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Jordan Bardella, l’héritier controversé de Marine Le Pen : son duel avec Marion Maréchal, l’ombre de Sarah Knafo

Jordan Bardella, l’héritier controversé de Marine Le Pen : son duel avec Marion Maréchal, l’ombre de Sarah Knafo

Ils sont tous là, ou presque. Marion Maréchal, Sarah Knafo, les eurodéputés frontistes Alexandre Loubet, Pierre-Romain Thionnet (proches de Jordan Bardella), l’avocat habitué de CNews Pierre Gentillet… La jeune garde de l’extrême droite est réunie, le 29 mars, au Salon des miroirs, dans le IXe arrondissement parisien, pour fêter les dix ans du syndicat étudiant identitaire La Cocarde. Les intervenants communient dans un même constat : ils sont de la génération qui verra leurs idées arriver au pouvoir. Un seul manque à l’appel. Il s’appelle Jordan Bardella. Il était là, pourtant, dix ans plus tôt, au lancement du syndicat. Il n’a plus le temps, désormais, pour ce genre de pince-fesses.

Président du Rassemblement national depuis 2022, il voit un récent rebondissement peut-être accélérer son destin politique. La condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire pourrait faire de lui le prochain candidat de son camp à la présidentielle. C’est la patronne elle-même qui le dit. Si, à l’été 2026, la cour d’appel confirme le jugement de première instance, l’eurodéputé de 29 ans sera intronisé à l’occasion d’un congrès organisé dans la foulée.

La succession a débuté

Prière de ne pas s’épancher. « On a tout intérêt à ce que ce ne soit pas un sujet, donc personne n’en parlera », prévient un eurodéputé. Résultat : on ne parle que de cela. Le moment est historique. Si le scénario se confirme, c’est la page du nom Le Pen qui se tournera pour laisser place à une nouvelle génération, qui croyait son heure encore lointaine, et dont Jordan Bardella devrait devenir le porte-drapeau. En quelques jours, le temps s’est accéléré. La semaine dernière, même ses avocats se sont autorisé un conseil politique à Marine Le Pen : « Si on ne veut pas réduire à néant tout ce pour quoi on a travaillé depuis des années, il faut préparer la suite. » C’est-à-dire convaincre ses électeurs et son propre camp qu’une autre candidature que la sienne pourrait être en mesure de récolter plus de 50 % des suffrages à la prochaine présidentielle.

La succession a débuté. Et avec elle, les conflits qu’elle charrie inévitablement. Celui entre les marinistes historiques, qui refusent de voir la ligne étatiste et populaire portée par leur égérie réduite à néant, et les tenants d’un virage plus libéral et identitaire, qui voient en Jordan Bardella un héraut potentiel. Celui, aussi, entre les héritiers potentiels. Car la chute du chef réveille toujours des velléités. Souvent, au sein même de la famille.

Jordan Bardella et Marion Maréchal ne filent pas le parfait amour

Marion Maréchal est furieuse. Son visage est fermé, caché sous ses larges lunettes noires. Elle qui devait initialement prendre la parole au meeting de soutien de Marine Le Pen, le 6 avril place Vauban à Paris, n’interviendra pas et n’a même pas de place réservée en tribune. C’est Sébastien Chenu qui s’affaire en urgence pour lui dégoter un siège au premier rang.

Au parti, ce n’est pas un secret. Jordan Bardella et Marion Maréchal ne filent pas le parfait amour. La nièce, revenue dans le giron du RN depuis son divorce avec Eric Zemmour, irrite le clan du dauphin. Ces dernières semaines, les deux eurodéputés se sont envolés conjointement à Washington, puis en Israël. Mais ni la traversée de l’Atlantique, ni leur séjour en Terre sainte n’ont suffi à briser la glace. Ils ne se sont pas adressé la parole. L’entourage de Jordan Bardella a fait son deuil. « Elle fait sa vie, on fait la nôtre. »

