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Philippe Welti, ex-ambassadeur de Suisse en Iran : « Téhéran ne reviendra pas en arrière sur le nucléaire »

Philippe Welti, ex-ambassadeur de Suisse en Iran : « Téhéran ne reviendra pas en arrière sur le nucléaire »


Il était l’un des diplomates les plus respectés à Téhéran. De par son poste d’ancien ambassadeur de Suisse en Iran de 2004 à 2008, Philippe Welti est, depuis une vingtaine d’années, un observateur privilégié des crises entre Téhéran et Washington. Si les deux pays n’ont plus de relations diplomatiques depuis 1980, ils échangent toutefois indirectement par le biais de l’ambassade de Suisse à Téhéran qui possède un « mandat de puissance protectrice » pour le compte des Américains. C’est grâce à ce canal privilégié que Washington peut faire passer des messages à leurs homologues iraniens.

Ce samedi 12 avril, des discussions inédites sur le dossier du nucléaire s’ouvrent dans le sultanat d’Oman, auxquelles participeront l’émissaire américain pour le Moyen-Orient Steve Witkoff ainsi que le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi. En mars dernier, le président américain a adressé une lettre à l’Iran appelant à des négociations sur le nucléaire. Objectif : remplacer le précédent accord international conclu en 2015 entre Téhéran et les grandes puissances, devenu caduc depuis que Washington s’en est retiré en 2018 sous l’impulsion d’un certain Donald Trump. De retour à la Maison-Blanche, l’imprévisible président américain a de nouveau menacé l’Iran de recourir à l’option militaire en cas d’échec. « Loin de se donner en spectacle et de se contenter de parler devant les caméras, Téhéran cherche un accord sérieux et équitable », a répondu, vendredi 11 avril, Ali Shamkhani, un conseiller de haut niveau du guide suprême Ali Khamenei.

Philippe Welti analyse pour L’Express les enjeux de ces discussions. Pour lui, l’Iran n’est pas prêt à « revenir en arrière » sur le dossier du nucléaire et raconte les arcanes de cette diplomatie suisse de l’ombre. Entretien.

Philippe Welti, ex-ambassadeur de Suisse en Iran.

L’Express : L’étranglement de l’économie iranienne du fait des sanctions, et l’affaiblissement de ses partenaires régionaux (Syrie, Hezbollah, le Hamas), ont-ils poussé Téhéran à ces discussions avec les Américains ?

Philippe Welti : Oui, les Iraniens se trouvent dans une position géostratégique très difficile. Ils ont perdu toutes leurs lignes de défense dans le voisinage, ce qui explique cette disponibilité pour discuter, mais cela ne veut pas dire qu’ils vont accepter les demandes américaines. L’histoire est là pour le rappeler. En 2015, avec le président Hassan Rohani, un modéré qui aspirait à une normalisation progressive avec l’Occident pour des raisons économiques, l’Iran avait accepté des concessions incroyables dans le domaine nucléaire. Tout cela a été réduit en miettes par le retrait des Américains en 2018. Depuis, ils ont développé leurs activités nucléaires et il n’est pas question de revenir en arrière. C’est le nucléaire qui les protège aujourd’hui. Les exemples de la Russie et de la Corée du Nord leur montrent que cela est encore vrai.

Le président américain a affirmé le 9 avril qu’une action militaire contre l’Iran était « tout à fait » possible. La stratégie de « pression maximale » exercée par Donald Trump est-elle la bonne ?

C’est le style de la Maison-Blanche. Donald Trump considère le reste du monde comme hostile, même les partenaires de l’Otan ! Mais je ne vois pas de spécificité iranienne. A mon avis, Donald Trump pense aujourd’hui davantage à la Chine, fortement ciblée par les droits de douane, qu’à l’Iran. Le seul moment où le président fait référence à l’Iran c’est lorsqu’il parle avec Benyamin Netanyahou sous l’angle d’une hostilité directe et très dangereuse qui a à voir avec la position d’Israël dans la région. Israël est puissant militairement mais toujours isolé au Proche-Orient. Tant qu’il y aura des gens raisonnables autour du président, il n’y a pas de risque d’ouvrir un nouveau front militaire. Ce n’est pas dans l’intérêt des Etats-Unis. Je crois que le rôle historique des Etats-Unis a toujours été d’équilibrer le degré de conflictualité régional depuis 1948.

