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Pologne : les secrets d’un miracle économique dans une Europe en berne

Pologne : les secrets d’un miracle économique dans une Europe en berne


A Lodz, quatrième ville polonaise, Manufaktura est devenue une institution. Malgré son nom à résonance industrielle, ce complexe commercial, inauguré en 2006, abrite des musées, une piscine et 250 boutiques. Dans les vastes locaux de ces anciennes usines de textile, des touristes sont désormais attablés devant de généreuses portions de pierogi (sorte de gros raviolis). Des événements culturels s’y tiennent régulièrement.

C’est à un promoteur immobilier français, Apsys, que l’on doit cette vitrine de la métamorphose polonaise. En trente ans à peine, le pays est passé de la misère communiste à une prospérité enviée. Alors que le moteur européen ronronne, la Pologne carbure : après 2,9 % en 2024, la croissance de son PIB est attendue à 3,5 % cette année. Et tandis que Bruxelles s’alarme de la « désindustrialisation » du continent, le pays de l’Aigle blanc, qui compte 37 millions d’habitants, a vu le poids de son industrie augmenter entre 2000 et 2023. Depuis 1992, pas une année de récession, hormis 2020, Covid oblige. Le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat a été multiplié par huit sur la période, pour une dette contenue sous les 60 % du PIB. Un cas d’école.

Le temps passe, et l’élan ne faiblit pas. « L’année 2025 sera celle d’une percée pour l’économie polonaise », a promis le Premier ministre libéral Donald Tusk fin janvier. A l’approche du premier tour de l’élection présidentielle du 18 mai, le chef du gouvernement affiche des ambitions fortes : des investissements de 155 milliards d’euros cette année et un vaste programme de dérégulation.

Depuis le début des années 2000, la croissance polonaise a systématiquement été supérieure à celle de l’Union européenne.

Conscient des enjeux de ce scrutin, le monde des affaires retient son souffle. « Le changement de coalition en octobre 2023 a apporté une nouvelle dynamique en Pologne, remarque Przemek Gdanski, à la tête de BNP Paribas Bank Polska. Les nouvelles politiques adoptées ont débloqué les financements de l’Union européenne que le gouvernement précédent n’avait pas pu sécuriser. » En 2022, ces fonds avaient été gelés par la Commission en raison de préoccupations liées à l’indépendance de la justice

Thérapie de choc

Pour comprendre les origines de cet envol, il faut remonter à la fin du communisme. Pendant des décennies, les étagères vides ont fait partie du quotidien polonais. Le cynisme tenait lieu d’idéal politique. Dans son ouvrage How Nations Escape Poverty (2024), l’historien Rainer Zitelmann relate une plaisanterie de l’époque : « – Comment le problème des files d’attente devant les magasins sera-t-il résolu lorsque nous aurons atteint le communisme intégral ? – Il n’y aura plus de magasins pour faire la queue ! ».

En 1989, à la chute du mur de Berlin, le pays touche le fond. Le ministre des Finances, Leszek Balcerowicz, lance alors une série de réformes pour plonger la Pologne dans le grand bain de l’économie de marché. Parmi ses conseillers, un Américain nommé Jeffrey Sachs. Ce professeur à Harvard sera l’un des architectes de la « thérapie de choc ». La population, elle, accueille le capitalisme à bras ouverts. « L’euphorie liée à la fin du communisme nous a fait espérer la même vie que les Allemands ou les Français, se rappelle Przemek Gdanski. Il y avait beaucoup de pénuries, les infrastructures étaient en mauvais état… Autant d’opportunités pour les entreprises. »

Les années suivantes, le pays cherche à capter les investissements étrangers, en déployant des zones économiques spéciales. La stratégie paie. Les industriels sont d’abord séduits par la main-d’œuvre bon marché. Au-delà de son emblématique Manufaktura, la ville de Lodz accueille de nombreuses usines, dont celle de l’américain Whirlpool. La fabrication de ses sèche-linge y est délocalisée en 2018… alors que le site tricolore d’Amiens baisse le rideau. L’allemand Miele prévoit de déplacer sa production de machines à laver en Pologne d’ici à 2027. Avec un argument massue : le coût horaire du travail est trois fois inférieur à celui de l’Allemagne ou de la France.