Il faut dire que Marion Maréchal irrite beaucoup en interne. Parlez-en aux députés. « Elle se place elle-même dans une situation d’ambiguïté, déplore l’un d’eux. La première chose qu’elle fait en revenant au parti, c’est placer Philippe Vardon (son collaborateur en conflit avec certains cadres du RN) à l’Assemblée. » D’autres ont peu goûté la façon dont elle a avancé ses pions pour faire savoir qu’elle lorgnait la mairie de Paris, via des murmures de son entourage. Julien Sanchez, chargé des élections municipales, a découvert l’affaire dans la presse, comme Thierry Mariani, candidat officiel du parti pour la capitale. « Elle ne fait aucun effort, peste un élu. Mais comme elle fait partie du clan Targaryen, elle pense qu’elle peut tout se permettre. »

« Il craint le match avec Marion »

Jordan Bardella, lui, observe le manège du coin de l’œil. « Il craint le match avec Marion, de façon un peu irrationnelle, parce qu’elle est de la famille, et chez les Le Pen, les liens du sang, ça compte », glisse un proche. Et si, le moment venu, elle refusait de soutenir l’héritier désigné ? « Elle est ingérable, et refusera toujours de se ranger derrière quelqu’un, encore moins si c’est Bardella », pronostique un ami qui lui veut du bien. La nièce de la patronne continue d’être citée dans les personnalités préférées des électeurs frontistes, et ses proches, qui la poussent à s’engager, sont persuadés qu’elle bénéficie toujours d’un potentiel électoral.

D’autres sont moins convaincus par la personnalité politique, mais voient en elle un moyen de nuire à la prise de pouvoir du jeune prétendant, qui ne fait pas l’unanimité. « Il ne faut pas enterrer Marion, ni croire que son image serait affectée, sourit un mariniste. Nos électeurs continuent de l’adorer. De toute façon, il y aura un congrès pour déterminer notre candidat. » Les plus matheux sont pragmatiques. « Quand on veut prendre le pouvoir, il est important de réfléchir à l’écosystème qu’on veut avoir autour de soi, prévient un conseiller. Maréchal, aux élections européennes, c’est à nouveau 6 % des voix, avec un RN très fort. C’est donc un sas précieux, qui continue à fonctionner. » Avec lequel Jordan Bardella devra composer.

Sarah Knafo, candidate en 2027 ?

Et elle n’est pas la seule. Consensus et extrême droite n’ont jamais fait bon ménage, mais s’il est désigné, l’héritier frontiste devra tenter, lui aussi, son compromis nationaliste. Rassembler, au-delà du RN. Cela passe aussi par les zemmouristes sécessionnistes, qui ont prouvé à plusieurs reprises qu’ils ne craignaient pas de diviser leur propre camp. L’eurodéputée et médiatique compagne d’Eric Zemmour Sarah Knafo, en particulier. Marine Le Pen en est d’ailleurs persuadée. Elle l’a glissé à plusieurs reprises à un interlocuteur régulier. « Elle sera candidate en 2027. »

Celle qui a piloté la campagne d’Eric Zemmour en 2022 le répète depuis des années : « Marine Le Pen ne peut pas gagner. » Mais qu’en est-il de Jordan Bardella ? Les deux trentenaires se connaissent. Ils se sont côtoyés avec cette jeunesse militante, il y a une dizaine d’années, dans les bars de la rue des Canettes dans le VIe arrondissement parisien. Saut dans le temps. Ils ont la vingtaine, sont attablés dans un café de la rive gauche. Elle fait ses armes à Sciences Po Paris. Lui est en train d’abandonner sa licence de géographie. Mais aimerait tenter d’intégrer l’Institut d’études politiques, et lui demande de l’aide. Le projet n’aboutira pas. Depuis, Jordan Bardella a grandi, n’a plus demandé de conseils, et chacun a poursuivi sa route.

« On fait partie d’une génération qui a les mêmes codes »

Les souvenirs sont restés. « On fait partie d’une génération qui a les mêmes codes, dit encore Jordan Bardella en décembre dernier au média d’extrême droite Frontières. Avec Alexandre Loubet, Pierre Gentillet, Sarah Knafo, on savait qu’on finirait par se retrouver car malgré nos appartenances différentes, on vibrait pour la même chose. » Seule la stratégie diffère. Le mantra du frontiste, lui, n’a pas varié depuis ses débuts militants. Il croit au salut par l’appareil. Et le répète : « Tous les chemins mènent au RN. »