Abbas Araghchi, le ministre iranien des Affaires étrangères, est réputé pour être un diplomate ouvert à l’Occident. A-t-il vraiment une marge de manœuvre dans ce dossier ?

Je connais la famille Araghchi. Ce clan connaît très bien l’Occident et pense qu’il faut trouver un moyen de coexistence avec le monde libéral. Ils ont effectivement peu de pouvoirs, mais occupent une position très importante dans l’équilibre politique du pays. L’Iran n’est pas une structure pyramidale où seul le chef donne des ordres. C’est une distribution du pouvoir à un niveau horizontal, un équilibre entre forces conservatrices et réformatrices, qui plaident pour l’ouverture. Ce qui réunit ces courants, c’est de sauvegarder le système en tant que tel. Aujourd’hui, la République islamique est fortement sous pression pour des raisons politiques et économiques. Ils savent que le peuple est contre eux et qu’ils sont étranglés financièrement par les sanctions américaines.

Washington et Téhéran n’ont plus de relations diplomatiques depuis 1979. Quel rôle joue la Suisse avec son mandat de puissance protectrice ?

Le grand public ignore tout de ce mandat. Il s’agit de représenter et de défendre les intérêts d’un Etat dans un autre pays, auprès d’un autre gouvernement. Dans le cas présent, il s’agit des intérêts américains auprès du gouvernement iranien. L’essence d’un tel mandat, c’est la parfaite confiance et surtout la confidentialité. Rien ne doit jamais sortir. Il s’agit principalement de communications qui passent d’un côté à l’autre et de « commentaires » qui doivent être entièrement fidèles au contenu. Dans le cadre de communications directes entre Téhéran et Washington, l’ambassadeur de Suisse à Téhéran fonctionne seul et communique.

C’est une grande spécificité de la diplomatie suisse ?

Le service diplomatique suisse n’est pas très connu en dehors de son expertise dans ce domaine des mandats de puissance protectrice. Pendant la Seconde Guerre mondiale par exemple, nous étions le champion mondial dans ce domaine ! Cela tient à l’histoire de la Confédération suisse. Nous n’avons pas de passé impérialiste et avons eu, dans notre voisinage, des puissances plus grandes, plus fortes que nous, voire, par moments, hostiles.

Vous étiez en poste en Iran de 2004 à 2008. Dans le jargon, on dit parfois que la Suisse est le « postier » des Etats-Unis et de l’Iran ?

J’accepte ce préjugé, mais je peux vous dire qu’il est faux. En Iran, le poste d’ambassadeur à Téhéran est considéré comme l’un des deux ou trois postes diplomatiques les plus importants. On profite d’une attention particulière des autorités. Lorsque j’en formulais la demande, j’obtenais tout de suite des rendez-vous sur n’importe quelle question au ministère des Affaires étrangères. Et même à de très hauts niveaux, jusqu’au chef de la diplomatie. Et de l’autre côté, lorsque je venais à Washington tous les six mois, je m’entretenais avec des contacts au Département d’Etat, au Pentagone, à la Maison-Blanche pour le Conseil de sécurité nationale ainsi qu’avec la communauté des services de renseignement. Il ne s’agit donc pas juste de faire passer des messages, mais d’expliquer ce que je voyais et comment je comprenais la politique iranienne.

En mai 2006, vous racontez avoir eu entre les mains un courrier historique… Que contenait-il ?

C’était une lettre de Mahmoud Ahmadinejad [NDLR : président de 2005 à 2013] pour George W. Bush, où il fait mention de « nouveaux moyens » pour régler les tensions entre l’Iran et l’Occident. C’était historique, car pour la première fois depuis 1980, le président iranien écrivait directement au président américain. Le contenu était très élaboré et érudit. Il y avait dans ce courrier des passages d’une lettre des temps byzantins, d’une adresse à l’Empereur de Constantinople.



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Author : Charles Carrasco

Publish date : 2025-04-12 05:45:00

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