Noël Mamère distingue trois générations d’écologistes. « Les défricheurs » dans les années 1960, « les agitateurs » à partir des années 1970, et puis, les acteurs de l’écologie politique. Prétendant à l’Elysée en 2002 et maire de Bègles jusqu’à 2017, le disciple du philosophe Jacques Ellul a été partie prenante de ces trois générations. Conseil d’un sage : face au « recul spectaculaire des politiques publiques de lutte contre le dérèglement climatique », il appelle Marine Tondelier à « sortir l’écologie de l’entre-soi », pour « poser la question de la domination ».
Sans surprise, Marine Tondelier – que vous avez soutenue – a été reconduite à la tête des Ecologistes, sans même qu’un second tour ne soit envisagé. Comment expliquer son succès en interne ?
Noël Mamère : C’est un succès mécanique. Il est lié à sa position forte dans la construction du Nouveau Front populaire, permettant à la gauche de résister à l’inéluctable, tout en contribuant au retour des Ecologistes dans le paysage médiatique français. Je comprends donc que les militants lui donnent le quitus. Mais il faut garder en tête qu’il ne s’agit que d’une victoire de congrès, basée sur le vote des adhérents.
La mission de Marine Tondelier et du Collectif [NDLR : le nom donné au courant de la secrétaire nationale] est de sortir l’écologie politique de l’entre-soi, et de fixer un terrain de confrontation politique et idéologique. Car nous assistons à un recul spectaculaire des politiques publiques de lutte contre le dérèglement climatique.
Vous avez été membre d’Europe Ecologie-Les Verts, avant de quitter la formation en 2013 tout en restant un compagnon de route. Quel bilan de santé faites-vous du parti ?
Les Ecologistes ne représentent pas tous les écolos, et c’est un problème. Il y a de plus en plus de jeunes activistes qui se battent sur le terrain des luttes et des idées pour faire triompher notre vision du monde, mais ils sont nombreux à ne pas voter du tout ou pas forcément pour nous. « Les Ecologistes » sont maintenant devant la double obligation de formaliser politiquement cette exigence et de s’adresser en même temps aux victimes du cumul des injustices sociales et environnementales avec les mots et les propositions aptes à les détourner des populismes.
Les Ecologistes doivent rendre visible et attractive leur vision du monde
Pour le reste, nous avons été des défricheurs dans les années 1960, des agitateurs dans les années 1970. Aujourd’hui, nous devons devenir les acteurs principaux de la gauche ! Mais les écologistes n’ont jamais été autant attaqués : par la droite, l’extrême droite, le gouvernement, les lobbys de l’agriculture et de l’agrochimie, et même par une partie de la gauche… On n’en est plus à « l’écolo-bashing », mais à « l’écolo-blaming », visés par ce que j’appelle « la coalition du déni » qui nous accuse de tous les maux de la société. C’est à la fois inquiétant et rassurant. En quelque sorte, c’est la preuve que nos questions dérangent et remettent en cause un modèle qui s’arc-boute sur la défense de ses intérêts.
16 % aux européennes de 2009, 9 % à celles de 2014, 13,5 % en 2019, 5,5 % en 2024, en passant par le très bon score aux municipales de 2020 et les 4,7 % de Yannick Jadot à la présidentielle de 2022… Sur quinze ans, comment expliquez-vous les résultats électoraux en dents de scie de votre parti ?
Le contexte politico-social y est pour beaucoup. Le très bon score de Daniel Cohn-Bendit en 2009 tombe à un moment où la gauche est en mauvaise posture et où la question écolo a pénétré les consciences. Puis nous sommes passés par des périodes où les résultats ont été moins bons, souvent liés à la conjoncture et au paysage politique. Nos victoires aux municipales de 2020 sont un point d’ancrage déterminant pour EELV. Pour reprendre mon slogan de campagne présidentielle en 2002, elles ont permis aux Verts d’avoir « les pieds sur terre ». Un moyen de nous rapprocher de ceux qui, aujourd’hui, sont les premières victimes d’un modèle punitif en termes d’inégalités et d’injustices et qui ne comprennent pas ce que leur apporterait l’écologie en termes de mieux vivre.
Mais il n’y a pas de fausse modestie à avoir : nous sommes devenus les moteurs d’une gauche sortie du mythe de la croissance à n’importe quel prix. Nous avons pris une longueur d’avance sur les formations traditionnelles et leur idée du progrès linéaire. A nous d’être capables de mettre nos analyses en musique, les sortir de la musette et les faire entrer dans la société, en nous adressant non pas au plafond, mais à la base.
