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François Ruffin : comment il a vexé Lucie Castets, écouté Pascal Boniface et dit non à François Hollande

François Ruffin : comment il a vexé Lucie Castets, écouté Pascal Boniface et dit non à François Hollande


Quand le passé est une douleur, qu’il est bon d’avoir les yeux rivés vers l’avenir. Voilà un an que François Ruffin chemine, fidèle à lui-même, un jour sûr de lui, le lendemain rongé par le doute, toujours en dehors des grands partis. Cultivant son ambition, et ici ou là ses quelques réseaux. Ses soutiens l’assurent : « Il a compris que sa parole le dépassait désormais, elle suscite de l’espoir. » Et des attentes.

Chapitre 1 : Chemin de croix et crucifixion

– Puisque tu as eu l’idée du « Front Populaire », il faut que tu en prennes la tête.

– Alors, dis-le toi…

Guillaume Lacroix, patron de l’historique mais petit Parti radical de gauche (PRG) garde un souvenir confus de son échange téléphonique avec François Ruffin, au lendemain de la dissolution du 10 juin 2024. Le conseiller référendaire à la Cour des Comptes a beau avoir mis de l’huile dans les rouages entre Olivier Faure et Jean-Luc Mélenchon lors de la création de la Nupes, il n’est pas certain d’être l’émetteur le plus efficace pour soutenir le Picard dans sa quête de leadership… Mais en ce soir d’été, tout soutien est bon à prendre. Car voici le député de la Somme mis sur la touche du cadre qu’il a initié. Il a de toute façon bien trop à faire dans son département : rompre avec les insoumis à l’entre-deux-tours, ne pas laisser l’extrême droite ravir son siège… Au lendemain de sa courte victoire, Stéphane Troussel, président socialiste de la Seine-Saint-Denis, déjeune avec lui. Face au patron de département se trouve quelqu’un de « marqué par la campagne, son climat, et son expérience de la rupture avec LFI ». Un homme fragilisé, et dépourvu d’appareil.

« Occupe-toi de lui, nous on s’occupe du reste. » Les insoumis sont tout sauf miséricordieux, pas plus que Ruffin n’est en quête d’une quelconque rédemption mélenchoniste. Quand la foule s’entasse dans l’Agora en ce premier jour de l’édition 2024 de la Fête de l’Humanité, Mathilde Panot, la patronne des députés LFI, souffle en coulisses cette maigre consigne à l’oreille du parlementaire Raphaël Arnault, avant son débat face à François Ruffin. Le Picard est copieusement hué par des militants de la Jeune Garde, fidèles du député du Vaucluse. LFI ne lui pardonne pas sa rupture brutale avec Jean-Luc Mélenchon, actée une seconde fois, à la tronçonneuse, dans le livre de Ruffin, Itinéraire. Ma France en entier, pas à moitié (éd. Les liens qui libèrent, 2024). Deux mois qu’il passe sous les fourches caudines de son ancienne formation de rattachement. « Faites quand même gaffe, quand il a un sentiment d’échec, il peut vriller », soufflera quelques semaines plus tard un député insoumis à ses militants locaux.

Entre l’insurgé et ses anciens camarades mélenchonistes, plus rien ne sera jamais comme avant. Ni oubli, ni pardon quand François Ruffin croise aujourd’hui leur chemin à l’Assemblée. Lorsque son ancien voisin de banc, Hadrien Clouet, tente de le saluer dans les couloirs, lui l’ignore et trace sa route, sac à dos posé d’une bretelle sur son épaule, le regard ferme, le sourcil brun et broussailleux. Les jérémiades insoumises prêtent à sourire, Jean-Luc Mélenchon n’absout pas les traîtres, ni ceux qui refusent la guerre ouverte au ruffinisme. Dans le Val-d’Oise, ce groupe local qui a refusé de rompre avec le Picard a été « débranché » par la direction. 50 âmes rayées de la carte LFI. C’est parfois aussi simple que ça, la politique.

Chapitre 2 : Les apôtres. Et les Judas ?

La députée Génération.s. du Val-de-Marne Sophie Taillé-Polian a repéré François Ruffin lorsqu’elle le rencontre en 2019 à Audincourt (Doubs), lors d’un meeting contre la privatisation d’Aéroports de Paris. Elle est encore sénatrice, lui un futur éventuel dauphin de Jean-Luc Mélenchon. « Dans sa manière de s’exprimer, j’ai perçu une grande sincérité, une pédagogie, une exigence », se remémore-t-elle. Alors c’est elle qui, avant les autres, plaide auprès de Cyrielle Châtelain (députée Les Ecologistes de l’Isère), pour que l’ambitieux Picard et ses confrères – trop insoumis au sens propre pour siéger en mélenchonie – retrouvent un espace « où ils se sentent bien ». Mais voilà qu’à la fin de l’année 2024, les collègues écolos de Ruffin haussent les épaules lorsque l’on vient aux nouvelles de leur nouveau champion. Plus discret, plus absent que les transfuges LFI, moins « leader d’opinion » qu’un Alexis Corbière. Trop « fidèle à l’image qu’il renvoie lorsque l’on ne travaille pas avec » aussi, une formule qui relève de tout sauf du compliment. Ceux qui fondent en lui un espoir de renouveau, après sa rupture avec LFI, s’impatientent.

