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Friedrich Merz élu chancelier, mais tiendra-t-il ? Pourquoi il va sentir le souffle de l’AfD dans sa nuque

Friedrich Merz élu chancelier, mais tiendra-t-il ? Pourquoi il va sentir le souffle de l’AfD dans sa nuque

Friedrich Merz a été élu péniblement au second tour, mardi 6 mai, sous les quolibets d’une extrême droite ravi de voir un gouvernement démarrer dans une telle confusion. Son élection chaotique a été sans précédent dans l’histoire de la République fédérale. Jamais un chancelier n’a été approuvé au deuxième tour depuis 1949. Cette première crise politique augure mal de l’avenir de sa coalition de « responsabilité pour l’Allemagne ». Surtout, Merz, grand espoir des Européens pour assurer le leadership de l’Union, tiendra-t-il jusqu’au bout de son mandat face à l’inexorable montée de l’extrême droite ?

Le nouveau chef du gouvernement, qui a promis un retour de l’Allemagne sur la scène internationale, démarre avec une impopularité record. A peine plus d’un tiers des Allemands le trouvent « bien » dans les habits de chancelier, selon le dernier sondage de seconde chaîne de télévision publique (ZDF). Friedrich Merz est seulement 13e dans le classement de popularité des responsables politiques. Même Olaf Scholz, son prédécesseur au bilan peu flatteur, avait bénéficié d’une période de grâce dans les premières semaines de son mandat.

En rompant des promesses électorales sur la discipline budgétaire et sur la politique migratoire, avant même d’être investi par les députés du Bundestag, Friedrich Merz a perdu le peu de crédit dont il bénéficiait depuis les élections anticipées du 23 février.

Pire, l’extrême droite (Alternative für Deutschland) est passée pour la première fois dans l’histoire du pays en tête d’un sondage le 9 avril et reste actuellement au coude à coude avec la CDU, les deux à 25 % des intentions de votes. Si les Allemands revotaient cette semaine, Merz ne serait plus capable de former un gouvernement avec ses alliés sociaux-démocrates (SPD).

L’AfD encore plus radicale qu’en 2021

Le mandat de Merz promet d’être très turbulent pour un chancelier qui compte assurer un rôle de leadership dans une Union européenne diabolisée par une AfD plus forte que jamais. L’extrême droite a promis de torpiller sa politique étrangère au profit d’un « retour de la souveraineté de l’Allemagne » et d’une option de sortie de l’Union européenne. Au soir des élections, la présidence du parti, Alice Weidel, s’est donnée comme programme la « traque » de Friedrich Merz et de sa « bande d’escrocs ».

Première force d’opposition au Bundestag (152 sièges sur 630), l’AfD sera incontournable dans tous les débats parlementaires, y compris sur l’Europe. Le groupe parlementaire devrait être plus bruyant que jamais à l’Assemblée. Lors de la dernière législature, il avait fait l’objet du plus grand nombre de rappels à l’ordre. Ce mouvement sera aussi plus radical qu’en 2021 avec l’arrivée de députés identitaires controversés comme Maximilian Krah. L’ancienne tête de liste aux européennes, à l’origine du divorce d’avec le Rassemblement national, avait relativisé les crimes nazis en estimant que « les SS [n’étaient] pas tous des criminels ». Merz devra faire face à d’autres intervenants radicaux comme Matthias Helferich, qui s’est défini comme le « visage sympa du national-socialisme ».

Le nouveau chancelier, qui a fait d’une alliance avec l’extrême droite un tabou, a lié son avenir politique au maintien du « cordon sanitaire ». Il avait déclaré devant l’Assemblée, en novembre dernier, qu’il ne pactiserait « jamais » avec « ces gens-là » en montrant du doigt les bancs de l’AfD. Une promesse qu’il a néanmoins rompue pendant la campagne électorale en acceptant des voix de l’extrême droite pour obtenir de Scholz un durcissement de la politique migratoire. Une manœuvre qui lui a coûté beaucoup de voix au centre et qui a été sanctionnée par sa petite victoire au soir du 23 février, sous les 30 % espérés.

Au sein de son propre camp, l’aile la plus conservatrice se rapproche lentement de l’AfD, notamment sur l’immigration. A l’est du pays, où l’extrême droite constitue la première force politique, personne ne croit plus au maintien de ce « cordon sanitaire ». Avec des scores de plus de 30 % à l’extrême droite, il est devenu mathématiquement impossible de former des coalitions sans l’AfD. En Thuringe, la CDU de Merz a été obligée de s’allier avec le parti pro-Poutine de Sahra Wagenknecht – dans un gouvernement minoritaire – dans le seul but de faire barrage à l’extrême droite. Les conservateurs locaux ne comprennent pas pourquoi ils doivent gouverner à contrecœur avec la gauche radicale prorusse plutôt qu’avec l’AfD qui partage les mêmes idées sur l’immigration.

La menace Jens Spahn

En plaçant Jens Spahn à la tête du groupe parlementaire, Friedrich Merz a réussi à écarter un élément perturbateur de son gouvernement. Mais il a pris le risque de se faire renverser à tout moment à l’Assemblée sur cette question du cordon sanitaire. A 44 ans, l’ancien ministre de la Santé de Merkel restera-t-il loyal vis-à-vis de Merz ? C’est la question qui taraudait tout le gotha des commentateurs politiques à Berlin avant même la prise de fonction du chancelier.

Spahn est un prétendant sérieux à la présidence de la CDU mais aussi à la chancellerie. Homme de réseaux, abonné aux talk-shows télévisés, il compte parmi les plus ultras de la droite traditionnelle. Proche des milieux trumpistes, on lui prête l’intention de rompre le « cordon sanitaire » pour diriger l’Allemagne dans une alliance avec l’extrême droite après 2029, avec lui comme chancelier. Son interview au journal Bild, en avril dernier, a été révélatrice d’une volonté de normaliser l’extrême droite alors que Merz en a fait un tabou. « Il faut traiter l’AfD comme tous les autres partis d’opposition », a-t-il déclaré mi-avril au grand quotidien populaire allemand.

Le chancelier aura beau vouloir briller sur la scène internationale et ramener l’Allemagne dans le « concert des nations », tant que l’extrême droite progressera, il n’aura pas les mains libres pour faire avancer l’Europe comme il le souhaiterait. Il aura toujours l’AfD dans la nuque.



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Author : Christophe Bourdoiseau

Publish date : 2025-05-06 14:18:00

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