Des bouffées de chaleur à s’évanouir, des crises d’angoisse, et de terribles insomnies. Face à la ménopause et à ses symptômes parfois insupportables, de nombreuses femmes se demandent si elles ne feraient pas mieux de recourir à des traitements hormonaux (THM). Jusqu’à présent, la plupart déchantaient en découvrant les risques de cancers et d’accidents cardio-vasculaires associés à ces molécules.
Mais, depuis quelques mois, une tout autre musique monte dans le débat public. A entendre certains experts, de plus en plus nombreux en France, il y aurait urgence à réhabiliter ces traitements. Un message notamment porté par Florence Trémollières, grande spécialiste du sujet, incontournable lorsqu’il s’agit d’aborder la prise en charge médicale et la santé des femmes durant ce moment charnière.
A Toulouse, la médecin de 64 ans, mène d’une main de fer le seul service hospitalo-universitaire français dédié à cette question. Durant sa carrière, toute consacrée à ce sujet, elle a ausculté plus de « 100 000 patientes » à bout, épuisées par les affres de la ménopause – environ un quart des femmes sont atteintes à un moment ou à un autre de symptômes dits « sévères » ou « incapacitants » à l’arrêt des menstruations.
Grâce à cette expertise unique, et à son engagement pour lever les tabous sur ces difficultés, cette médecin engagée s’est petit à petit rendue indispensable dans les réflexions publiques sur le sujet. Quasiment aucun article de presse, aucun communiqué scientifique ne sort sans qu’on ne vienne la consulter. Une estrade rêvée pour faire entendre son point de vue, qui, il faut bien le dire, n’a jamais vraiment changé en une vingtaine d’années.
Vers un retour en grâce des traitements hormonaux ?
Depuis la parution des premières études démontrant les effets néfastes des traitements hormonaux, dans les années 2000, une vaste majorité de médecins rechignent à prescrire ces médicaments. Florence Trémollières, elle, fait partie de ceux qui ont toujours milité pour leur retour dans l’arsenal thérapeutique. « C’est parfois inévitable au regard des souffrances », insiste la spécialiste, qui assume une forme de « réhabilitation ».
Elle n’est pas loin d’obtenir gain de cause : l’année dernière, le président de la République lui a demandé de participer à la vaste enquête parlementaire qu’il a commandée pour nourrir de prochaines réformes. La scientifique a relu les parties médicales de ce document, remis en grande pompe au gouvernement le 9 avril. C’est elle, aussi, qui a fourni la revue de la littérature, l’ensemble des productions scientifiques à prendre en compte pour se faire une idée.
Le texte de 540 pages, rédigé sous la direction de la députée macroniste Stéphanie Rist et avec l’aide de la haute fonctionnaire Aurélie Lorrain-Itty, s’étonne que les THM soient encore rarement utilisés en France – moins de 2,5 % des femmes en ont déjà pris, selon leur estimation, basée sur les données de l’Assurance maladie. Mais s’il enjoint de dépasser « le débat pro ou anti-hormones », il se garde de prendre officiellement parti pour l’un des deux camps.
Des doses les plus limitées possible
Pour avancer, le président de la République a saisi la Haute Autorité de santé (HAS), dont les dernières recommandations en matière de THM datent de 2014 et sont pour le moins sibyllines : elle reconnaît l’intérêt d’un traitement des troubles symptomatiques de la ménopause quand les femmes en sont très gênées, tout en demandant à s’assurer que la durée et les doses soient le plus limitées possible.
En attendant le nouvel avis de la HAS prévu pour le début de l’année 2026, difficile de s’y retrouver : « De nombreuses patientes sont livrées à elles-mêmes sur le choix de recourir au traitement, ou même sur la durée d’utilisation, faute de données claires. Et la situation risque de s’aggraver à mesure que la parole se libère sur le sujet », souligne Agnès Fournier, chercheuse à l’Inserm et spécialiste des cancers induits par les hormones.
