L’analyse du cas Vencorex est accablante. Depuis des années, les fragilités de ce site industriel grenoblois, maillon essentiel de la filière chimique, étaient connues, ainsi que l’effet domino que sa défaillance entraînerait, en amont et en aval de sa chaîne de valeur.
Il y a trois ou quatre ans, traiter le cas Vencorex aurait demandé « seulement » quelques millions d’euros. L’opération, aujourd’hui, reviendrait à combler une perte de 100 millions d’euros par an. L’Etat a calé. Il a fait un refus d’obstacle devant l’hypothèse d’une « nationalisation temporaire ».
Il y a deux ans, nous aurions pu lancer une enquête antidumping contre la Chine. L’exécutif, au niveau français ou européen, aurait dû en prendre l’initiative. Car nous le savons bien, la sécurité d’approvisionnement se heurte à un monde de concurrence effrénée. Les marchés ne valorisent pas la souveraineté. Or, la puissance publique ne peut pas rester spectatrice de ces échecs. Elle n’est pas seulement la régulatrice des marchés et de leur « main invisible ». Elle est aussi garante de notre indépendance stratégique, de notre trajectoire environnementale, de notre cohésion territoriale.
Bref, la reprise partielle de Vencorex par son rival chinois Wanhua, assortie de 400 suppressions de postes, aurait pu être évitée.
Au-delà de ce cas, combien suivront ? Croire que ce site est le seul à la santé économique chancelante constitue un profond déni de réalité.
L’illusion d’une industrie « sans amont »
Notre projet européen repose sur un modèle social, des ambitions environnementales et une « éthique » commerciale qui ont un prix. En leur nom, nous optons collectivement pour du gaz liquéfié deux fois plus cher que le gaz que nous importions de Russie, et six fois plus cher au moins que le gaz de schiste dont bénéficient les entreprises américaines. Nous assumons une masse salariale cinq fois plus élevée qu’en Asie. Nous acceptons, pour la majorité de nos investissements, des surcoûts de l’ordre de 30 % afin d’incorporer des garanties de protection de l’environnement.
Nos efforts de compétitivité sont nécessaires, mais ils ne suffiront pas. Soit l’Europe renonce à s’appuyer sur une industrie lourde, soit elle adopte une politique commerciale différente. Le rapport Draghi ne dit pas autre chose.
Mais attention : face à cette alternative, certains nous incitent déjà à répéter une erreur aux conséquences similaires à celles que nous avons déjà commise en suivant Serge Tchuruk en 2001 : nous pourrions redévelopper une industrie « sans amont », sans chimie… Comme nous avions cru, un temps, nous contenter d’une industrie « sans usine ».
Le chaud attire le froid
Ce n’est pas seulement du cynisme, c’est de la méconnaissance. En industrie, le chaud attire le froid. Les filières comme l’acier, l’aluminium ou la chimie en font venir d’autres auprès d’elles, comme celles de la transformation et de l’assemblage. Pour des raisons de synergies économiques et de gains d’échelle, largement documentées par le prix Nobel d’économie Paul Krugman. Mais aussi pour favoriser l’innovation, clé de notre économie. L’innovation dans les produits finis n’existe pas sans innovation dans leurs matériaux, et ce processus exige de la proximité. Tout comme l’industrialisation d’un produit exige de la proximité avec la conception.
Et puis, arrêtons d’être hypocrites avec nous-mêmes. En Europe, nous nous targuons d’une véritable ambition environnementale. « Pas de planète B », entend-on. Si une production est susceptible d’avoir un impact sur l’environnement, et c’est le cas de celle de Vencorex, n’est-il pas préférable qu’elle soit sur notre sol, sous notre loi et sous le contrôle de nos administrations, plutôt que dans un ailleurs qui ne nous offre aucune garantie, ou presque, en la matière ?
Alors, pour que Vencorex ne soit pas mort pour rien, prenons quelques engagements simples à son chevet. Établissons la liste des productions essentielles à notre souveraineté et à notre indépendance. Favorisons le « made in France », ou le « made in Europe ». Lorsque cela est pertinent, mettons ces productions, ancrées dans nos territoires, sous surveillance, ce qui permet de déclencher à tout moment des mesures antidumping européennes. Imposons une concurrence à la loyale, et donc aux importateurs la réciprocité des exigences imposées aux producteurs européens. Développons un cadre d’aides publiques qui ne vise ni l’innovation, ni la décarbonation, mais la modernisation et le développement de ces productions qualifiées d’essentielles.
En somme, menons une véritable politique industrielle et non plus seulement des politiques de concurrence ou d’attractivité. Ces fameuses politiques qui ne parlent de l’industrie que lorsque tout va bien, et reprennent la posture des années 1980 de « l’Etat pompier », lorsqu’il faut panser les plaies, sous couvert d’une « destruction créatrice » chère à Joseph Schumpeter qui a bon dos.
Le gouvernement actuel est arrivé trop tard pour sauver Vencorex. Il a en revanche une responsabilité face aux autres fermetures qui menacent dans ce même secteur. Un plan européen pour la chimie est en cours de gestation. Il ne peut servir d’alibi pour ne pas agir dès aujourd’hui au niveau français, ni anticiper de futurs Vencorex et tout faire pour les éviter.
*Olivier Lluansi, X-Mines, est professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers et auteur de Réindustrialiser : le défi d’une génération (Les Déviations, 2024)
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Publish date : 2025-04-12 14:00:00
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