Lâchez-le. Son film documentaire, Au Boulot !, une comédie sociale signée avec Gilles Perret, remplit les salles des grandes villes et sous-préfecture de France. Ruffin est reparti en tournée. L’air provincial a quelque chose de plus sain, de somme toute moins clivant ; à Metz, il retrouve dans la pénombre du cinéma quelques anciens camarades insoumis, et salue l’ancienne députée LFI du coin, Charlotte Leduc. Ruffin le graphomane s’est souvent rêvé empilant les casquettes, Michael Moore français, reporter, député et volontiers davantage. Ses contempteurs ou autres curieux observateurs y voient une forme de tentation de Venise. Ses amis, eux, tapent du pied pour que leur challenger revienne à la capitale. Et Sophie Taillé-Polian le rabroue : « C’est super ta tournée pour ton film. Mais nous, on a besoin de toi à Paris. » Réponse soucieuse de l’apostrophé : « J’ai besoin de ton aide. » Les succès en salles – près de 200 000 spectateurs – lorsque l’on essaie d’être président de la République, c’est bien. Préparer une future victoire dans les urnes, c’est tout de même un peu mieux.

« J’ai du pif, de l’intuition pour porter les sujets. » Combien de fois François Ruffin a-t-il prononcé cette formule, devant ses interlocuteurs, politiques ou journalistes, interrogatifs sur ses velléités ? En cette soirée de la fin janvier 2025 organisée avec l’aide de Sophie Taillé-Polian, dans une salle de l’Assemblée, le député insiste devant une petite vingtaine d’élus des deux chambres : « J’ai besoin d’aide sur les dossiers, sur la technique. En additionnant les intelligences on est plus forts. » Face à lui, un plateau de riz et de poisson sur les genoux, ils sont une poignée d’écolos, de députés Génération.s., d’ex-insoumis, de communistes et de socialistes. Présent également son grand copain, l’ancien député dieppois Sébastien Jumel, avec qui il a construit moderato cantabile une relation de « connivence, de complicité et d’amitié », et qui gère désormais son réseau d’élus locaux. Certains se souviennent de la prise de parole marquante d’Alexis Corbière, ses mots sur Jean-Luc Mélenchon et sur ces créatures politiques qu’il a accompagnées avant d’en payer aujourd’hui les conséquences. « L’aventure doit être essentiellement collective : il faut un capitaine d’équipe qui pense aux stratégies de jeu », scande Corbière. La formule fait mouche chez le « footeux » du dimanche. L’assistance, elle, opine du chef.

François Ruffin, lui, prend aux mots ces conseils avisés. Avec ses amis, il cherche à approfondir les sujets, organise des petits déjeuners thématiques autour de l’agriculture, ou du narcotrafic. Fin mars 2025, les odeurs de pizza embaument la salle de réunion. Et de nouveaux arrivants occupent l’espace. « Nous étions plus de roses que de verts », confie un participant. C’est le printemps, et le ciel s’est dégagé : on prépare quelques éléments de langage, on fixe la stratégie calendaire. Et on tente de répondre à cette question : « Comment s’installer dans l’opinion publique de gauche ? » François a-t-il enfin trouvé ses apôtres ? « Demandez aux uns et aux autres s’ils le soutiennent vraiment… Ce sont des espions pour leur crémerie », persifle un concurrent de gauche. D’autres sont plus cléments. Ils appellent cela « L’Auberge espagnole de Ruffin ».

Marqué par sa campagne législative de juin 2024 et sa rupture d’avec LFI, le député de la Somme tente de rebondir.

Chapitre 3 : Résurrection et contradictions

François Ruffin, revenu de si loin. Les insoumis le disaient « fini », les barons des gauches le jugeaient « insaisissable », le voici pourtant sur la rampe le 1er avril 2025 à Montreuil, s’époumonant sur le « moment venu ». « Je ne me cacherai pas derrière mon petit doigt avec des ‘on verra’. Est-ce que je suis sur les rangs ? Evidemment. » A ses côtés, bien sûr, Alexis Corbière, plaidant micro en main pour « une stratégie politique dite avec force : unité ! » et « un candidat commun en 2027 ». Et comme toujours, une poignée d’écologistes, de socialistes, de communistes pour taper dans leurs mains. Chez Ruffin, pas de place réservée au premier, au deuxième et au troisième rang, pour les huiles de la gauche. Ni d’invitation à prendre la parole pour celle qui a porté tout l’été les couleurs du NFP – elle n’est donc pas venue. Durant sa campagne estivale, Lucie Castets avait déjà été surprise de devoir attendre plusieurs semaines avant que le Picard ne daigne se manifester. Est-ce vraiment ainsi que l’on réfléchit ensemble à un avenir commun ? Et les vieux démons de refaire surface… « Ruffin, son problème, c’est qu’il ne traite pas les gens », confiera un sage de gauche. Un deuxième problème ? « Ruffin à Montreuil, j’ai trouvé que c’était très blanc », moquera Marine Tondelier devant ses amis. Un troisième ? « On est en discussion avec Génération. s, Picardie Debout ! et L’Après [NDLR : L’Association pour une République écologique et sociale] pour accélérer le processus unitaire. Alors, qu’il fasse son truc seul dans son coin parce qu’il pense qu’on va l’emmerder, ça a été accueilli assez fraîchement », souffle une députée de gauche. Remarque globale d’un leader de gauche, qui rit sous cape : « C’était donc le 250e meeting de lancement de campagne présidentielle de François Ruffin, c’est ça ? »

