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Rousseau, Tondelier, Bardella… Comment Donald Trump les a (presque) convertis au libre-échange

Rousseau, Tondelier, Bardella… Comment Donald Trump les a (presque) convertis au libre-échange

« Ça va être affreux pour le peuple américain, et particulièrement pour les plus pauvres aux Etats-Unis, qui vont voir une inflation assez importante ». Ce cri d’alarme face aux conséquences de l’offensive tarifaire de Donald Trump ne provient pas d’une fervente partisane du libre-échange, mais de Sandrine Rousseau. Une prise de position pour le moins inattendue, tant la députée écologiste s’est illustrée par sa défense d’une ligne économique profondément interventionniste, pour la France comme pour l’Europe. Et elle est loin d’être un cas isolé. Chez les habituels détracteurs de la mondialisation, nombreux sont ceux qui ont condamné le virage interventionniste des Etats-Unis. Marine Tondelier, Manon Aubry ou encore Jordan Bardella, pour ne citer qu’eux, n’ont pas mâché leurs mots.

« C’est gonflé », lâche Nicolas Bouzou, essayiste et chroniqueur à L’Express, qui ne manque pas de souligner l’hypocrisie de telles critiques : « Trump mène une politique dont ils vantent pourtant les effets quand il s’agit de l’Europe ! ». De telles réactions ont, en effet, de quoi surprendre. Vaguement toléré au centre, radicalement rejeté aux extrêmes, le libre-échange est loin de faire l’unanimité dans la classe politique française. « La vérité, c’est que tous des partis inscrivent le protectionnisme dans leur programme », déplore Nicolas Bouzou.

Un consensus protectionniste

D’ailleurs, ils ne s’en cachent pas. Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti Les Écologistes – EELV, s’est ainsi vantée de la constance de son parti sur le sujet : « On se bat contre les traités de libre-échange depuis des décennies ». Même discours du côté de La France Insoumise (LFI), qui se targue d’être le « seul groupe à avoir voté contre tous les accords de libre-échange destructeurs ». Dans son programme pour les élections européennes de juin 2024, sobrement intitulé « Sortir du libre-échange et relocaliser », LFI mène une attaque en règle contre des traités qui « tuent notre industrie et notre agriculture », et défend l’idée d’un « protectionnisme écologique et social ». À l’extrême droite, même constat. Dans son programme de 2022, le Rassemblement national promet de « protéger notre économie de la concurrence déloyale » et de « revoir les accords de libre-échange qui ne respectent pas les intérêts de la France ».

Rien n’illustre mieux ce consensus protectionniste que les atermoiements autour de la difficile adoption de l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne. Que ce soit LFI, le RN ou EELV, tous ont vigoureusement rejeté le traité. Les écologistes ont dénoncé un accord conclu « au prix de l’agriculture française ». La France insoumise a appelé au blocage des négociations, et à « renvoyer l’accord UE-Mercosur aux oubliettes ». Le Rassemblement national, lui, a lancé une pétition, refusant de « sacrifier l’agriculture sur l’autel du libre-échange et de la mondialisation sauvage ». Son président, Jordan Bardella, va plus loin, qualifiant l’accord de « déclaration de guerre à l’environnement et à nos agriculteurs ». « Le temps devrait être au localisme », martèle-t-il, alors que cet accord, au contraire, « participera de manière significative à l’augmentation des échanges commerciaux à travers la planète ».

Mais cela, c’était avant. Avant que Donald Trump ne plonge le monde dans l’incertitude à l’occasion de son « Liberation Day ». Avant que la chute des cours boursiers ne sème la panique dans de nombreux foyers américains, inquiets pour leur épargne et une possible flambée des prix. Avant, enfin, que Donald Trump ne fasse volte-face et annonce suspendre pendant 90 jours la hausse des droits de douane.