Dans le rapport parlementaire, les études fournies par Florence Trémollières auraient du permettre de se faire une idée de la situation. Mais certaines formulations utilisées gonflent les arguments en faveur de ces médicaments. Le texte laisse par exemple entendre qu’une seule étude, parue en 2002, est responsable de la défiance autour de ces cures. Un argument défendu par la spécialiste, et repris par de nombreux médias, mais qui ne correspond pas à la réalité.
Les produits français moins dangereux mais pas sans risques
L’étude en question, appelée « Women’s Health Initiative (WHI) », est un essai dit « randomisé en double aveugle », le nec plus ultra des expériences scientifiques. 16 000 participantes ont été sélectionnées. Un groupe a reçu des THM, les autres, un placebo. Le tout de manière aléatoire, les chercheurs ne sachant pas qui reçoit quoi. En épluchant les premières données, les scientifiques ont remarqué que les femmes traitées développaient 25 % plus fréquemment un cancer du sein. L’essai est alors suspendu, et les femmes traitées sommées d’arrêter. Ce résultat sera très largement médiatisé.
Florence Trémollières a raison sur un point : ces conclusions n’étaient pas strictement transposables à la situation française. La combinaison de médicaments utilisés dans l’expérience, des substituts synthétiques d’œstrogène et de progestérone à avaler, n’était prescrite que dans certains pays anglo-saxons. « Mais les résultats de cette étude auraient dû appeler à de la prudence, y compris vis-à-vis des produits utilisés en France, des molécules plus proches des hormones naturelles, mais qui restent de la même famille », nuance Agnès Fournier.
De nombreuses imprécisions
Par la suite, de nombreuses études observationnelles sont venues confirmer que, si les produits hexagonaux semblent moins à risque, ils ne sont pas exempts de problèmes. Une étude publiée en 2014 dans Breast Cancer Research and Treatment montrait par exemple un risque augmenté de 31 % de développer un cancer du sein pour une durée de traitement supérieure à 5 ans. Des dizaines de milliers de femmes ont été suivies dans cette cohorte, appelée « E3N », ce qui, malgré les limites de ces études, en fait un résultat important.
Ces imprécisions ne sont pas les seules à s’être glissées dans le rapport remis au gouvernement. Dans un autre passage, à la page 88, il est écrit qu’avec la combinaison de substances utilisées en France « le risque de cancer du sein n’augmente pas de manière significative ». L’affirmation se fonde sur des chiffres datés, qui ne tiennent pas compte de l’étude de 2014. Il est aussi stipulé, page 91, que « les THM avec œstrogènes seuls [NDLR : avec un seul type d’hormone naturelle] sont associés à un surrisque de cancer de l’endomètre, qui peut être annulé par l’ajout d’un progestatif [une autre famille d’hormone] ». Ce n’est pas exact : selon les mélanges, un risque accru a bel et bien été rapporté par des études observationnelles. C’est aussi ce que démontre notamment l’étude « E3N » de l’Inserm de 2014.
Enfin, il est aussi rapporté que les traitements hormonaux réduisent la mortalité. Jusqu’à 30 % même, si l’on en croit une donnée tirée d’un résumé de vulgarisation de l’Inserm, là encore chapeauté par Florence Trémollières. Un élément repris par de nombreux médias. Sauf que, en l’état, elle ne permet pas de conclure, car elle se base sur seulement 168 cas (tous recensés dans l’étude « Women’s Health Initiative »). Un échantillon bien trop petit pour être exploité.
L’ombre du conflit d’intérêts
Pourquoi tant d’imprécisions en faveur des traitements ? En off, plusieurs scientifiques émettent une hypothèse : au fur et à mesure de sa carrière, l’experte se serait rapprochée des industriels qui produisent ces molécules, à force de travailler avec eux, jusqu’à finir par défendre leurs intérêts. De fait, Florence Trémollières reçoit chaque année des dizaines de milliers d’euros de la main même des fabricants des hormones qu’elle tente de faire revenir en grâce.
Des accusations balayées par l’intéressée : « A partir du moment où vous êtes reconnue, l’industrie vous sollicite, car elle a besoin de votre expertise. C’est un fonctionnement courant, et d’ailleurs, dans les petits domaines d’études comme celui de la ménopause, aucun expert compétent n’a pas un jour collaboré avec l’industrie. J’ai aussi des conflits d’intérêts avec des industriels qui proposent des alternatives aux hormones », ajoute-t-elle, agacée.
