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« Etat palestinien » : la triple erreur du président Macron, par Emmanuel Navon

« Etat palestinien » : la triple erreur du président Macron, par Emmanuel Navon

L’intention du président Macron de reconnaître un « Etat palestinien » en juin 2025 a soulevé auprès d’une majorité d’Israéliens une indignation ainsi exprimée par leur ministre des Affaires étrangères Gideon Sa’ar : « la reconnaissance unilatérale d’un Etat palestinien fictif […] ne ferait que récompenser le terrorisme et renforcer le Hamas. » L’annonce française et la réaction israélienne ne révèlent pas seulement un désaccord diplomatique mais également deux lectures profondément différentes du Proche Orient. Ces deux lectures doivent être bien comprises car celle qui prévaudra influencera l’avenir de notre région.

La théorie d’Emmanuel Macron est que la violence du Hamas, pour condamnable qu’elle fût, découle d’une frustration qui sera assouvie par l’établissement d’un Etat palestinien. Selon cette logique, Israël ne fait que traiter les symptômes du conflit et non sa source en combattant le Hamas au lieu de tarir son attrait. Pour Israël, à l’inverse, le but du Hamas est l’élimination d’Israël et des Juifs, et cette obsession est nourrie par la République islamique d’Iran. Il faut donc nier à l’idéologie islamique les moyens de sa politique en éliminant sa force militaire. Seule une victoire contre l’axe iranien d’agression (cyniquement nommé, par les agresseurs eux-mêmes, « axe de résistance ») rendra vaines les aspirations génocidaires contre Israël et, partant, créera les conditions nécessaires à la paix. Etablir un 22e Etat arabe dans l’hinterland d’Israël avant la défaite de l’Iran et de ses alliés ne fera que leur fournir un avantage tactique. Les faits donnent raison à cette deuxième lecture.

La nation arabe fut divisée en frontières arbitraires imposées par l’Europe après la Première Guerre mondiale. Les Mandats britanniques et français étaient des mosaïques multiethniques ingérables. Ils sont aujourd’hui des Etats défaillants et violents (Syrie, Liban, Irak). La Palestine, une création coloniale britannique inspirée de la Palæstina romaine (qui remplaça la Judée écrasée en 135) et imprononçable en arabe (qui n’a pas la consonne « p »), devint une pomme de discorde entre Arabes et Juifs. Le leadership arabe rejeta les propositions de compromis territorial en 1937 (Commission Peel) et en 1947 (Plan de l’ONU). L’Union soviétique bâtit sa présence moyen-orientale en soutenant le nationalisme arabe antibritannique. Elle établit avec son allié égyptien l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) en 1964, et créa le mythe d’un « peuple palestinien » jusqu’alors inconnu.

Le fait que l’OLP fut établie trois ans avant qu’Israël ne prenne le contrôle de la Cisjordanie et de la bande de Gaza est instructif. La propagande soviétique réussit à faire croire que la présence israélienne dans ces territoires est la cause du conflit alors qu’elle en est la conséquence. La Guerre du Golfe et l’effondrement de l’Empire soviétique poussèrent l’OLP à signer les accords d’Oslo, accords qu’Arafat considéra toujours comme tactiques et temporaires – conformément au « plan des étapes » adopté par l’OLP en 1974. Acculé au compromis par le président Clinton en juillet 2000, Arafat eut recours à la guerre. Son successeur, Mahmoud Abbas, rejeta trois propositions qui eurent établi un Etat palestinien dénué du « droit au retour » (un euphémisme pour le démantèlement d’Israël par la démographie) : celle d’Ehud Olmert en septembre 2008 ; celle de John Kerry en février 2014 ; et celle de Jared Kushner en janvier 2020. La raison en est simple : l’OLP refuse d’abandonner son but final de « libération de la Palestine. » Le Hamas non plus, mais lui ne cache pas son jeu.

Le président Macron ne commet pas seulement une erreur d’analyse sur le conflit israélo-arabe. Il méconnaît la société israélienne et se méprend sur le rôle international de la France. Israël de l’après 7-Octobre n’est pas, et ne sera jamais plus, le même pays. Les Israéliens ont pris conscience, dans la tragédie et la douleur, de ce à quoi peut mener la haine des Juifs lorsqu’elle est armée. Et ils sont déterminés à faire partager aux islamistes le sort de Carthage en 146 av. J.-C. et celui de Berlin en 1945. Israël ira au bout de cette guerre, qui ne sera gagnée qu’avec la défaite de la République islamique d’Iran. La symbiose entre Israël et les Etats-Unis pendant les quatre prochaines années rend la victoire possible. En tentant d’enfreindre cette dynamique au lieu de l’embrasser pour le bien de la France et du monde libre, le président Macron porte atteinte à la crédibilité et à l’influence de la France.

Emmanuel Macron veut se démarquer des Etats-Unis mais il n’est pas le Général de Gaulle et il n’a pas les moyens de sa politique. Ses visites théâtrales au Liban et en Egypte ne sauraient masquer qu’une France surendettée ne peut se mesurer à la puissance économique américaine. De même que le « sommet » franco-saoudien prévu à New York en juin 2025 sera une mascarade : seuls les Etats-Unis peuvent fournir à Mohammed ben Salmane les garanties sécuritaires qu’il exige face à l’Iran. La volonté affichée de tenir son rang est d’autant moins crédible que la France ménage le « pouvoir » algérien en dépit de son refus de libérer Boualem Sansal. Vers l’Orient compliqué, Emmanuel Macron ne cesse de s’envoler avec des idées fausses.

* Professeur de relations internationales à l’Université de Tel Aviv et chercheur au « Jerusalem Institute for Strategy and Security » (JISS). Auteur de L’étoile et le sceptre : histoire diplomatique d’Israël (éditions Hermann, 2022).



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Publish date : 2025-04-18 11:00:00

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