Il apparaît crispé dans le fauteuil du salon du bureau Ovale, à l’exact endroit où, quelques semaines plus tôt, Volodymyr Zelensky a subi les foudres de l’imprévisible président américain. Premier dirigeant à se rendre en personne à Washington depuis le lancement de la guerre commerciale mondiale, Benyamin Netanyahou espère, en ce 7 avril, pouvoir amadouer Donald Trump. Mais celui-ci, face à la presse, met rapidement fin aux desiderata israéliens : « Nous vous aidons déjà beaucoup. Nous donnons près de 4 milliards d’aides [NDLR : 3,6 milliards d’euros d’aide militaire annuelle pour acheter du matériel américain], c’est beaucoup. Je vous félicite, c’est une belle somme… » Rires contrits dans l’assistance, sous les yeux du vice-président J. D. Vance et du chef de la diplomatie américaine Marco Rubio.
Un camouflet pour Benyamin Netanyahou ? « Avec Trump, c’est America first et avec Netanyahou, c’est Israel first. Mais c’est probablement la relation la plus chaleureuse que nous ayons jamais vue entre Israël et les Etats-Unis », assure Yonatan Freeman, spécialiste des relations internationales à l’Université hébraïque de Jérusalem. Deux jours plus tard, le républicain fait volte-face. Donald Trump met en pause l’instauration de taxes pendant quatre-vingt-dix jours pour tous les pays, sauf la Chine. Israël, qui devait écoper de 17 % de droits de douane, revient à 10 %. Décidément imprévisible, le locataire de la Maison-Blanche…
Si, à l’époque, Joe Biden s’est permis de timides critiques sur la guerre à Gaza, le Premier ministre israélien trouve avec le président américain un redoutable allié, qui emploie des méthodes similaires dans la conduite des affaires de l’Etat : affrontement avec les institutions, expansionnisme débridé, offensive contre les médias d’opposition (tel le quotidien de centre gauche Haaretz)… « Aux Etats-Unis comme en Israël, lorsqu’un dirigeant de droite fort remporte une élection, l’Etat profond de gauche instrumentalise le système judiciaire pour contrecarrer la volonté du peuple », accuse Benyamin Netanyahou dans un message sur X au mois de mars.
Le Shin Bet, la justice et l’armée
Alors que Donald Trump a été violemment critiqué pour avoir débarqué le chef de l’agence de renseignements NSA, le Premier ministre israélien se retrouve empêtré dans une affaire similaire. Le 21 mars, Benyamin Netanyahou annonce le limogeage de Ronen Bar, le chef du Shin Bet, la très puissante agence de la sécurité intérieure, en qui il dit avoir perdu confiance depuis les massacres du 7 octobre 2023. Mais le 4 avril, la procureure générale de l’Etat d’Israël, Gali Baharav-Miara, conclut à un vice fondamental sur cette décision, accusant le Premier ministre de « conflit d’intérêts ». En toile de fond, l’affaire du « Qatargate ». Le Shin Bet aurait mis son nez dans les affaires de proches du chef de l’exécutif, soupçonnés d’avoir perçu des pots-de-vin en provenance du Qatar, médiateur à Gaza mais qui finance et accueille de nombreux dirigeants du Hamas. Le même jour, Gali Baharav-Miara publie une lettre de Ronen Bar au vitriol. Benyamin Netanyahou serait intervenu auprès du maître espion pour que son procès au pénal dans une autre affaire de corruption soit retardé. « Tissu de mensonges », balaie le principal intéressé lors d’un déplacement en Hongrie, où il a rencontré le Premier ministre Viktor Orban, sa première visite en territoire européen depuis qu’il est visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale.
Signe que l’affaire polarise le pays, des altercations ont éclaté le 8 avril entre opposants et partisans du gouvernement à la Cour suprême. La plus haute instance judiciaire du pays a suspendu le limogeage de Ronen Bar et a donné jusqu’au 20 avril pour qu’un compromis soit trouvé entre le gouvernement et la procureure générale.
