a laissé ses trois gosses à ses parents qui vivent dans les Deux-Sèvres, au milieu des vaches, des poules, et ils ont aussi un cochon répondant au nom de Cassoulet. Les trois petits parigots adorent Cassoulet, surtout le plus jeune, Ethan, que ses aînés ont installé sur le dos de l’animal pour faire un rodéo. Cassoulet a l’air content… il galope allègrement, jusqu’à ce que Pépé l’attrape pour le saigner.

La tête des mômes éclaboussés par le sang de cochon, c’est jouissif, c’est du Bouzard, ça s’appelle Les Vacances chez Pépé-Mémé, c’est publié chez Fluide glacial. Une BD bête et méchante, un feel good hara-kiriesque, plein de mauvais sentiments envers les enfants, les parents, les animaux, les péquenots moches et sans cœur, un brin pervers.

Une approche particulière de l’histoire de France

Pour leur faire oublier le sacrifice de Cassoulet qu’ils aimaient tant, Mémé emmène ses trois petits-enfants en promenade : « Pas bien loin, on va faire le chemin des pendus. » Un chemin qui traverse le bois. Mémé dans son master class : « Celui-là c’est l’arbre au Vivien, l’ancien facteur, c’est là qu’il s’est pendu, il y a une dizaine d’années. » Tant qu’à faire de les avoir sur le dos, Mémé a décidé de leur apprendre des trucs qu’ils n’apprendront pas à l’école, la mort, le suicide, et le mot cocu : « C’est pour ça qu’il s’est pendu, le Vivien. »

Un peu plus loin, c’est l’arbre au gros François… tellement gros que la branche a cassé : « Et le plus drôle, c’est que son fils s’est pendu au même arbre, dix ans plus tard. » On arrive aux huit soldats allemands pendus par les résistants, et en représailles les 16 villageois pendus eux aussi. Mémé dispense ainsi toute une botanique sylvestre des pendaisons locales. Si les deux grands sont passionnés par cette façon particulière d’appréhender l’histoire de France, le petit Ethan boude tout le long de la promenade, « une vraie tête à claques », résume Mémé à sa voisine, Marie-Claude, aussi maigre que Mémé est grosse, et toutes les deux commères pareillement édentées.

On les retrouve au marché, Marie-Claire traînant son chariot de courses, Mémé son cabas, devisant sur l’emmerdement d’avoir des gosses… Et au retour, il y a Paulo, centenaire priapique atteint du syndrome de Gilles de la Tourette, il les accueille en fanfare, hurlant ses insanités, les petits Parisiens n’en perdent pas une miette, tout un vocabulaire qui devrait leur servir, de retour à la civilisation.

Bouzard distille ainsi une quinzaine de saynètes délicieusement rurales, dont je crains que mon compte rendu ne vous ait pas fait rire, au mieux sourire… le rire c’est une autre paire de manches. Toute une mécanique, une sorcellerie, dont Bouzard possède le grimoire, hérité de Reiser, de Gottlieb, qu’il partage avec Binet et d’autres rares à posséder cette maîtrise de l’ellipse narrative quasi acrobatique, la main souveraine comme on dit en musique d’une oreille absolue. Ils ont l’irrévérence dans le sang, l’œil transgressif et l’amour du réel. Avec tout ça, ils peuvent se passer des bons sentiments.

Je n’en peux plus des bons sentiments, le mélo m’épuise, je déteste pleurer au cinéma, c’est tellement facile, une fille se réconcilie avec son père, un grand résistant retrouve sa femme rescapée des camps, une gamine réussit son examen malgré son handicap, ils s’aiment malgré leurs différences de classes, il pardonne à sa mère qui l’a abandonné, je n’en peux plus de ces recettes à trois balles, à chaque fois je me fais avoir, j’oublie d’emporter des mouchoirs, je renifle pendant deux heures, comme le dernier des ploucs à blockbuster. Je veux trembler d’effroi aux Tardes de soledad d’Albert Serra, crever de rire avec les Vacances chez Pépé-Mémé de Bouzard, regarder le dernier plan-séquence d’Adolescence, sur Netflix, en me demandant si c’est si bien que ça.



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Author : Christophe Donner

Publish date : 2025-04-09 07:00:00

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