Ces tensions ne sont pas nouvelles. Le Groupement d’étude de la ménopause et du vieillissement (GEMVI), la société savante spécialisée fondée par Florence Trémollières, bataille depuis des années en faveur des traitements. En face, de nombreux épidémiologistes spécialistes du cancer, notamment les équipes du centre Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne), répondent systématiquement qu’il faut être bien plus prudent sur le sujet.
Une querelle à base d’études et de contre-études alimentée par le fait qu’aucune tendance générale ne se dégage de la littérature scientifique : « On peut faire dire ce qu’on veut aux données. Dans un sens, les hormones sont bonnes pour la santé, dans un autre, elles sont dangereuses », illustre Agnès Fournier, épidémiologiste à l’Inserm.
Des résultats contradictoires
Au moins une demi-douzaine d’études montrent un effet protecteur contre les cancers colorectaux. Même chose contre l’ostéoporose, cette pathologie du vieillissement qui attaque la masse osseuse et fragilise les os, ce qui peut provoquer une importante baisse de la qualité de vie. Pas de doute, pour cette maladie, les traitements hormonaux jouent un rôle de bouclier.
Mais, pour d’autres pathologies, l’interprétation est complexe, voire impossible. Lorsque les traitements sont donnés au déclenchement des premiers symptômes, les risques semblent plus faibles de faire des accidents cardio-vasculaires. A contrario, ils sont accrus si l’on donne ces mêmes médicaments tardivement, trop longtemps, ou chez des personnes à risque.
Rien de gênant pour Florence Trémollières. Elle voit dans tous ces messages contradictoires une bonne nouvelle, le signe qu’il est possible d’augmenter le nombre de prescriptions, car, dans l’ensemble, les différents effets semblent s’annuler. « Prendre des hormones peut changer du tout au tout le quotidien de patientes qui parfois ne peuvent même plus travailler », souligne la spécialiste.
Des prescriptions au cas par cas
Un point soutenu par de nombreux gynécologues désormais : « Il semble de plus en plus évident que plus de femmes pourraient solliciter un traitement mais ne le font pas à cause de ces informations contradictoires », abonde, prudente, Christine Rousset-Jablonski, présidente de la Société française de gynécologie. Sa priorité ? Que les femmes à ménopause précoce, avant 40 ans, en bénéficient – elles sont plus à risque de développer des pathologies associées.
Pas question, en revanche, de revenir à avant 2002, époque où les hormones coulaient à flots. « Seules les femmes les plus affectées peuvent se poser la question de courir les risques du traitement. Et il va falloir regarder en détail les antécédents personnels et familiaux, les facteurs risques, l’alcool, le tabac, l’alimentation, et faire un suivi actualisé tous les ans, car, de fait, les contre-indications sont nombreuses », poursuit la spécialiste.
Ces données sont générales. Au cas par cas, impossible de prédire la patiente qui tirera un effet protecteur et celle qui développera une tumeur. « La littérature montre qu’on ne devrait pas risquer un grand scandale sanitaire en augmentant le nombre de patients qui bénéficient des traitements. Mais, d’un point de vue individuel, la question demeure à mon sens particulièrement épineuse », résume l’épidémiologiste Agnès Fournier.
D’autant que tous les effets néfastes sont loin d’être connus. Une étude préliminaire publiée en mars dans Science Advances semble indiquer que la prise d’hormones est aussi responsable d’une plus grande accumulation de protéine tau dans les neurones. Or cette substance est particulièrement associée à la maladie d’Alzheimer. Un résultat cohérent avec la littérature. Peut-être vaudrait-il mieux, dans ce cas, attendre des traitements non hormonaux ? Deux sont dans les tuyaux, l’élinzanétant et le fézolinétant. De quoi réduire les risques… mais aussi la protection. Avec eux, adieu les effets anti-ostéoporose. A nouveau, un choix difficile.
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Author : Antoine Beau
Publish date : 2025-04-13 15:00:00
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