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Les récits de voyages enlevés de François-Henri Désérable et Charles Wright

Les récits de voyages enlevés de François-Henri Désérable et Charles Wright


La phrase pourrait être de Pierre Loti ou de Nicolas Bouvier, elle est signée Ernesto Guevara : « Je sais maintenant que mon destin est de voyager et je l’accepte avec une sorte de fatalisme. » Le 29 décembre 1951, Guevara n’est qu’un inconnu de 23 ans quand il quitte Córdoba à moto avec son ami Alberto Granado. Leur objectif ? Parcourir 8 000 kilomètres de l’Argentine au Venezuela en passant par le Chili, le Pérou et la Colombie – expédition qui avait inspiré à Walter Salles le film Carnets de voyage, avec Gael García Bernal dans la peau du Che. En 2017, François-Henri Désérable avait voulu reprendre le rôle. Avec un copain étudiant, ils étaient partis refaire le parcours de Guevara et Granado.

Pourquoi avoir tant tardé à publier le récit que cette aventure lui avait inspiré ? Chagrin d’un chant inachevé est un vrai plaisir de lecture. N’en déplaise à ses détracteurs qui le trouvent frimeur, Désérable est l’un des écrivains les plus talentueux de la jeune génération. Il s’avère ici aussi spirituel que poétique, comme quand, au Chili, il plante sa tente sur les rives du lac Todos los Santos, face au volcan Osorno. Toujours aussi doué pour les digressions drolatiques et les épisodes rocambolesques, il rapporte des scènes cocasses, telle cette rencontre en Bolivie avec un chauffeur de taxi nommé Victor Hugo en hommage… à Victor Hugo Cárdenas, l’ancien vice-président local.

A l’instar de Sylvain Tesson, le maître du genre, Désérable truffe son texte de citations bien choisies. Au cœur du désert d’Atacama, regardant le ciel, il se rappelle un passage des Mémoires d’Hadrien dans lequel Marguerite Yourcenar fait dire à l’empereur que « les étoiles montaient une à une à leur place assignée ». Les plus belles pages sont peut-être celles qui se déroulent à Cuzco, avec un passage magique au Machu Picchu – « paysage qui procure le cadre propice au rêveur extasié », selon Guevara. Si ce dernier souffrait d’asthme, Déséréable, lui, ne manque pas de souffle quand il crapahute de sentiers escarpés en bidonvilles malfamés.

« Chagrin d’un chant inachevé », de François-Henri Désérable

Chagrin d’un chant inachevé. Sur la route de Che Guevara par François-Henri Désérable. Gallimard, 197 p., 20 €.

Mélancolie heureuse

Rendons-nous à l’évidence : Tom Wright a moins marqué l’histoire que le Che. Ce n’est pas une raison pour le passer sous silence. Corrézien par sa mère (sœur du regretté Denis Tillinac) et auteur remarqué du Chemin des estives (vendu à plus de 100 000 exemplaires), Charles Wright consacre son nouveau livre à son géniteur, citoyen de Sa Majesté. Qui est Tom, cet homme taiseux arrivé en France en 1974, qu’il n’a jamais réussi à cerner ? Au début du Jardin anglais, père et fils traversent la Manche pour faire un Magical Mystery Tour (à la manière des Beatles) et apprendre enfin à se connaître – mine de rien, Charles a déjà 42 ans. Là-bas, ils retrouvent à son cottage la tante Harriet, décidée à leur servir de guide sur les lieux de leur mémoire familiale. L’héritier a Hamlet dans sa poche. Ancêtres et autres fantômes shakespeariens se mêlent aux mélodies des Fab Four. Etant passé dans une autre vie par le noviciat jésuite avant de retourner à la vie laïque, Charles a gardé un côté mystique. Tout le monde ne cite pas Julienne de Norwich, sainte anglaise du XIVe siècle qui écrivait : « In the end, all shall be well. »

Fan de Hugh Grant, Charles sait aussi garder les pieds sur terre – comme tout gentleman digne de ce nom, il avoue ne porter que des chaussures Crockett & Jones, la meilleure marque de Northampton. Ainsi équipé, il fait boire son père dans des pubs du Suffolk. Par la fenêtre, les collines vertes lui rappellent les toiles de Constable. Ici et là, d’autres souvenirs remonteront du fond de leurs pintes, jusqu’à l’épiphanie du retour à Stanford-le-Hope, petite ville de l’Essex où Joseph Conrad s’installa en 1896 et écrivit Lord Jim – et où, plus modestement, Tom Wright passa les premières années de sa vie. Au fil des pages, son fils en brosse un portrait touchant. « Je laisse à d’autres plumes le soin de s’appesantir sur la culpabilité et le malheur », disait Jane Austen, visiblement disciple de sainte Julienne. Charles Wright a comme elles la mélancolie heureuse. Le voyage de Désérable se terminait par ces lignes : « Si je ne devais plus écrire qu’un seul livre, que ce soit celui-­ci : un passeport. Jusqu’au dernier jour, en noircir les pages à coups de tampons. » De son côté, à la fin du Jardin anglais, après avoir accompli les démarches, Wright reçoit son passeport britannique. Qu’on accorde d’office à Wright et Désérable des visas pour tous les pays du monde, si c’est pour qu’ils en rapportent d’aussi bons récits.

« Le jardin anglais », de Charles Wright

Le Jardin anglais par Charles Wright. Albin Michel, 234 p., 19,90 €.



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Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld

Publish date : 2025-05-03 08:00:00

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