« Après six mois passés dans une grande entreprise, j’ai été convoqué. Je pensais que c’était pour valider mon embauche définitive après la période d’essai. J’avais bien bossé, livré dans les temps et le logiciel tournait bien. Arrivé dans la salle de réunion, je vois autour d’une grande table six à sept personnes qui m’attendaient. Je trouvais cela un peu trop. Mais ce fut la surprise : ‘On ne te garde pas car même si tu as fait du bon boulot, tu n’as pas l’esprit commando’. J’ai demandé ce que cela signifiait : ‘tu ne participes pas aux apéros, tu ne manges pas avec nous, tu n’es pas venu une fois en week-end. Nous, on veut former un groupe soudé’. Voilà le motif de mon renvoi. Il a été inscrit sur la lettre autre chose : ‘incompétence' » (témoignage d’Anonis, 14 mai 2024 sur jeuxvideo.com). Pourquoi reproche-t-on à ce salarié de ne pas socialiser ? Pourquoi préfère-t-on le « bavard » qui dit tout – examens médicaux, dîners par le menu, ressenti sur tout, photos de vacances -… même si suivre cette vie parallèle du décomplexé nous épuise ?
Le « taiseux » en tant que tel n’existe pas dans les grandes catégories psychologiques – contrairement au pervers narcissique ou au paranoïaque -, même si on imagine bien le profil de ce collègue si secret. Ni timide, ni introverti, il est surtout discret. Un salarié qui choisit de dresser une barrière étanche entre le pro et le perso. Et il en a le droit, souligne Noémie Le Menn, psychologue du travail et fondatrice d’Upchange, cabinet de conseil et de coaching professionnel : « L’entreprise n’est pas ‘une famille’ ni une bande de copains qui recrute ou intègre selon des affinités affectives… Elle est régie par le Code du travail, et chacun est lié par un contrat. On est là pour livrer un travail en respectant un cadre commun. Et si cela n’est pas fait, il existe des procédures, du recadrage à l’avertissement, jusqu’au licenciement ; ce qui se fait moins en famille ou entre amis… ».
Pourtant, combien de « taiseux » se voient reprocher leur manque de sociabilité, l’absence de « soft skills » (empathie, communication, bienveillance…) et de se détacher de la marque employeur avec ce comportement d’ultra-discrétion ? Pour l’experte, les réseaux sociaux et l’exposition de soi sont une explication évidente. « Il y a une apologie de l’apparence, une recherche de la célébrité qui n’échappe pas au monde du travail ». De plus, comme dans toute équipe, il y a beaucoup de suiveurs derrière les leaders. Ceux qui déclinent les apéros après le travail sont vite perçus comme « bizarres » ou « sauvages ».
Cette injonction à tout dire de soi, à prendre l’entreprise pour une « famille », occulte un point essentiel : la vie privée. « Et comme elle est privée, on ne sait pas si le taiseux se tait parce que, par exemple, son épouse souffre d’une sclérose en plaques, et qu’il n’a pas envie d’en parler au travail… », précise Noémie Le Menn. Sous le diktat d’un contrôle social informel, la devise de la famille royale britannique : « Never complain, never explain » devient suspecte.
Différents types de personnalités
Le manager, de son côté, doit composer avec toutes les personnalités et son rôle n’est pas de pointer du doigt cette différence de comportement. « Accepter la diversité des personnalités au sein d’une équipe, dès lors qu’elles ne nuisent pas au travail, est un impératif. Certaines parlent beaucoup, d’autres écoutent… », rappelle la psychologue du travail. Le discret peut agir de cette manière pour de multiples raisons : par culture, à cause de son histoire personnelle (en se confiant un peu trop, certains éléments de sa vie ont pu se retourner contre lui dans un précédent poste) ou, tout simplement, parce que c’est son mode de fonctionnement. Selon l’experte, il peut aussi s’agir d’un profil « paranoïaque », qui se met en retrait pour se protéger de ce qu’il perçoit comme des attaques ou un complot. Il est possible qu’il ait une personnalité « évitante », qui se tait afin de ne pas s’exposer au dénigrement ou aux critiques, notamment s’il souffre d’un complexe d’infériorité.
D’autres enfin, autrefois bavards, se taisent soudain car ils rencontrent un problème dans leur vie. C’est alors au manager d’observer et de comprendre les différents modes de fonctionnement de ces « taiseux ». Il lui revient de leur proposer des temps de partage avec le groupe, tout en garantissant le respect de leur vie privée. Les inviter à participer aux moments informels mais ne jamais se formaliser ou laisser courir la rumeur parmi les collègues s’ils refusent de venir. Il s’agit d’accompagner au mieux ceux qui se renferment, de rassurer ceux qui se sentent inférieurs aux autres, et de valoriser publiquement leurs réussites. Autrement dit, favoriser l’inclusion.
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Author : Claire Padych
Publish date : 2025-04-29 09:45:00
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