Il le qualifie de ministère de « l’urgence » et de « l’endurance ». Deux temporalités, une exigence de résultat. Bruno Retailleau nourrit un rapport ambivalent au temps depuis son installation à Beauvau. Celui-ci est un allié, tant les semaines passées au gouvernement ont installé le Vendéen au rang de présidentiable. Il est aussi une menace. L’impuissance relative du ministre de l’Intérieur se fait jour, interrogeant la pertinence de sa présence au sein de l’exécutif. « Six mois d’action » : Bruno Retailleau a présenté ce jeudi 10 avril son bilan à Beauvau, aux côtés de son collègue François Noël-Buffet. Moment d’autocélébration ? Ou exercice de justification ?
Litanie de chiffres à l’appui, il s’est échiné à démontrer le sens de sa présence au gouvernement. Ici, une hausse de 9 % des éloignements forcés. Là, 269 filières d’immigration démantelées en 2024. Et tant pis pour les petites approximations. Ainsi le ministre de l’Intérieur vante l’adoption au Sénat de propositions de loi sur la durée de rétention ou le versement aux étrangers de prestations sociales, sans préciser qu’elles attendent toujours leur inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Appel déguisé à la clémence
Les mois passent. Bruno Retailleau n’est plus le « jeune » ministre, qui martelait en septembre 2024 son obsession de restaurer l’ordre. Il prend désormais soin de souligner que son action nécessite du « temps ». « On n’efface pas en quelques mois des décennies de désordre », assure-t-il devant la presse. Ce constat pragmatique, appel déguisé à la clémence populaire, est frappé d’ambiguïté. Quand il s’installe à Beauvau, Bruno Retailleau s’engage dans une bataille culturelle pour imposer ses vues, prenant à témoin l’opinion publique. Le ministre de coalition s’exprime avec la latitude idéologique d’un ministre de majorité absolue. Sa liberté de ton lui ouvre les voies de la popularité, mais lui impose des résultats rapides. « Quand on parle si fort, on voit vite le décalage entre les paroles et la réalité », analyse un lieutenant de Laurent Wauquiez, son concurrent à la présidence des Républicains. La radicalité rhétorique oblige.
Bruno Retailleau demande donc du « temps » pour obtenir des résultats. Cette requête est à double tranchant. Ce temps doit le protéger du procès en immobilisme instruit par ses contempteurs. Quand il quittera Beauvau, le Vendéen devra présenter des avancées concrètes, et pas une simple victoire culturelle issue de sa popularité. Combien de temps faut-il rester pour obtenir ces fameux résultats ? Quand commence l’usure ? Cette altération politique serait particulièrement dommageable pour Bruno Retailleau, homme structuré idéologiquement. « Tout cela est une espèce de balance », admet un fidèle.
Promesse de jours heureux
Alors, le ministre fait du judo avec ses propres contraintes. Il insiste sur ses marges de manœuvre limitées au vu de la configuration politique à l’Assemblée. Avec un dessein : que cet exercice de vérité suscite l’indulgence des électeurs. Bruno Retailleau érige surtout son passage au ministère de l’Intérieur en promesse pour l’avenir. Par sa liberté de ton et sa dénonciation des blocages, il donnerait à voir ce que la droite pourrait faire en cas d’alternance. Une sorte de bande-annonce, destinée à séduire les Français. « Si nous avions les rênes demain, nous pourrions faire tellement plus », lâchait-il ce jeudi à l’issue de sa conférence de presse. Comme si avoir pleinement les manettes garantissait presque par magie l’accomplissement des objectifs.
Avant le futur, il y a le présent. La preuve par l’Algérie. Le ministre tente d’imposer un bras de fer avec le régime, depuis l’arrestation de Boualem Sansal. La reprise en main du dossier par les diplomates – illustrée par le déplacement de Jean-Noël Barrot – ravit les contempteurs du ministre. Lui ne s’avoue pas vaincu, et affirme que « le juge de paix sera le résultat ». L’Algérie reprend la coopération migratoire et libère l’écrivain ? Il criera victoire. Le statu quo prévaut ? Il haussera le ton. Ce temps suspendu est propice aux espoirs, mais la pièce pourrait retomber du mauvais côté.
L’ancien patron des sénateurs LR a découvert la vie de ministre à 64 ans. A un moment, chaque jour supplémentaire passé à Beauvau aura un coût politique supérieur à ses avantages. Sans doute quittera-t-il alors l’exécutif. Qu’il est délicat d’identifier cette date, si les circonstances ne l’imposent pas d’elles-mêmes. Une chose est certaine : le temps à l’Intérieur doit rester dans la mémoire des Français. L’histoire politique ne manque pas de comètes, aussi vite portées au pinacle qu’oubliées.
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Author : Paul Chaulet
Publish date : 2025-04-10 16:30:00
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