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Faux comptes et vidéos virales : comment la contrefaçon chinoise attaque le luxe français sur TikTok

Faux comptes et vidéos virales : comment la contrefaçon chinoise attaque le luxe français sur TikTok

« Hermès en sueur », « leur action en Bourse va s’effondrer »… Dans les commentaires d’une vidéo publiée en début de semaine par le compte « sendbags », l’un des fleurons du luxe français en prend pour son grade. On y voit un homme expliquer dans un anglais impeccable comment le modèle de sac de luxe Birkin de la marque française, peut soi-disant être fabriqué depuis l’entrepôt où il se trouve à Guangzhou (Canton), dans le sud de la Chine. Il liste des fournisseurs, un prix pour chaque matériau utilisé, et fixe son « prix d’usine » : 1 395 dollars, contre 38 000 dans un magasin traditionnel d’après ses dires. « Juste, nous n’avons pas le logo », précise-t-il, sous-entendant que c’est ici que les marques de luxe réalisent l’intégralité de leurs marges.

Un coup porté à l’image du fleuron français ? Plutôt de la publicité pour de la contrefaçon. Hermès produit ses sacs dans ses ateliers de maroquinerie, en France, et conserve soigneusement ses secrets de fabrication. Mais la vidéo est devenue virale. Fait troublant, elle n’est pas seule. Outre « sendbags », plusieurs comptes, comme « lily-china freight », « lunasourcingchina » ou « china.yiwu.factor », opèrent de la même manière. Au passage, d’autres enseignes sont visées, souvent haut de gamme comme Gucci, Dior et Louis Vuitton. Ainsi que des plus bas de gamme, dans les articles de sport et de ville, à l’image de Nike, Zara, Birkenstocks ou Lululemon. Certains affirment sans détour, de manière mensongère, qu’ils produisent directement pour la marque visée.

Ce propos n’est pas inhabituel. Mais l’ampleur et la coordination, cette fois, l’est. L’Express a pu consulter les chiffres de l’entreprise Bloom, spécialisée dans l’écoute des tendances et des opérations d’influence sur les réseaux sociaux. Au total, ces vidéos ont totalisé plus de 2 milliards de vues dans le monde, dont 1,6 milliard sur TikTok, entre le 10 et le 15 avril. Sans compter les éventuels « live ». Cet essor n’a, par ailleurs, rien de naturel. « Des signes d’inauthenticité sont détectés dès le 12 avril, avec la création de 28 faux comptes TikTok appelés « user » republiant les vidéos des influenceurs internationaux réagissant aux vidéos des influenceurs chinois », note Bloom. Un autre indice d’une opération de communication bien huilée.

Réponse aux droits de douane

Par qui ? Difficile de l’affirmer. Les difficultés des marques de luxe, en raison d’une baisse de la demande intérieure en Chine, et des nouveaux droits de douane imposés aux consommateurs américains sur les produits européens peuvent profiter à l’économie de la contrefaçon, qui se servirait de TikTok comme vitrine. Hermès a annoncé ce jeudi 17 avril une hausse de ses tarifs aux Etats-Unis sans en spécifier le montant. LVMH a dévissé en Bourse, cette semaine, sur fond de résultats décevants. Mais il n’y a pas de lien pour acheter les sacs dans les vidéos. Plusieurs indices suggèrent que le dispositif est plus politique et lié à la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis qui se sont récemment infligé des taxes douanières de 125 % et 145 %.

Il y a déjà cette fake news, souvent relayée au cours des vidéos, selon laquelle la Chine aurait, dans ce contexte, levé une clause de confidentialité signée entre sous-traitants basés en Chine et les maisons très haut de gamme. « Sendbags » assure quant à lui que 80 % des sacs de luxe sont réalisés en Chine, et vante « l’intelligence » et le caractère « consciencieux » des artisans chinois. Le soin accordé à la réalisation de chaque vidéo, en anglais, et sous-titrée en plusieurs langues dont le français ou l’espagnol, suscite le doute. De même que les nombreux repartages d’influenceurs à travers la planète, et a contrario « les faibles relais sur les médias et réseaux sociaux chinois », remarque également Aurélie David, à la tête de la division Data Consulting chez Bloom, laissant à penser que les consommateurs américains et européens sont la cible des vidéos.

A la relocalisation et au « Made in USA », espéré par Trump via ses droits de douane, Pékin répond tout simplement par la promotion du « Made in China ». La France, via ses enseignes de luxe, apparaît comme une victime collatérale. La notoriété de son industrie à travers le monde, et particulièrement aux Etats-Unis, en fait une cible idéale. Enfin, outre-Atlantique, l’hypothèse de localiser une partie de la production du luxe est improbable, en témoigne les déboires récents de Louis Vuitton au Texas.

« Ce mouvement est interprété comme une ‘révolution des coûts’, c’est-à-dire une stratégie de réappropriation à la fois économique et narrative. En contournant les intermédiaires et en exposant les marges abusives du luxe, les usines et grossistes chinois déconstruisent un modèle économique fondé sur l’opacité, la valeur perçue et l’admiration des marques », analyse plus largement Bloom. Ne dit-on pas, souvent, « payer la marque », imaginant que le coût de production du bien acheté est très faible comparé à son prix final ?

Les acteurs chinois exploitent ce filon psychologique sur TikTok. La plateforme, elle aussi d’origine chinoise, a semble-t-il supprimé certaines des vidéos. « Il est interdit de publier, téléverser, diffuser ou partager du contenu proposant l’achat, la vente, le commerce ou la sollicitation de produits de contrefaçon sur TikTok », est-il écrit dans ses conditions d’utilisation. Mais certaines séquences sont toujours en ligne, grâce aux très nombreux repartages. Sollicitée par L’Express, la division française de TikTok n’a pas encore répondu à une demande de commentaires.



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Author : Maxime Recoquillé

Publish date : 2025-04-17 11:04:00

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