L’intéressé avance, fidèle à lui-même, en dents de scie. Il observe la concurrence se mettre en branle, soucieux du périmètre politique qu’il pourra occuper. Lui qui déteste la cuisine (politique), déserte les agapes de l’union de la gauche sans Jean-Luc Mélenchon, force sa nature. Et questionne. Quelle curiosité, ce Parti socialiste en congrès… Il se met à interroger le premier d’entre eux, Olivier Faure, sur sa ligne. Ce dernier, fin février, le rassure, malgré la non-censure du PS à l’hiver, sur ses velléités de parvenir à un candidat commun, et son refus de l’aventure sociale-libérale. La démocratie selon Ruffin n’est pas la négation du conflit alors avec les Roses, il aime provoquer le débat et espère, utopiste ou présomptueux, faire bouger les lignes de ce parti auquel il n’appartient pas. A son ami le « socialiste des tours », Stéphane Troussel, le défenseur des bourgs envoie un exemplaire de son livre, Je vous écris du front de la Somme (éd. Les liens qui libèrent, 2022) avec une dédicace tout sauf sibylline : « Soyons vraiment sociaux, soyons vraiment démocrates. » Lui qui se plaît à citer son héros, le communiste résistant Maurice Kriegel-Valrimont, qui refusa de rallier les socialistes au motif qu’ils ne seront « jamais le moteur de l’Histoire », aurait aimé qu’Olivier Faure réponde publiquement à sa lettre ouverte aux socialistes, à l’instar du débat épistolaire et remarqué qu’il a entretenu avec l’ancien essayiste Raphaël Glucksmann durant les européennes. Plus à l’aise à l’écrit ? François Hollande aussi adore débattre. L’ancien président a invité Ruffin à porter le fer dans son podcast, mais ça n’était « ni le moment, ni le bon format ».

Croire en son étoile. A la gauche de la gauche, son couloir, ils sont quelques-uns à observer le ciel. En comptant leurs différences. « Sur la question sociale, on est sur la même ligne, mais pas sur les questions industrielles et écologiques, il est plus proche de Tondelier que de moi », affirme Fabien Roussel. Son poulain communiste, l’Amiénois Léon Deffontaines, a beau faire des pieds et des mains pour que le coco et l’autonome Ruffin se rencontrent… Les deux hommes restent à bonne distance. « Il est venu présenter son film dans le Valenciennois, et on avait échangé pour essayer de se retrouver mais il n’a pas pu venir », souffle Roussel, qui assure qu’ils devront « se parler ». Clémentine Autain aussi entame un tour de France. Elle a conscience que Ruffin est plus connu, mais elle a aussi remarqué que leur popularité était équivalente chez les ouvriers et les employés. Entre les deux députés, la bataille d’influence est silencieuse. Peut-être se retrouveront-ils, un jour.

Epilogue

Parole d’expert : « Quand un député commence à s’intéresser aux questions internationales, c’est qu’il ne veut plus être un simple député. » François Ruffin part de loin, critiqué pour son positionnement initial sur la guerre en Ukraine et ses prises de paroles trop rares sur le conflit israélo-palestinien. Lors de la précédente législature, il a toqué à la porte de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), et demandé à Pascal Boniface de l’éclairer de ses lumières. Depuis, le Picard consulte régulièrement le géopolitologue pour parler des grands tourments de ce monde. Il écoute, noircit ses carnets, bosse. Et suit le conseil du « sachant », qui l’a poussé à prendre davantage parti sur la guerre au Proche-Orient.

Ses amis l’assurent, François continue de se préparer. Ses détracteurs, eux, énumèrent la liste des « spleens de Ruffin ». Sébastien Jumel coupe court : « La certitude enferme, mais il ne faut pas que le doute soit paralysant. Là, j’ai l’impression que François Ruffin s’est stabilisé. » François Ruffin devra porter sa croix. Face aux autres, et face à lui-même.



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Author : Mattias Corrasco

Publish date : 2025-05-04 06:45:00

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