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« Des crises militaires sont possibles » : entre la Chine et les Etats-Unis, le risque de l’escalade

« Des crises militaires sont possibles » : entre la Chine et les Etats-Unis, le risque de l’escalade


Le « piège de Thucydide », conceptualisé par l’Américain Graham Allison, va-t-il se refermer ? Les hausses successives de droits de douane entre Pékin et Washington, à l’initiative de Donald Trump, démontrent une tendance à l’escalade entre la puissance dominante (les Etats-Unis) et celle, émergente, de la Chine. Leurs forces se préparent à une confrontation militaire concernant Taïwan, soutenu par les Américains et convoité par le Parti communiste chinois, comme le rappelle Jean-Pierre Cabestan, chercheur à l’Asia Centre de Paris et auteur de Demain la Chine : guerre ou paix ? (Gallimard).

« Taïwan est d’un intérêt vital pour la Chine »

Pour la Chine, Taïwan est d’un intérêt vital, ce qui n’est pas le cas pour les Etats-Unis. Pour autant, abandonner l’île du jour au lendemain présenterait un coût énorme pour Washington, dont la crédibilité dans la zone serait remise en cause aux yeux de ses alliés, du Japon aux Philippines, de la Corée du Sud à l’Australie. En cas de conflit généralisé entre la Chine et Taïwan, les groupes de réflexion américains ont calculé qu’il y aurait des dizaines de milliers de morts côté chinois et côté américain dans les premiers jours d’affrontement.

Un débarquement très risqué

Les Chinois ont montré récemment des bateaux pouvant faire office de pont de débarquement, mais ils n’en resteraient pas moins vulnérables à des attaques. Taïwan possède une armée, des missiles, une marine, une armée de l’air : il serait difficile à l’Armée populaire de libération de neutraliser l’ensemble des forces armées avant l’établissement d’une tête de pont.

Les Etats-Unis consacrent un budget quatre fois plus élevé à la défense que la Chine.

Aujourd’hui, la Chine n’a pas encore les moyens d’organiser une opération de débarquement comme les Alliés en Normandie en 1944 ou les Américains à Incheon, en Corée du Sud, en 1950. De toute façon, le coût en hommes et en matériels serait énorme pour y parvenir. Il faut ensuite prendre le contrôle de l’île, qui fait presque la taille de la Suisse, du surcroît très montagneuse, avec une société complètement hostile à la Chine.

« Peu de Chinois sont prêts à mourir pour Taïwan »

N’oublions pas que l’armée chinoise n’a plus combattu depuis 1979. Le nationalisme en Chine est puissant tant qu’il ne demande pas un sacrifice. Et puis la vie humaine y a plus de valeur qu’il y a cinquante ans. On ne rencontre pas beaucoup de Chinois prêts à mourir pour Taïwan aujourd’hui.

Une guerre risquerait aussi de mettre la Chine au ban des nations, et aurait des conséquences économiques graves, avec un impact sur le quotidien des Chinois. Des études ont montré qu’un conflit provoquerait une désorganisation massive des chaînes de valeur et des flux économiques, bien plus importante et déstabilisatrice que la guerre en Ukraine. Néanmoins, les responsables politiques ne sont pas toujours rationnels, comme l’a démontré Poutine avec l’Ukraine.

Crise plutôt que de guerre

Des puissances nucléaires comme la Chine et les Etats-Unis ont intérêt à ne pas rentrer directement en conflit. Si la Chine dispose d’une marine et d’une force aérienne bien plus importante qu’avant, j’ai du mal à croire à une attaque chinoise, dans un avenir prévisible (d’ici à 2030, sauf en cas de désengagement des Américains). Malgré l’Ukraine, on oublie parfois un peu vite ce que c’est que la guerre : quand on rentre dans une telle logique, il est très difficile de s’en extraire. Mais des crises militaires restent toutefois possibles, notamment dans le détroit de Taïwan ou plus au sud, en mer de Chine.

« La Chine pourrait décider un blocus »

Plutôt qu’un débarquement, la Chine pourrait détruire avec des salves de missiles des installations militaires, des postes de commandement. Elle pourrait ensuite décider un blocus, mais il faut pouvoir l’imposer puis le tenir, face au soutien dont pourraient bénéficier les Taïwanais. La Chine a plutôt intérêt à rester dans les zones grises, à augmenter sa pression sur Taïwan, à multiplier les intimidations, pour réduire son espace vital.

Une quarantaine pour contrôler les bateaux qui rejoignent Taïwan pourrait être l’étape suivante, pour montrer que les eaux de l’île sont contrôlées par sa marine et ses garde-côtes. Les manœuvres récentes vont dans ce sens-là. A un moment, il risque d’y avoir un clash, un incident. L’intérêt des Chinois pourrait alors être d’en faire porter la responsabilité aux Taïwanais et d’en tirer prétexte pour aller plus loin. La guerre n’est donc pas complètement impossible : il y a toujours une possibilité d’escalade.



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Author : Clément Daniez

Publish date : 2025-04-16 16:00:00

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