A l’image d’un Donald Trump en conflit permanent avec les juges américains, l’exécutif israélien est aussi engagé dans un bras de fer avec le monde judiciaire. Les députés de la majorité du Likoud (le parti de Benyamin Netanyahou), alliés à l’extrême droite, ont fait voter le 27 mars une nouvelle loi sur la nomination des juges. Boycotté par l’opposition, le texte, qui s’appliquera à la prochaine mandature, donne plus de pouvoir aux politiques qu’aux juristes pour nommer les magistrats. « Il y a une dérive autocratique avec la volonté de renforcer le contrôle du gouvernement sur différentes institutions. C’est le retour de la réforme de la justice abandonnée en 2023 sous une autre forme », déplore Ronit Levine-Schnur, experte en droit constitutionnel à l’université de Tel-Aviv, se remémorant les grandes manifestations de l’opposition, il y a deux ans. Et la « méthode Trump » s’applique aussi dans l’armée. Près d’un millier d’aviateurs de réserve et en retraite, qui appelaient à la libération des 58 derniers otages, même au prix d’une « cessation immédiate des hostilités » à Gaza, ont été renvoyés de l’armée de l’air par le nouveau chef d’état-major d’Israël, Eyal Zamir.
Volonté hégémonique au Proche-Orient
À l’étranger, Israël poursuit sa guerre sur de multiples fronts. Comme Donald Trump, qui exprime des visées expansionnistes au Groenland et au Panama, Benyamin Netanyahou poursuit sa quête effrénée pour remodeler le Proche-Orient. A l’idée suggérée par le président américain de transformer Gaza en « Riviera » et de déplacer les populations palestiniennes, le faucon israélien s’est engouffré dans la brèche : « Qu’y a-t-il de mal à donner un choix aux gens ? », a-t-il interrogé, en soutenant que les habitants de l’enclave n’ont jamais été « enfermés », malgré le blocus à l’œuvre. Et ce n’est pas le président américain qui ira le contredire. En février, le roi Abdallah II de Jordanie s’est retrouvé coincé par le républicain lorsque celui-ci, devant les caméras, a avancé l’idée que les Gazaouis pourraient être hébergés dans « un bout de la Jordanie »…
A Gaza, la situation humanitaire est pourtant dramatique. L’aide internationale n’entre plus depuis le 2 mars et le cessez-le-feu semble encore loin. Tsahal a lancé une offensive « dans la plus grande partie » de l’enclave, a annoncé le 12 avril le ministre de la Défense, Israël Katz. L’armée israélienne mène aussi sa plus grande campagne depuis des décennies en Cisjordanie. Une occupation vouée à « rester », s’est réjoui le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, figure de l’extrême droite au sein de la coalition gouvernementale. Derrière cette volonté hégémonique qui s’étend jusqu’au Liban ou en Syrie, Israël maintient une pression maximale sur le « cercle de feu » des proxys de l’Iran qui ne sont déjà plus que l’ombre d’eux-mêmes dans la région.
Sur la question iranienne, enfin, le Premier ministre israélien a découvert avec surprise, lors de sa visite à la Maison-Blanche, que les Américains avaient ouvert des discussions directes avec le régime de Téhéran dans le sultanat d’Oman. Nouveau camouflet pour Benyamin Netanyahou. Mais Donald Trump le répète : si les pourparlers sur le nucléaire n’aboutissent pas à un accord, l’idée d’une intervention militaire reviendra sur la table. « Israël y sera bien évidemment très impliqué, il en sera le chef de file », insiste le président américain. « Par le passé, les Etats-Unis ont joué le rôle de ‘frein’ de l’action militaire israélienne. Nous sommes dans une dynamique inhabituelle, dans laquelle le président américain se situe parfois encore plus à droite que le Premier ministre israélien », analyse Ned Lazarus, professeur de relations internationales à la George Washington University’s Elliott School. Si Benyamin Netanyahou surfe bien sur la vague trumpiste, c’est quand même toujours le locataire de la Maison-Blanche qui dicte le tempo.
Source link : https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/israel-quand-benyamin-netanyahou-surfe-sur-la-vague-trumpiste-2T34FATGBBAGRGTYFVG2O6EDWI/
Author : Charles Carrasco
Publish date : 2025-04-14 05:30:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.