Détricotage de la loi Climat et résilience votée par le Sénat, suppression des zones à faibles émissions (ZFE) décidée par les députés… En France, l’écologie politique est-elle en train de perdre la bataille culturelle qu’elle pensait avoir gagnée ?
L’Europe se réarme militairement mais sacrifie son arsenal écologique – l’UE a prévu de baisser ses objectifs de réduction du gaz à effet de serre pour 2040. Les Etats-Unis de Donald Trump procèdent à une attaque en règle contre la science et les agences de protection de l’environnement. En France, enfin, les gouvernements successifs accumulent les reculs environnementaux et en sont à remettre en cause les principes du droit appliqués à l’environnement : une remise en cause à bas bruit de l’Etat de droit.
La bataille culturelle n’est donc pas gagnée, mais elle n’est pas non plus perdue. En revanche, une chose est sûre : il n’y aura pas d’autres succès électoraux sans nouvelles victoires culturelles. Le rôle d’un parti politique comme Les Ecologistes est de fixer le terrain de la confrontation idéologique, et donc de rendre visible et attractive sa vision du monde. Face au populisme, à l’opacité et à la capitulation de nos adversaires (qui nous considèrent aujourd’hui comme des ennemis), notre récit doit s’articuler autour de la transparence, du courage politique et de la nécessité de justice sociale. Nous devons mettre en œuvre la solidarité, exiger la contribution de ceux qui participent le plus à la dégradation de nos conditions de vie. Car face à la brutalité politique des nouveaux prédateurs qui vivent de nos « données » et sont prêts à tout pour « extraire » nos ressources rares, l’écologie politique doit poser la question de la domination.
Comment expliquez-vous la montée du climato-scepticisme lors de cette dernière décennie ? Il y a six ans, des milliers de personnes marchaient dans les rues pour le climat…
La période des marches pour le climat est effectivement dépassée et nous avons franchi une nouvelle étape dans le combat face à la coalition du déni. Les écologistes ne doivent s’exonérer d’aucune responsabilité. Mais ils ne tiennent pas le manche dans le rapport de force alors que la coalition du déni, elle, est aidée par un allié puissant : les populismes de droite, d’extrême droite et de gauche. Elle est forte car elle détient les moyens financiers avec des relais puissants dans la société, des relais agricoles comme la FNSEA, et des entreprises qui défendent leurs intérêts…
Les municipales seront un autre grand défi pour la direction écolo… Etes-vous, malgré tout, optimiste ?
Très. Malgré la mauvaise foi dont ils ont fait l’objet, les maires verts ont montré que les politiques écologiques ne rendaient pas les gens plus malheureux, bien au contraire. Ces villes ont non seulement été des laboratoires, mais elles ont permis de faire la démonstration que les écologistes promeuvent également l’approfondissement démocratique, la non-violence dans les rapports sociaux, et la justice sociale. Ils donnent à voir quotidiennement la société que l’on défend. Les Ecologistes gagneraient beaucoup à mettre en avant le travail réalisé par nos maires.
Jugez-vous que la popularité grandissante de Marine Tondelier peut contribuer aux succès électoraux des Ecologistes ?
La notoriété de Marine Tondelier ne peut pas nuire à la prospérité de l’écologie politique : elle est à sa place au bon moment. Mais ça ne suffit pas, on le sait très bien. Le courage doit être de fixer le terrain de la confrontation et le périmètre de la radicalité.
Certains disent qu’elle a incarné l’union des gauches au détriment de la place de l’écologie au moment du NFP. Qu’en pensez-vous ?
Le compromis avec le reste de la gauche doit se faire sur un socle où l’écologie tient la part la plus importante. Il n’y aura pas de transformation de la société sans les questions posées par les Verts. On peut chercher à affaiblir la représentation du parti, mais il est trop tard pour effacer les questions posées par les écologistes, parce qu’elles sont les plus pertinentes.
Elle ferait une bonne présidente, Marine Tondelier ?
Oui, mais elle n’est pas seule. On crève de cette personnalisation malsaine associée à l’échéance présidentielle. Le problème n’est pas de savoir qui sera notre candidat ou notre candidate, mais plutôt ce que l’on proposera aux Français. Et la façon dont nous nous mettrons en ordre pour défendre ce projet.
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Author : Mattias Corrasco
Publish date : 2025-04-19 16:05:00
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