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Haïm Korsia : « Au Vatican, un certain courant passait son temps à taper sur tout ce que faisait la France »

Haïm Korsia : « Au Vatican, un certain courant passait son temps à taper sur tout ce que faisait la France »

Le pape François a mené un « pontificat protéiforme », selon les mots de Jean-François Colosimo, spécialiste de l’histoire des religions, dans nos colonnes. Et finalement peu consensuel. Certains ont eu le sentiment que ce pape argentin très tourné vers les périphéries, appréciait peu la France. Lors de son voyage en Corse à la fin de l’année 2024, il a prononcé un discours sur la piété populaire, en apparence peu compatible avec notre laïcité. En apparence seulement…

Comme le décrit joliment le Grand Rabbin de France, qui a rencontré à de nombreuses reprises François, la piété populaire est « une action qui vous transcende et vous fait vibrer à l’unisson ». Elle se retrouve dans le judaïsme mais aussi dans les rites républicains. « Tout le problème avec un pape non européen est qu’il n’a pas le sens de cette notion de laïcité, qui n’est pas la négation de la religion mais la liberté religieuse », souligne Haïm Korsia.

L’Express : Les derniers mots du pape ont été une mise en garde « contre l’antisémitisme croissant qui se répand dans le monde ». Que vous inspirent ces paroles ? Que disent-elles de François ?

Haïm Korsia : Il a prononcé ce dernier discours très fort et ainsi rappelé la doctrine absolue de l’Eglise : elle ne peut tolérer la moindre once d’antisémitisme dans le monde. C’est d’ailleurs ce qu’avait déjà exprimé l’épiscopat français en produisant, au cœur de la conférence des évêques, un travail profond qui engageait les catholiques et au-delà tous les Français à s’élever contre la résurgence de l’antisémitisme parce qu’on ne peut pas laisser les juifs seuls face à cette horreur.

C’était aussi le cœur de ce qu’a été le concile de Vatican II. Nous ne sommes pas assez vieux pour nous rappeler ce qu’était l’Eglise avant Vatican II. Mais le simple fait de dire : « Jésus était juif », qui est une banalité, une évidence aujourd’hui, paraissait à l’époque absolument inconcevable.

Le pape a également eu des mots pour Gaza et « la situation humanitaire dramatique »…

Il n’y a pas de parallélisme, ce serait scandaleux ! Le pape François a dit ce qu’il pensait : il voudrait que la paix règne partout dans le monde, je le voudrais également. Mais la paix ne peut pas advenir tant que des otages sont détenus. Comme tout le monde, François aurait voulu que les horreurs cessent à Gaza. Il a rappelé que le Hamas doit restituer les otages.

Quels étaient ses liens avec le judaïsme ?

D’abord, il avait un lien avec le rabbin de Buenos Aires, le judaïsme n’était donc pas une abstraction théologique pour lui. Le judaïsme n’est pas désincarné. Et c’est d’ailleurs le drame dans certains quartiers de France où il n’y a pas un juif à l’école publique. Non pas parce qu’ils ne veulent pas être scolarisés dans ces écoles, mais parce qu’ils ne peuvent pas l’être et se trouvent obligés de se tourner vers le privé. Les jeunes se construisent des préjugés sans avoir rencontré un juif à l’école.

Lors de son dernier déplacement en France, en Corse, le pape a prononcé un discours sur la piété populaire. Est-ce que cette idée parle au Grand Rabbin de France que vous êtes ?

Nous avons exactement la même chose chez nous, sauf que c’est tous les samedis ! Cela me rappelle ce que m’avait confié un copain curé un jour. Je vais le chercher à l’église, à côté de Reims, un dimanche après sa messe, et il me dit : « Mon église est pleine de bons catholiques, mais je ne sais pas si y a beaucoup de bons chrétiens là-dedans. »

La piété, ce n’est pas un moment segmenté le dimanche matin pour les catholiques, le samedi matin pour les juifs. C’est quelque chose qui instille une lumière dans toutes nos actions, tout le temps. Les membres du Souvenir français qui font la quête dans les cimetières le 11 novembre sont l’expression d’une piété populaire. Il s’agit d’une action qui vous transcende et vous fait vibrer à l’unisson. Je le vis en permanence dans le judaïsme, il suffit de vivre un Kippour dans une synagogue et vous verrez des dons complets de soi. La cohérence de l’engagement et la véritable et profonde joie.

Comment concilier cette piété populaire avec notre laïcité française ?

Vous n’avez pas vécu avec des militaires et vous n’avez pas été militaire, sinon vous ne poseriez pas cette question. Moi si, j’ai vu cette piété, cette dévotion, dans des moments extraordinaires tels que le ravivage de la flamme du soldat inconnu sous l’Arc de triomphe, ou lors de cérémonies aux Invalides quand le drapeau s’incline devant le président de la République et devant nous tous, enfants de la République. Alors, on touche au sacré républicain, et donc à la piété populaire. Voici des gens qui ne vont pas à la messe mais qui veulent se retrouver.

François a été critiqué par certains, notamment en France, qui l’ont dépeint en ennemi de la laïcité. Quels ont été vos échanges avec lui sur ce sujet ?

Non ! Il n’a jamais été un ennemi de la laïcité à la française. Mais des âmes très mal intentionnées lui ont dépeint notre pays comme un repère de laïcards obsédés.

Un certain courant passait son temps au Vatican à taper sur tout ce que faisait la France. Tout le problème avec un pape non européen est qu’il n’a pas le sens de cette notion de laïcité, qui n’est pas la négation de la religion mais la liberté religieuse.

Il a fallu un échange de lettres en 1921 et 1924 pour que les relations diplomatiques soient rétablies avec le Vatican après la loi de 1905.

Pour le pape François, le judaïsme n’était pas une abstraction théologique

Pour revenir au pape François, le connaissant un peu, j’ai compris qu’il avait besoin de contacts directs et personnels avec le président de la République. La France est quand même le pays européen où il est allé le plus.

Qu’attendez-vous du futur pape ?

Je n’ai pas d’espérance, je crois qu’il y a une nécessité que ce soit quelqu’un qui soit capable de tenir en même temps les différents pôles de l’église. Ezechiel 37 : 15 « Et toi, fils d’homme, prends un bâton et écris dessus : A Juda et aux fils d’Israël qui lui sont unis ; et prends un autre bâton et écris dessus : A Joseph ; ce sera le bois d’Ephraïm et de toute la maison d’Israël qui lui est unie. Et rapproche-les l’un de l’autre pour n’avoir qu’un seul bâton, et qu’ils soient un dans ta main. » J’attends du prochain pape qu’il fasse tenir ensemble les branches qui se sont toujours affrontées.



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Author : Laureline Dupont

Publish date : 2025-04-23 16:40:00

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