L’Express

La peur de nourrir l’antisémitisme ne doit pas nous faire taire sur la radicalisation en Israël, par Marc Knobel

La peur de nourrir l’antisémitisme ne doit pas nous faire taire sur la radicalisation en Israël, par Marc Knobel

C’est avec une tristesse sincère que je porte mon attention sur l’Israël d’aujourd’hui. Depuis plusieurs mois, le pays est gouverné par une droite intransigeante, animée par un esprit de revanche et de fermeture, se repliant sur ses convictions. Bezalel Smotrich, qui occupe actuellement le poste de ministre des Finances, incarne cette radicalisation. Depuis longtemps, il affiche sans détour ses positions à l’égard des Palestiniens : selon lui, ils n’auraient d’autre choix que de vivre sous autorité israélienne, privés de droits politiques, ou de quitter la région. Figure centrale du mouvement des colons, il défend l’annexion des territoires et rejette toute idée de compromis ou de paix. Son hostilité ne se limite pas à la question palestinienne : il s’en prend régulièrement, avec une virulence notable, au judaïsme libéral, à la communauté LGBT, aux courants du centre et de la gauche israélienne, ainsi qu’à la laïcité et à ses partisans.

C’est dans ce contexte que, lors d’une intervention à Ofra ce mardi 6 mai, Smotrich a affirmé que la bande de Gaza serait « totalement détruite » à l’issue du conflit en cours, ajoutant que ses habitants, repoussés vers le sud, devraient quitter massivement le territoire pour s’établir ailleurs. Ce type de déclaration, qui s’inscrit dans une logique d’exclusion et de rejet, mérite d’être condamné sans réserve par tous ceux qui défendent la primauté du droit et la dignité humaine, y compris au sein des sociétés et communautés juives.

Sur le terrain du droit international humanitaire, de tels propos et les intentions qu’ils révèlent soulèvent des préoccupations majeures. Les principaux instruments juridiques internationaux, tels que les Conventions de Genève et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, prohibent explicitement la destruction systématique de biens, l’expulsion de populations et toute attaque ciblant des civils dans les territoires occupés. Le déplacement de civils, sauf nécessité militaire impérieuse et sous réserve de garanties strictes, est interdit ; s’il est orchestré de façon délibérée et massive, il peut constituer un crime de guerre. Lorsqu’une telle politique est planifiée ou répétée, elle relève également de la catégorie des crimes contre l’humanité. En définitive, l’idée d’anéantir un territoire civil et de contraindre sa population à l’exil, telle qu’exprimée par Smotrich, va à l’encontre des principes fondamentaux du droit international. De telles mesures ne sauraient être justifiées par des arguments militaires et doivent être rejetées avec la plus grande fermeté.

Le droit et le devoir de s’exprimer

J’ai consacré ma vie à combattre l’antisémitisme et l’israélophobie. Mon engagement en faveur de l’existence d’Israël, dans la paix et la sécurité, n’a jamais faibli. Pourtant, au vu de la situation actuelle, je suis convaincu que les juifs établis à l’étranger ont non seulement le droit, mais aussi le devoir de s’exprimer.

En France, certains de mes coreligionnaires préfèrent garder le silence, même s’ils confient en privé leur inquiétude face à la fracture et à la colère qui traversent la société. Leur retenue s’explique sans doute par la crainte que leurs paroles ne soient détournées par ceux qui, à l’extrême gauche (LFI) ou ailleurs, s’acharnent quotidiennement contre Israël, dans un contexte où l’antisémitisme progresse avec une virulence inégalée et où les juifs de France vivent dans la peur. Je comprends cet argument : la peur de nourrir l’antisémitisme en prenant la parole. Mais c’est une réalité que j’ai affrontée toute ma vie. Je connais la capacité de cette haine à se renouveler, à s’adapter, à puiser dans des préjugés anciens et dans les tensions du conflit israélo-palestinien. Elle frappe aveuglément et se nourrit des passions exacerbées autour d’Israël, de l’israélophobie et de l’extrémisme. Pourtant, il faut le rappeler : les antisémites n’attendent pas nos propos pour propager leur haine. Ils n’ont pas besoin de nous pour alimenter leurs discours ; ils le font déjà, inlassablement. Notre silence ne les arrêtera pas, et il ne nous exonérera pas de notre responsabilité de les combattre.

Un autre reproche souvent adressé à ceux qui s’expriment depuis l’étranger est qu’ils ne vivraient pas en Israël et seraient donc illégitimes à donner leur avis. Pourtant, ceux-là mêmes qui agitent cet argument – souvent à droite ou à l’extrême droite – ne se sont jamais privés de critiquer les gouvernements israéliens de gauche ou du centre. Je n’ai pas oublié les attaques virulentes contre Yitzhak Rabin lorsqu’il était Premier ministre. A l’époque, personne ne leur contestait le droit de s’exprimer.

Aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux et de l’information globale, il est naturel d’avoir un avis sur des sujets qui se jouent loin de chez soi. On peut s’inquiéter pour la banquise sans y vivre, redouter le nucléaire sans habiter près d’une centrale, soutenir les Ukrainiens, les Arméniens ou les Kurdes sans partager leur nationalité. Mais lorsqu’il s’agit d’Israël, certains au sein de ce gouvernement voudraient imposer le silence aux juifs établis à l’étranger, sous la pression de groupes radicaux. Ce chantage est inacceptable.

Il serait d’ailleurs réducteur de considérer la communauté juive établie à l’étranger comme un ensemble homogène. Les opinions, les histoires familiales, les liens avec Israël et les engagements politiques y sont multiples. Cette diversité, loin d’affaiblir la communauté, en est une richesse et doit être reconnue dans le débat. De plus, les juifs établis à l’étranger ne sont pas coupés de la réalité israélienne : nous suivons l’actualité, voyageons, avons des proches sur place. Nous en connaissons la complexité et les enjeux. Aujourd’hui, la moitié de la population israélienne exprime une inquiétude profonde, les manifestations se multiplient, et le président de l’Etat évoque le risque d’une guerre civile.

Un autre Israël se lève

Rester silencieux, ce serait trahir des principes essentiels. Les fondateurs de l’Etat d’Israël ont voulu une démocratie libérale, fondée sur la liberté d’expression, la liberté de culte et l’égalité des droits pour tous les citoyens, comme le proclame la déclaration d’indépendance – n’en déplaise à ceux qui voudraient en restreindre la portée. C’est cet Israël démocratique, résilient et fidèle à l’éthique juive que nous aimons et que nous soutenons.

Aujourd’hui, un autre Israël se lève, manifeste, lutte pour préserver la démocratie, réclame le cessez-le-feu, la paix et la libération des otages détenus par les terroristes du Hamas. Il défend des valeurs universelles et l’idéal de justice. Leur combat n’est pas vain. Qu’ils ne cèdent ni au populisme, ni à la violence. A mes coreligionnaires inquiets, je dis qu’Israël est à la croisée des chemins : il peut basculer dans l’autoritarisme ou rester fidèle à l’idéal démocratique de ses fondateurs. Il devra, tôt ou tard, accomplir une révolution : faire la paix avec les Palestiniens, car on ne peut indéfiniment dominer un autre peuple sans entraîner son propre pays vers l’abîme.

*Marc Knobel est historien. Il a publié plusieurs ouvrages dont Haine et violences antisémites en 2013 (Berg International, 350 pages) puis Cyberhaine : propagande et antisémitisme sur Internet, en 2021 (Hermann, 231 pages).



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Author : Marc Knobel

Publish date : 2025-05-08 06:46:00

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