« Une alliance Sarah et Jordan ? Je n’y crois pas du tout, balaie un ami commun. Reconquête n’attend qu’une chose, c’est que Marine Le Pen soit inéligible pour avoir un créneau. » L’absence de Sarah Knafo à la manifestation de soutien à Marine Le Pen organisée par le RN n’a échappé à personne. Le téléphone de Jordan Bardella a sonné, toutefois. Un message de sa vieille connaissance, qui l’assurait de son soutien. « Les mauvaises langues disent qu’elle s’est beaucoup rapprochée de lui, siffle un cadre. D’où sa discrétion ces derniers temps. Comme si, pour elle, la carte Bardella changeait la donne. » En privé, l’eurodéputé joue la fine bouche. « Je n’ai pas besoin de Reconquête, martèle-t-il à l’envi. Leur électorat votera naturellement pour moi au second tour. » D’ailleurs, avant de nouer des alliances, il doit d’abord s’assurer de la fidélité de son propre parti.

« Sans Marine Le Pen, ça ne tient plus »

Une petite musique commence à résonner, en interne : sans Le Pen, impossible de faire front. Sortir la candidate de l’équation reviendrait à faire une croix sur la cohésion qui fait la force du parti. « Marine Le Pen, c’est la clé de voûte d’une famille depuis 2011, assure un élu. Sans elle, ça ne tient plus. » De toute part, on pronostique déjà des désengagements, des trahisons. « Ceux qu’on appelle « la liste des fusillés », avec qui Bardella s’est embrouillé, vous croyez vraiment qu’ils vont y aller à fond derrière lui ? » raille un conseiller.

C’est aussi une guerre d’influence qui se joue sur la ligne. Autour du trentenaire, on en est sûr : ceux qu’il pourrait perdre chez les tenants d’un « marinisme » traditionnel, il les gagnera du côté de la droite. Preuve en est : ses nouveaux alliés de l’UDR (le parti d’Eric Ciotti) ne cachent pas leur joie. « Pour nous, c’est une très bonne nouvelle, se réjouit un député. On sera plus à l’aise par rapport à une ligne de droite assumée. » L’un d’eux assure même avoir obtenu la garantie que la ligne sur les retraites bougerait d’ici à 2027 : « Il sait que la position du parti n’est pas tenable s’il veut rassembler. »

Bardella, candidat dans le Sud ?

A droite, d’ailleurs, on regarde plutôt d’un bon œil le frontiste au profil de gendre idéal, pas hostile à une ligne nationale conservatrice, qui multiplie les clins d’œil à Nicolas Sarkozy et se revendique souvent en héritier du RPR. « C’est simple, vous auriez fait un hibernatus à Sarko et vous le réveillez aujourd’hui en lui disant « Je vous présente le nouveau président des jeunes UMP », il aurait répondu « c’est parfait » », se marre un ancien sarkozyste, qui le croit capable d’agréger derrière lui une partie de la bourgeoisie conservatrice. D’autant qu’il bénéficie déjà, encore plus depuis le lancement de son livre et contrairement à Marine Le Pen, de l’appui de l’empire médiatique de Vincent Bolloré, et d’une certaine clémence de la part des médias de la droite traditionnelle.

Reste la préparation. Les législatives du mois de juin ont montré que le costume de Premier ministre était hors de portée du frontiste de 29 ans. L’héritier s’attelle désormais à rebâtir son image, et rêve d’investir un fief. Deux hypothèses circulent sur l’endroit où il jetterait son dévolu en cas de nouvelles élections législatives. On parle du nord, pas trop loin de Marine Le Pen. La patronne pourrait bien passer le relais à son n° 2, dans les terres populaires de la 11e circonscription du Pas-de-Calais. Lui préférerait le Sud, pourquoi pas les Bouches-du-Rhône, pour tenter de vendre sa nouvelle légende. Utile vade-mecum du côté de Marine Le Pen : « Il ne faut pas croire qu’elle va se retirer si elle reste inéligible. Elle sera active dans le parti jusqu’à ses 80 ans, c’est une Le Pen, n’oubliez pas ! » Avis à ses successeurs : l’ancienne génération a la vie dure.



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Author : Marylou Magal

Publish date : 2025-04-22 15:00:00

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