L’adhésion à l’Union européenne, en 2004, constitue un tournant majeur. Les investissements privés se multiplient, en même temps que les fonds européens de cohésion. « Entre 2004 et 2023, nous avons reçu 310 milliards de dollars d’investissements directs à l’étranger (IDE), calcule Marcin Klucznik, conseiller à l’Institut économique polonais. Des multinationales ont commencé à externaliser leurs centres de services, notamment informatiques. Mais ces flux ne sont pas le fruit d’une politique d’Etat, ils se sont orientés naturellement en raison de l’attractivité du marché ». Apsys, par exemple, n’a bénéficié d’aucune aide publique en Pologne. « Nous avons pris des risques, en croyant résolument au potentiel du pays », témoigne son fondateur Maurice Bansay.

L'avantage comparatif de la Pologne ? Ses très faibles coûts salariaux par rapport à ceux de ses voisins.L’avantage comparatif de la Pologne ? Ses très faibles coûts salariaux par rapport à ceux de ses voisins.

Fin du cliché du plombier polonais

La proximité géographique avec l’Allemagne et la diversification sont autant de clés de cette réussite. Les exportations sont drainées par le secteur automobile, l’agriculture ou encore les produits chimiques. En 2023, la Pologne s’affiche comme le deuxième exportateur mondial de batteries électriques, derrière la Chine. Le pays ne se contente pas d’être l’atelier de l’Europe. « La croissance polonaise des quatre dernières décennies est d’abord une histoire de capital humain, explique Marcin Klucznik. Lorsque le bloc soviétique s’est effondré, la Pologne disposait d’une population bien éduquée qui lui a permis de dégager des gains de productivité. » Elle compte aujourd’hui plus de 400 établissements d’études supérieures et dépasse la moyenne de l’OCDE dans les tests Pisa. Oublié le cliché du plombier polonais, place à l’ingénieur. Ines Recio, directrice générale d’Air Liquide Pologne, confirme. « Une main-d’œuvre qualifiée en grand nombre et une productivité à la pointe de l’Europe, voilà deux des raisons qui nous ont poussés à nous implanter. »

S’il s’appuie sur son industrie, le pays poursuit résolument sa montée en gamme. Le secteur des technologies de l’information est en plein essor, pesant environ 10 % de son PIB. En février dernier, Google a annoncé un partenariat avec la Pologne pour accélérer l’adoption de l’intelligence artificielle. Microsoft a fait de même. Cracovie s’est imposée comme un hub incontournable où foisonnent les start-up de la tech.

La filière de la transition énergétique a également le vent en poupe. Dans ce territoire dont la production d’électricité dépend encore largement du charbon, tout reste à faire. Un immense complexe éolien dans la mer Baltique devrait entrer en service en 2026. « La Pologne est aujourd’hui un terrain magnifique pour que les projets de transition énergétique prennent vie, notamment dans le stockage de CO2 », s’enthousiasme Ines Recio. Le potentiel en matière de défense est tout aussi énorme. La guerre en Ukraine, à ses frontières, a incité le pays à mettre les bouchées doubles pour se réarmer. Ses investissements militaires s’élèvent déjà à plus de 4 % du PIB.

Le flux d'investissements étrangers en Pologne est à son plus haut niveau historique.Le flux d’investissements étrangers en Pologne est à son plus haut niveau historique.

Une croissance sans limites ?

L’appétit des entreprises étrangères commence toutefois à soulever des questions au niveau national. « L’économie s’est ouverte si rapidement que nous n’avons pas vraiment eu le temps de développer nos propres entreprises. Connaissez-vous une grande marque polonaise ? », interroge Mateusz Dadej, économiste pour l’Europe centrale à Coface. Gare, aussi, à la forte interdépendance avec le voisin allemand, son principal partenaire commercial, aujourd’hui en difficulté.

Dans cette course effrénée à la libéralisation, la Pologne peut compter sur le soutien sans faille de sa population, plus forte même qu’aux Etats-Unis relève Rainer Zitelmann, qui appelle de ses vœux « d’autres réformes, dans l’esprit de Balcerowicz ». Avec ses tables raffinées, son quartier d’affaires et ses nuits électrisantes, Varsovie n’a plus rien à envier aux métropoles européennes. Seul le massif Palais de la Culture et de la Science, au style soviétique, lui rappelle d’où elle vient.



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Author : Tatiana Serova

Publish date : 2025-05-03 05:45:00

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