Ces farouches adversaires de la mondialisation auraient-ils découvert les vertus du libre-échange ? Rien n’est moins sûr. Pour eux, cette séquence politique n’invalide nullement leurs convictions, bien au contraire. « Pour moi, c’est la fin d’un cycle, on arrive à la fin d’une mondialisation », affirme Sandrine Rousseau. L’exercice n’en reste pas moins périlleux. Comment critiquer Trump sans se dédire ?

Le bon, et le mauvais protectionniste

À les entendre, la réponse est simple : il y aurait un bon et un mauvais protectionnisme. L’argumentaire est bien rodé. D’abord, les justifications idéologiques diffèrent. Comme nous l’explique l’essayiste libéral Ferghane Azihari : « les idéologies qui motivent le protectionnisme ne sont pas les mêmes à droite et à gauche, en France et aux Etats-Unis ». Pour marquer leur différence, les responsables politiques français affublent au protectionnisme toute sorte de qualificatifs : « social », « solidaire », « écologique », « intelligent », etc. Ce qui permet, par exemple, à l’eurodéputée LFI Manon Aubry d’affirmer que « notre stratégie de protectionnisme solidaire, au service d’objectifs sociaux et écologiques, est aux antipodes du projet capitaliste de Trump ».

Surtout, ils tiennent à souligner la singularité de leur approche. Jordan Bardella a ainsi déploré, sur LCI, une « méthode très brutale », avec des « droits de douane de bourrin », qu’il oppose à un « protectionnisme ciblé » : « il faut faire ça intelligemment, […], on doit évidemment au plus du possible protéger l’intérêt des consommateurs, et surtout l’intérêt des entreprises françaises et européennes ».

Une stratégie rhétorique qui ne convainc pas Nicolas Bouzou : « ils ont beau jeu de dire que ça n’est pas la même chose, car leur protectionnisme serait moins agressif, plus écologique. Mais ce sont de faux arguments ». Ces formules alambiquées, par leur manque de précision, autorisent un nombre infini d’interprétations, ce qui explique que des personnalités aussi différentes que Marine Tondelier et Nicolas Dupont-Aignan se revendiquent tous les deux d’un « protectionnisme intelligent ». « Ce protectionnisme intelligent est très incantatoire », pointe Ferghane Azihari. « Ils pensent se différencier en accolant le mot « social », renchérit Nicolas Bouzou, mais Trump, lui aussi, prétend faire un protectionnisme social, puisqu’il vise la réindustrialisation moyenne gamme des Etats-Unis pour satisfaire son électorat ».

« Il n’y a pas de bon protectionnisme »

Ces derniers jours auront au moins eu le mérite de mettre les ennemis du libéralisme face à leurs contradictions, explique Ferghane Azihari : « cela fait des années que les détracteurs de la mondialisation nous disent que le libre-échange, c’est le diable en personne, en mettant sans cesse sous le tapis le bilan positif de ces soixante dernières années ». « Du point de vue de la pédagogie, complète Nicolas Bouzou, c’est une période extraordinaire : pour la première fois, nous sommes entrés dans la pratique du protectionnisme. Il y a des faits irréfutables, même pour Sandrine Rousseau, qui est bien obligée d’admettre que le protectionnisme est payé par le pays qui le met en place ».

C’est peut-être l’un des enseignements de cette séquence : qu’il soit « trumpiste » ou « solidaire », « bourrin » ou « ciblé », de droite ou de gauche, le protectionnisme fait « beaucoup plus de perdants que de gagnants », soutient Ferghane Azihari. Tout simplement, conclut-il, parce qu’ »il n’y a pas de bon protectionnisme » : « la théorie des avantages comparatifs de Ricardo nous dit que tout protectionnisme est par définition idiot, et qu’une nation a toujours intérêt à s’ouvrir aux échanges commerciaux, quelles que soient ses forces et ses faiblesses ». À bon entendeur.



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Author : Baptiste Gauthey

Publish date : 2025-04-13 16:00:00

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